Proche-Orient
Au barrage, la haine sans retenue
Les points de contrôle de l’armée israélienne se multiplient aux entrées des villes palestiniennes et renforcent chaque jour les difficultés de circulation pour les Palestiniens. Sur ces check-points , la tension attise la haine.
De notre correspondant dans les Territoires palestiniens
En freinant devant le check-point, le conducteur du taxi s’est exclamé à l’intention des passagers: «Bienvenue à Tora Bora». Abdel Atef, sa femme et leurs trois enfants ont souri puis sont descendus du véhicule, les mains pleines de paquets. Devant eux, Qalandia, le portail militarisé de Ramallah. Avant l’Intifada, ce n’était qu’un point de passage parmi d’autres, une vague chicane de béton, surveillée par deux soldats distraits. En l’espace de quelques mois, Qalandia a été transformé en un corridor grillagé de deux cents mètres, flanqué de projecteurs, de casemates de snipers et de rouleaux de barbelés. Implanté au carrefour des routes de Naplouse et de Jérusalem, fermé la nuit, ouvert le jour selon l’humeur de l’armée, il est devenu le symbole numéro un du verrouillage de la Cisjordanie par l’armée israélienne.
Une trentaine de Palestiniens piétinent devant l’entrée sous un soleil de plomb. Ils sont maintenus à distance par deux soldats israéliens le doigt sur la gâchette de leur M16. «Il est 17h, soupire Abdel Atef, un instituteur retraité. Nous sommes partis de Beit Hour pour Ramallah ce matin à 11h. A cause des check-points et des barrages, nous avons dû changer cinq fois de taxi. Pour faire un trajet d’une cinquantaine de kilomètres, nous avons mis plus de cinq heures et payé 200 shekels (environ 50 euros) au lieu de 25 (environ 7 euros)». D’un mouvement de la main, le soldat fait signe aux Palestiniens d’avancer. Un par un. En écartant les revers de leur veste ou en soulevant leur tee-shirt pour montrer qu’ils ne portent pas de ceintures d’explosifs. Arrivés à une guérite de béton, les Palestiniens doivent présenter leur carte d’identité.
Les titulaires de documents bleus sont les mieux traités. Nés à Jérusalem, ils sont considérés comme résidents d’Israël depuis que l’Etat hébreu a officiellement annexé la Ville Sainte. Pour peu qu’ils ne soient pas recherchés, ils sont autorisés à entrer dans Ramallah. A condition d’être patients. «Hier j’ai attendu 4 heures au volant de mon camion, raconte Mohamed Mansour, 32 ans, le patron d’une entreprise d’huile de moteur. Lorsque mon tour est arrivé, il était trop tard, les soldats m’ont obligé à faire demi-tour». Du coup, beaucoup d’habitants ont changé leur mode de vie. «J’ai loué un appartement à Jérusalem, raconte Naal Abou Leïla, un chauffeur de taxi de 36 ans. Je ne viens plus à Ramallah qu’une fois par semaine, pour vérifier que tout va bien dans ma maison. Si je devais passer par le check-point tous les jours, j’aurais perdu mon boulot depuis longtemps».
Des itinéraires de contournement
Les détenteurs de papiers orange ou vert, n’ont plus ces soucis. Nés en Cisjordanie, ils sont de facto interdits de déplacement dans les territoires «pour des raisons sécuritaires», avance l’armée. Une explication qui fait sourire lorsque l’on sait qu’à chaque check-point, les Palestiniens ont inventé un itinéraire bis, au vu et au su des soldats. «Pour court-circuiter Qalandia, on peut passer par la carrière juste derrière le check-point, raconte Hisham El Nigm, un étudiant en mécanique de 22 ans. C’est très rapide mais risqué. Ceux qui se font prendre, sont détenus pendant douze heures et parfois battus. La variante la plus sûre, c’est à travers les collines. Le seul désavantage c’est que c’est très long».
