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Mali

ATT peut-il être battu ?

La Commission de centralisation des résultats continue de faire ses comptes et impose le silence à tous membres. Elle ne publiera aucun chiffre, sauf pour donner une tendance lorsqu’elle dépouillera 50% des bulletins. Dans les deux camps on se dit «serein».
Le second tour de l’élection présidentielle au Mali s’est déroulé sans heurt ni confusion, dans une atmosphère «tranquille» selon des observateurs. Les électeurs ne se sont pas déplacés en nombre et la participation serait encore plus faible que celle du premier tour qui était de 38,3%. Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer cette désaffection des électeurs. Pour de nombreux Maliens les jeux sont faits. «C’est Amadou Toumani Touré (ATT) qui sera élu…alors pourquoi se déplacer ?». Une autre raison souvent entendue serait la démobilisation des partisans de Ibrahim Boubacar Kéita (IBK), déçus par les conditions dans lesquelles leur champion a été éliminé de la course à la magistrature suprême. Le silence que s’est imposé le président sortant Alpha Oumar Konaré a été aussi interprété comme un soutien à ATT contre Soumaïla Cissé, le candidat de son propre parti, l’Alliance pour la démocratie au Mali, (ADEMA). A la veille de ce second tour, Soumaïla Cissé a d’ailleurs déclaré qu’il se sentait «trahi», sans préciser par qui, mais les Maliens ont tous tourné le regard vers le président sortant.

IBK représente aujourd’hui au Mali une vraie force politique. Le général Amadou Toumani Touré a trouvé en sa personne cette force qui l’aidera à faire la différence. Les deux hommes ont conclu un accord malgré tous les couacs du premier tour. Fonctionnement irrégulier de nombreux bureaux de vote, découverte de bureaux fictifs, absence de signatures sur des procès verbaux, vote de personnes non inscrites, mauvaise et parfois douteuse distribution de cartes d’électeurs, n’ont pas suffi à la Cour constitutionnelle pour invalider tout le scrutin. Pour toute réponse aux interrogations et autres contestations des résultats du premier tour, la Cour constitutionnelle a décidé d’annuler 541 019 bulletins de vote, soit un tiers des suffrages exprimés.

Cette décision n’a souffert d’aucune protestation dans les milieux politiques maliens qui semblent éprouver une réelle envie d’en finir avec cette élection présidentielle 2002. La liste pléthorique de candidats au premier tour, vingt-quatre, loin de témoigner d’une vivacité de la démocratie a eu pour effet de discréditer la classe politique engluée dans une campagne électorale faite de querelles «des chefs». La sanction est immédiate: seuls 38,3% des électeurs ont participé au premier tour de cette élection présidentielle. C’est sur ce faible taux de participation que ATT a recueilli 28,71% contre 21,3% pour Soumaïla Cissé, le candidat de l’ADEMA, le parti au pouvoir. IBK, troisième avec 21% des voix.

IBK maître du jeu

Dissident de l’ADEMA et ancien Premier ministre, il crée son parti, le Rassemblement pour le Mali (RPM), qui s’inscrit dans une opposition résolue au président Konaré qui arrive au terme de son second mandat non renouvelable comme le prévoit la constitution. IBK a longuement reçu le général à la retraite, Amadou Toumani Touré, (ATT) pour conclure avec lui le report des voix de «Espoir 2002», une association de partis d’opposition qui ont ensemble conçu un pacte de gouvernance. ATT, rassembleur déjà par son seul nom, s’attache la confiance de «Espoir 2002» pour conquérir démocratiquement le fauteuil présidentiel de son pays. IBK caresse l’espoir de voir la majorité changer de camp, et contre ses anciens amis choisit de se refaire une santé politique par l’entremise du général revenu aux affaires.

Ce cas de figure était impensable avant le premier tour du scrutin. Même dans le camp du parti au pouvoir, l’hypothèse d’une présence au second tour de Soumaïla Cissé n’était pas réellement envisagée. Les querelles de succession au sein de la mouvance présidentielle avaient laissé beaucoup de blessures et de déception qui auguraient d’un avenir plutôt sombre pour la relève. Selon des cadres de la mouvance présidentielle, le plan inavoué était de battre coûte que coûte IBK, en concluant une alliance avec ATT au second tour. En effet, les résultats des sondages étaient assez clairs sur la qualification au second tour. Amadou Toumani Touré contre Ibrahim Boubacar Kéita. L’ADEMA n’aurait alors aucun état d’âme à favoriser l’élection du général qui aurait, en 1992, rendu l’élection d’Alpha Oumar Konaré possible.

Mais voilà, les résultats du premier tour ont bouleversé tous les calculs. L’ADEMA se trouve contraint, de soutenir son propre candidat. Du coup, c’est IBK qui se remet en selle en négociant un report des voix qui l’ont soutenu en faveur de ATT. IBK lui apporte son soutien, fermant les yeux sur les irrégularités du premier tour, mais en exigeant «plus de transparence» pour les prochaines élections législatives sous la nouvelle présidence. Il vise ainsi l’Assemblée nationale pour réduire l’influence de son ancien parti politique. En l’espace de deux semaines, lors de ce scrutin présidentiel au Mali, l’ennemi à abattre a plusieurs fois changé de camp. La classe politique malienne semble à ce sujet unanime pour raccompagner Amadou Toumani Touré à la magistrature suprême.

Amadou Toumani Touré est donné favori, avec un score «à la française», assimilé à un plébiscite. Les différents états majors font leurs calculs, et du côté de l’ADEMA on semble déjà accepter la défaite. Dans les grandes villes, Bamako, Mopti, Ségou, Sikasso la tendance serait nettement en faveur de ATT. Mais une surprise est encore possible. On y croit un peu, chez les amis de Soumaïla Cissé. Ils n’excluent pas de profiter de la grande confiance en l’élection de ATT qui pourrait conduire les électeurs à ne pas se déplacer. La surprise créée par Jean-Marie Le Pen en France fait dire à certains supporters de Soumaïla Cissé que «tout est toujours possible lors d’une vote à bulletins secrets».



par Didier  Samson

Article publié le 13/05/2002