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Pakistan

Attentat anti-français à Karachi

En visant des coopérants militaires, les auteurs de l’attentat suicide perpétré mercredi matin à Karachi s’en sont pris aux intérêts stratégiques du Pakistan et aux alliés occidentaux d’Islamabad
L’attentat a eu lieu devant les hôtels Sheraton et Pearl Continental de Karachi, au moment où les employés français de la Direction des constructions navales (dépendant du ministère de la Défense) embarquaient à bord de l’autobus qui devait les mener sur leur lieu de travail. Ils sont ainsi une quarantaine dont la mission est d’honorer le contrat franco-pakistanais pour la construction d’une série de sous-marins de défense côtière de type Agosta. Le véhicule de l’auteur de l’attaque a percuté le bus, provoquant une explosion dont la déflagration, selon les témoins, a été entendue à plusieurs kilomètres à la ronde et a fait des dégâts matériels considérables.

Les premières déclarations officielles attestent que, cette fois encore, les terroristes ont frappé là où ça fait mal. Non seulement ils s’en sont pris à des étrangers, mais ils ont également visé les intérêts stratégiques du pays, à savoir ses capacités de défense nationale. Il ont donc adressé un double message, l’un anti-occidental, destiné à l’opinion publique internationale, et l’autre en direction de leurs concitoyens pour montrer la fragilité du régime. Depuis le début de l’année, avec l’assassinat du journaliste Daniel Pearl, puis l’attentat du mois de mars dernier contre une église d’Islamabad qui avait fait 5 morts, dont deux Américaines, et 40 blessés, en majorité étrangers, et enfin avec ce dernier épisode, ce terrorisme, qu’elle qu’en soit l’inspiration, a pris une tournure résolument anti-occidentale. D’ailleurs l’attentat de ce mercredi survient dans le contexte particulier de l’ouverture du procès des meurtriers présumés de Daniel Pearl, à Hyderabad où il a été «délocalisé» à la demande de l’accusation en raison des menaces proférées contre elle. Peu après l’ouverture de l’audience, les débats ont été ajournés au 11 mai.

Toutefois les Occidentaux ne sont ni les cibles exclusives, ni même les premières victimes du radicalisme pakistanais. Les citoyens de ce pays ne sont pas épargnés non plus par la brutalité des mœurs politiques. Pour ne citer que quelques exemples, aux premières heures de la matinée de ce mercredi, deux policiers ont été abattus et un autre blessé à Rawalpindi. Lundi, une femme a succombé après l’explosion d’une bombe dans le nord-ouest, à la frontière avec l’Afghanistan. Mardi, deux roquettes ont frappé des positions paramilitaires dans deux zones également frontalières, alors que dans la soirée une autre roquette s’abattait sur l’enceinte d’un collège abritant des agents de renseignement américains travaillant aux côtés de soldats pakistanais à la traque de fugitifs d’Al Qaïda.

La piste Ben Laden

En dépit des déclarations de circonstances de responsables pakistanais évoquant une éventuelle responsabilité de l’ennemi intime indien dans l’attentat anti-français de Karachi, l’analyse des faits et le contexte internationale poussent évidemment les observateurs à privilégier la piste de l’organisation du Saoudien Oussama Ben Laden. «Une probabilité pas négligeable» selon le chef d’état-major des armées françaises, le général Jean-Pierre Kelche, auquel le caractère anti-occidental de l’attaque n’a pas échappé. Dans cette perspective, l’objectif des terroristes pourrait bien être de dissuader toutes formes de coopération avec le régime du général Musharraf, accusé de trahison pour avoir renoncé à faire de son pays le fer de lance d’un Islam militant et s’être rallié la croisade anti-terroriste américaine au lendemain des attentats du 11 septembre. Tout cela dans un contexte de politique intérieure qui prête le flanc aux accusations de corruption massive et de dérives dictatoriales.

Reste la question de savoir si la France constitue une cible en tant que telle, au-delà de son appartenance au camp occidental. Outre la coopération militaire stratégique, accompagnée de transferts de technologie comme le révèle cette affaire, il se trouve en effet que, depuis le 11 septembre, Paris a joué les intermédiaires entre Islamabad et l’Union européenne. Les taxes à l’importation des produits pakistanais au sein de l’Union ont été réduites et ses quotas d’importation sur les textiles ont été réévalués. Autant d’éléments qui font de la France un Satan potentiel aux yeux des opposants les plus radicaux, parmi lesquels les Islamistes, et notamment ceux qui se réclament d’Al Qaïda.

Les autorités françaises ont pris la mesure du signal qui leur était adressé. En témoigne la vivacité des réactions. Désignée mardi soir, la ministre de la Défense devait s’envoler 24 heures plus tard à destination de Karachi, à la demande du président de la République pour manifester la préoccupation de Paris et l’importance que les autorités accordent à cette affaire.

Enfin, parmi les conséquences directes et immédiates de ce climat de violences, la compagnie aérienne Singapore Airlines indique que ses vols à destination de Karachi et Lahore sont suspendus à compter du vendredi 10 mai «jusqu’à nouvel ordre». Et la Fédération de cricket néo-zélandaise annonce l’annulation du match-test que l’équipe d’Auckland devait disputer contre le Pakistan et le retour immédiat des joueurs au pays. Plusieurs membres de l’équipe, qui logeait dans l’un des hôtels à proximité duquel a eu lieu l’attentat, ont été choqués par la déflagration.



par Georges  Abou

Article publié le 08/05/2002