La file d’attente enfle de minute en minute. Les sentinelles installées à l’ombre d’un auvent, accoudées contre des sacs de sable, ne paraissent pas pressées de faire rentrer les Palestiniens. «C’est la première fois que je reviens ici depuis trois ans, lâche Ghassam, un homme d’affaires de Chicago. C’est une situation de fou. Ce salopard de soldat va-t-il enfin se décider à nous laisser passer?». Soudain le ton monte. En tête de la file d’attente, un Palestinien a asséné un coup de poing à un militaire qui vient de le refouler brutalement. Aussitôt quatre soldats se jettent sur l’audacieux. Les coups de crosse pleuvent. «Je vais le calmer, ne le frappez pas, par pitié, je vais le calmer», hurle son frère. Des adolescents tentent de s’interposer. La bagarre menace de virer en mêlée généralisée. Alors, l’officier du check-point lâche une rafale en l’air puis il met en joue la foule agglutinée devant les barbelés: «Vous ne bougez pas», hurle-t-il. Mais, le Palestinien, le visage strié de sang, a réussi à s’échapper. Il slalome entre les voitures pour échapper aux deux soldats lancés à ses trousses. «Il va se faire tuer, c’est sûr», murmure Hisham. Deux coups claquent. L’homme, touché à la jambe, sera finalement évacué vers un hôpital militaire israélien.
En guise de sanction, les soldats tendent un rouleau de barbelés au pied des palestiniens. Check-point fermé. Pour dompter la foule grosse d’environ deux cents personnes, l’un d’eux jette une grenade lacrymogène en plein milieu. Les gens refluent en désordre, des femmes crient. «C’est de la punition collective, une autre forme de massacre, maugrée Mohamed Mansour. Vous croyez que ces pauvres gens sont des terroristes? Les soldats sont là pour humilier tous ceux qui ont une tête d’arabe». Deux heures plus tard, le check point est rouvert au compte goutte. Abdel Atef et sa famille n’ont pas attendu. Ils ont pris un taxi qui en une heure trente, au prix de rodéos improbable sur des sentiers de fortune, les a déposés à l’entrée de Ramallah. Fin du voyage.
En freinant devant le check-point, le conducteur du taxi s’est exclamé à l’intention des passagers: «Bienvenue à Tora Bora». Abdel Atef, sa femme et leurs trois enfants ont souri puis sont descendus du véhicule, les mains pleines de paquets. Devant eux, Qalandia, le portail militarisé de Ramallah. Avant l’Intifada, ce n’était qu’un point de passage parmi d’autres, une vague chicane de béton, surveillée par deux soldats distraits. En l’espace de quelques mois, Qalandia a été transformé en un corridor grillagé de deux cents mètres, flanqué de projecteurs, de casemates de snipers et de rouleaux de barbelés. Implanté au carrefour des routes de Naplouse et de Jérusalem, fermé la nuit, ouvert le jour selon l’humeur de l’armée, il est devenu le symbole numéro un du verrouillage de la Cisjordanie par l’armée israélienne.
Une trentaine de Palestiniens piétinent devant l’entrée sous un soleil de plomb. Ils sont maintenus à distance par deux soldats israéliens le doigt sur la gâchette de leur M16. «Il est 17h, soupire Abdel Atef, un instituteur retraité. Nous sommes partis de Beit Hour pour Ramallah ce matin à 11h. A cause des check-points et des barrages, nous avons dû changer cinq fois de taxi. Pour faire un trajet d’une cinquantaine de kilomètres, nous avons mis plus de cinq heures et payé 200 shekels (environ 50 euros) au lieu de 25 (environ 7 euros)». D’un mouvement de la main, le soldat fait signe aux Palestiniens d’avancer. Un par un. En écartant les revers de leur veste ou en soulevant leur tee-shirt pour montrer qu’ils ne portent pas de ceintures d’explosifs. Arrivés à une guérite de béton, les Palestiniens doivent présenter leur carte d’identité.
