Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Congo démocratique

A Kisangani, une ville lasse de la guerre

Reportage dans une ville fatiguée de la guerre qui ravage le pays depuis cinq ans. Coupée du reste du pays par le blocage du fleuve, Kisangani aspire à la paix qui rendrait l’avenir porteur d’espérance.
De notre envoyé spécial

«Ici, si vous jetez une graine d’arachide, ça pousse. Nous avons notre jardin en bas. Nous venons de récolter et nous allons reprendre pour que les gens qui travaillent avec nous aient des légumes à manger». Bernard Labama n’est pas cultivateur de métier, il est professeur de médecine, précisément de gynécologie obstétrique, et recteur de l’Université de la ville de Kisangani, dans l’est de la RDC. Depuis cinq ans, depuis le début de la guerre civile, lui et ses collègues ne sont plus payés. Ils vivent des maigres subsides que leur fournissent les étudiants et de ce petit lopin de terre, juste sous les fenêtres du bâtiment administratif de l’Université.

Tout en parlant, Bernard Labama jette des coups d’oeil inquiets vers son jardin. «Je fais attention aux pilleurs, explique-t-il, aux voleurs qui veulent nous décourager». Kisangani, Chef-lieu de la Province orientale, troisième ville du pays, est administré par le RCD, le Rassemblement congolais pour la Démocratie, mouvement rebelle appuyé par le Rwanda. Il y a deux ans, la cité a été le théâtre d’affrontements sanglants entre les soldats rwandais et ougandais.

Des milliers de civils sont morts sous les bombes ou sous les balles des envahisseurs. Depuis, Kisangani s’est relevée. La vie a repris doucement. Mais la ville est toujours enclavée. On attend encore la reprise effective du trafic sur le fleuve Congo. L’activité économique tourne au ralenti, essentiellement basée sur le commerce vivrier. «Ici, on appelle ça, le Bosaséré, explique cet ancien employé, on achète des poissons qui viennent de la rivière et on les revend en ville, trois fois plus chers. Mais, il y a ceux qui ont la facilité d’amener des choses par avion, là, ça coûte très cher!».

Bloquée à Kisangani depuis cinq ans

En fait, les échanges par voie aérienne se limitent à quelques rotations avec le Rwanda. Toutes les communications avec les autres provinces sont coupées depuis 1997. Seuls, les avions de la MONUC en provenance de Kinshasa ou de Mbandaka, sont autorisés à atterrir, depuis l’arrivée des casques bleus, il y a un an. Des avions que Rachelle regarde passer dans le ciel avec envie. Cette commerçante de Kinshasa est bloquée à Kisangani, comme des milliers d’autres personnes. «Ca va faire cinq ans que je suis là, explique-t-elle, je suis arrivé pour mes affaires et quelques jours plus tard, la guerre éclatait et les aéroports ont été coupés. J’ai mon mari et mes enfants à Kinshasa. Je n’ai donné de mes nouvelles qu’une seule fois, par l’intermédiaire de l’Onu». Rachelle a pu s’installer chez des amis et vivre de la débrouille, comme tout le monde.

Mais il y a pire : ceux qui se sont réfugiés dans la forêt. Des milliers de personnes qui ont abandonné leurs villages, par crainte des militaires de tous bords. Mgr Kukia, un évêque protestant parcourt la région à vélo et à pied pour aller à leur rencontre et leur apporter quelques produits de base et des médicaments : «ils sont totalement délaissés, certains n’ont plus de vêtements, ils mangent ce qu’ils trouvent, sans sel, ni huile. Les soldats leur ont pris leurs bêtes, leurs vélos et leurs pirogues. Certains ont été réquisitionnés pour transporter du matériel». Heureusement, depuis l’arrivée des casques bleus, ces populations commencent peu à peu à regagner leurs villages.

