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Mali

ATT, des armes aux urnes

Amadou Toumani Touré, n’a que 54 ans et déjà fait figure de sage africain. Mais ATT, comme on l’appelle affectueusement, malgré son jeune âge a une expérience de vie publique et politique dense qui lui fait occuper ce rang de choix tant au Mali que dans toute l’Afrique.
Rien ne prédestine Amadou Toumani Touré à un grand destin. Mais dès 1991, sa paisible carrière de militaire prend un virage qui le propulse au devant de la scène politique. Le 26 mars 1991, il prend la tête d’une opération militaire qui renverse le général Moussa Traoré. Le Mali découvre ce jour un jeune lieutenant-colonel qui met fin à 23 années de dictature. Ce 26 mars 1991 tourne la page de plusieurs semaines de répressions violentes des manifestations de travailleurs et d’étudiants qui réclament des conditions de vie meilleure. La garde présidentielle, une unité militaire d’élite tirent à balles réelles dans la foule des manifestants, faisant plusieurs dizaines de morts. Amadou Toumani Touré confiera plus tard qu’il ne pouvait plus en tant que soldat, «regarder les populations civiles, se faire tuer sans réagir».

En prenant le pouvoir, il donne tout de suite une idée de ce que sera sa mission, par le nom donné au groupe de militaires «putschistes» qu’il dirige: Comité de réconciliation nationale (CNR), le nouvel exécutif du pays. Dès le 29 mars le CNR se mue en Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP). Des civils issus du mouvement associatif, (les partis politiques sont interdits), pouvent alors siéger aux côtés des officiers dans un nouveau gouvernement. Dès lors, quatorze mois de transition vont jeter les bases de la 3ème république malienne. Plongés dans une douce béatitude, les Maliens découvrent et apprécient les espaces de liberté et d’expression qu’un Etat peut instaurer et garantir. Les qualités de négociateur de ATT ont permis au Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP) de soumettre au peuple, et à un rythme soutenu, des mesures pour l’instauration d’un régime démocratique: tenue d’une conférence nationale, dont il dirige les travaux, (cas unique en Afrique où le président de la république préside la conférence nationale), charte des partis politiques, suppression des juridictions d’exception, projet de constitution, code électoral, liberté de la presse, signature d’un pacte de paix avec la rébellion touarègue dans le nord du pays, référendum constitutionnel, élections municipales, élections législatives et enfin élection présidentielle en avril 1992 à laquelle, bien entendu, il ne participe pas. C’est aussi une première en Afrique.

L’homme impressionne par sa qualité de travail et son dévouement. Il engage une politique d’ouverture et de dialogue à travers des actes politiques qui s’apparentent à un programme pédagogique. Son premier métier d'instituteur lui a certainement fourni les armes, mieux que sa formation militaire, pour conduire la transition politique au Mali. Il n’a pratiquement pas exercé ce métier d’enseignant avant de s’engager dans l’académie militaire de Kati (Mali) en 1969. Il en sort en 1972 avec un grade de lieutenant avant de s’embarquer pour l’Union soviétique et la France où il reçoit une formation en état-major. Dès son retour au Mali, il commande la garde présidentielle mais revient en France en 1990 pour suivre une formation à l’Ecole supérieure de guerre à Paris.

Un an plus tard le jeune lieutenant-colonel est de retour pour servir dans les armes, mais les événements politiques dans son pays ne laissent plus indifférent. «J’avais honte d’être officier de l’armée. Moussa Traoré ne servait plus les intérêts du pays» dit-il pour justifier l’intervention des officiers supérieurs qu’il a conduite. Certains soldats restés fidèles au général Moussa Traoré qualifient cette opération de «trahison» et lui reprochent encore aujourd’hui d’avoir abusé de la confiance du général-président «qui a fait sa carrière». Déçu de n’avoir pas reçu une promotion, à son retour de l’Ecole de guerre en France, il est amer sur la conduite des affaires du pays. Le putsch du 26 mars y trouverait aussi un début d’explication.