Les titulaires de documents bleus sont les mieux traités. Nés à Jérusalem, ils sont considérés comme résidents d’Israël depuis que l’Etat hébreu a officiellement annexé la Ville Sainte. Pour peu qu’ils ne soient pas recherchés, ils sont autorisés à entrer dans Ramallah. A condition d’être patients. «Hier j’ai attendu 4 heures au volant de mon camion, raconte Mohamed Mansour, 32 ans, le patron d’une entreprise d’huile de moteur. Lorsque mon tour est arrivé, il était trop tard, les soldats m’ont obligé à faire demi-tour». Du coup, beaucoup d’habitants ont changé leur mode de vie. «J’ai loué un appartement à Jérusalem, raconte Naal Abou Leïla, un chauffeur de taxi de 36 ans. Je ne viens plus à Ramallah qu’une fois par semaine, pour vérifier que tout va bien dans ma maison. Si je devais passer par le check-point tous les jours, j’aurais perdu mon boulot depuis longtemps».
Des itinéraires de contournement
Les détenteurs de papiers orange ou vert, n’ont plus ces soucis. Nés en Cisjordanie, ils sont de facto interdits de déplacement dans les territoires «pour des raisons sécuritaires», avance l’armée. Une explication qui fait sourire lorsque l’on sait qu’à chaque check-point, les Palestiniens ont inventé un itinéraire bis, au vu et au su des soldats. «Pour court-circuiter Qalandia, on peut passer par la carrière juste derrière le check-point, raconte Hisham El Nigm, un étudiant en mécanique de 22 ans. C’est très rapide mais risqué. Ceux qui se font prendre, sont détenus pendant douze heures et parfois battus. La variante la plus sûre, c’est à travers les collines. Le seul désavantage c’est que c’est très long».
La file d’attente enfle de minute en minute. Les sentinelles installées à l’ombre d’un auvent, accoudées contre des sacs de sable, ne paraissent pas pressées de faire rentrer les Palestiniens. «C’est la première fois que je reviens ici depuis trois ans, lâche Ghassam, un homme d’affaires de Chicago. C’est une situation de fou. Ce salopard de soldat va-t-il enfin se décider à nous laisser passer?». Soudain le ton monte. En tête de la file d’attente, un Palestinien a asséné un coup de poing à un militaire qui vient de le refouler brutalement. Aussitôt quatre soldats se jettent sur l’audacieux. Les coups de crosse pleuvent. «Je vais le calmer, ne le frappez pas, par pitié, je vais le calmer», hurle son frère. Des adolescents tentent de s’interposer. La bagarre menace de virer en mêlée généralisée. Alors, l’officier du check-point lâche une rafale en l’air puis il met en joue la foule agglutinée devant les barbelés: «Vous ne bougez pas», hurle-t-il. Mais, le Palestinien, le visage strié de sang, a réussi à s’échapper. Il slalome entre les voitures pour échapper aux deux soldats lancés à ses trousses. «Il va se faire tuer, c’est sûr», murmure Hisham. Deux coups claquent. L’homme, touché à la jambe, sera finalement évacué vers un hôpital militaire israélien.
En guise de sanction, les soldats tendent un rouleau de barbelés au pied des palestiniens. Check-point fermé. Pour dompter la foule grosse d’environ deux cents personnes, l’un d’eux jette une grenade lacrymogène en plein milieu. Les gens refluent en désordre, des femmes crient. «C’est de la punition collective, une autre forme de massacre, maugrée Mohamed Mansour. Vous croyez que ces pauvres gens sont des terroristes? Les soldats sont là pour humilier tous ceux qui ont une tête d’arabe». Deux heures plus tard, le check point est rouvert au compte goutte. Abdel Atef et sa famille n’ont pas attendu. Ils ont pris un taxi qui en une heure trente, au prix de rodéos improbable sur des sentiers de fortune, les a déposés à l’entrée de Ramallah. Fin du voyage.
par Benjamin Barthe
Article publié le 27/05/2002