Il est vrai que depuis ces derniers mois, les combats se sont déplacés vers l’Est. D’ailleurs, les troupes du RCD ne sont guère visibles en ville. Parmi les milliers de vélos, les rares véhicules que l’on croise sont les 4x4 ou les camions de la MONUC. A première vue, la ville semble tranquille, presque paisible. Une apparence trompeuse. En fait, la surveillance policière est constante. Le RCD ne tolère aucune opposition politique. Et la société civile, très présente à Kisangani, joue de fait presque malgré elle un rôle de contre-pouvoir. «Nous sommes sous un régime tyrannique, explique Edo Ponea, le secrétaire général du Groupe Paix sur Terre-Comité Kisangani pour la paix, la liberté d’expression n’existe pas, il n’y a pas de liberté de circulation. Il y aussi les enlèvements et les tortures».

Pour cette association de défense des Droits de l’Homme, comme pour toutes les autres composantes de la société civile de Kisangani, il est très difficile de travailler. «Lorsque nous venons aider des prisonniers, poursuit Edo Ponea, le RCD nous accuse de faire de la politique, d’appeler la population à la désobéissance civile. Ils font l’amalgame entre politique et défense des Droits de l’Homme». Pourtant, la société civile est bien présente. Ses leaders sont surveillés certes, mais pas persécutés. Pour Blaise Baïsé, président du Réseau provincial des ONG des Droits de l’Homme, la raison en est simple: «c’est notre grâce. Nous disons ce que veut la population, qu’il faut arrêter la guerre. Tout le monde est d’accord avec nous, et cela, le RCD le sait. S’ils arrêtaient nos leaders, alors les gens se soulèveraient. Et ce serait la catastrophe!».

De son côté, le RCD se réclame aussi du peuple. Il a mis en place une Assemblée provinciale, dont il a nommé tous les membres. Son président, le professeur Habibi explique que le «Rassemblement a fourni un effort réel pour restituer le pouvoir au peuple. Certes, cette assemblée n’a pas été élue, poursuit-il, mais après une tempête, on ne sélectionne pas les élites d’une communauté entre tous les citoyens, mais à partir des intellectuels disponibles».

Et l’avenir ? Quid du dialogue inter-congolais de Sun City ? Pour Blaise Baïsé, comme pour les autres leaders de la société civile, c’est la déception. «Nous n’avons jamais cru à un dialogue organisé pendant que les troupes rwandaises et ougandaises occupent toujours le territoire national». Quant à l’alliance entre le RCD et l’UDPS, le parti d’opposition d’Etienne Tshisekedi, la société civile rejette formellement son installation à Kisangani. «Il est regrettable que pendant que la population attend la démilitarisation effective de cette ville ainsi que sa reconstruction , des politiciens comme Tshisekedi cherchent à installer cette alliance ici pour y attirer encore une autre guerre». En fait, toutes les associations de Kisangani souhaitent que les armes se taisent enfin, quitte à ce que le RCD se rallie à l’accord de Sun City en rejoignant l’autre groupe rebelle, le MLC, signataire d’un accord d’union avec les autorités de Kinshasa.

Loin de ces arguties politiques, depuis son bureau de l’Université, le professeur Labama continue de surveiller son jardin. Lui aussi réfléchit à l’avenir du pays. Mais il se place au-dessus de la mêlée. «Notre génération est une génération sacrifiée, explique-t-il, mais la vie doit continuer. Il faut que nos enseignants forment la jeunesse, les cadres de demain, pour qu’il y ait une vie meilleure pour nos enfants». Sans argent, sans moyens, l’Université de Kisangani a accueilli cette année plus de trois mille étudiants.

Ecouter également:
Les reportages de Frédéric Couteau

Le fleuve Congo: l'artère vitale paralysée d'un pays asphyxié
15 avril 2002 3'53"

Kinshasa: fonctionnaires sans salaire
16 avril 2002 3'52"

Le calvaire des "enfants-sorciers"
17 avril 2002


par Frédéric  Couteau

Article publié le 07/05/2002