Mais il a su faire accepter au commun des Maliens que ces réserves et critiques ne sont que pures médisances, en faisant de la paix et de la justice sociale les axes prioritaires de son passage à la tête de l’Etat. Et pour marquer les esprits, son dernier acte politique au Mali s’est conclu par la signature du Pacte social pour l’amélioration des conditions de travail et de vie des travailleurs, entre l’Etat et les syndicats. Sa réputation franchit les frontières de son pays et le prépare à une carrière internationale.

L’ancien président Jimmy Carter, ne lui laisse point le temps de la réflexion. Il sollicite ses compétences et services, cinq mois seulement après son départ du pouvoir, pour des œuvres humanitaires. Et le revoilà parti pour de nouveaux défis. En août 1993, il crée sa propre Fondation pour l’enfance, avec le soutien de son épouse, elle-même sage-femme. En regardant leurs trois enfants grandir c’est aussi aux «petits Maliens» qu’il pense. «Aujourd’hui, l’avenir des enfants grandissant dans nos villes en expansion non contrôlée, tend à devenir beaucoup plus difficile que celui des parents ayant grandi le plus souvent à l’abri de valeurs et de styles de vie traditionnels procurant un filet de sécurité sociale».

Le soldat de l’humanitaire

Sollicité par l’Organisation mondiale de la santé, il est membre du Comité international pour la lutte contre la poliomyélite en Afrique et parraine des actions ponctuelles d’organisations non gouvernementales à travers le monde et qui travaillent en direction de l’Afrique. Les membres du Réseau interafricain en faveur des enfants de la rue, le portent à la présidence de leur mouvement. Bref, le général en disponibilité de l’armée de son pays se reconvertit progressivement à l’action humanitaire avant d’être rattrapé par la politique. «La culture de la démocratie et la paix doivent occuper constamment notre esprit» disait-il, lorsqu’il était encore président du Mali. Les instances onusiennes et l’OUA s’en sont souvenues et se sont rappelées au bon souvenir de l’homme politique qui savait jouer avec le temps sans brûler les étapes tout en orchestrant un changement radical de comportement. Ils lui confient des missions de médiation en République centrafricaine, en prise à des mutineries, dans la région des Grands lacs où les pays sont en guerre. Il participe également aux commissions d’observation des élections en peu partout en Afrique. A ce titre l’Observatoire panafricain de la démocratie lui décerne en 1996 une distinction de «promoteur de la culture de la démocratie en Afrique». En juillet 2001, il reçoit les félicitations spéciales du Conseil de sécurité de l’ONU et de son secrétaire général pour la «qualité» de la conduite de toues les missions qui lui ont été confiées.

Ces félicitations qui sont pour lui une satisfaction personnelle ont, par ailleurs, pris la forme de remerciement pour solde de tout compte. Dégagé de toues ses «obligations» internationales, il se dégage aussi, quelque temps plus tard, de ses «obligations militaires» en donnant sa démission de l’armée malienne. Le futur candidat à l’élection présidentielle prend ainsi date pour un nouveau challenge. Mais les défis ne sont plus les mêmes. L’homme intègre, volontiers appelé «sage», immergé dans l’arène politique pourra-t-il résister longtemps aux intrigues politiciennes où les «combines» font partie du jeu ? Ce militaire (para-commando) qui n’a rien d’un tueur risque de s’y «brûler les ailes» disent ses amis restés membres d’organisations humanitaires et non gouvernementales. «ATT est volontaire et courageux. Il n’a pas peur d’aller au feu» précisent-ils. C’est peut-être cette culture militaire qui s’additionne à ses propres qualités humaines pour faire de lui un homme d’exception. Mais ses adversaires disent de lui qu’il est fin calculateur. Sa carrière internationale est «savamment orchestrée» en vu d’un retour programmé de longue date.



par Didier  Samson

Article publié le 16/05/2002