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Congo démocratique

Le pillage se poursuit en RDC

Selon un rapport intérimaire du Groupe d'experts sur l'exploitation illégale des ressources naturelles de la République démocratique du Congo, le pillage se poursuit, alimentant le conflit armé. Les experts de l'ONU s'inquiètent du rôle de groupes criminels cherchant à blanchir de l'argent, et détaillent les conséquences humanitaires catastrophiques pour la population.

De notre correspondant à New York

La troisième série d'enquêtes de l'ONU sur l'exploitation des richesses de la République Démocratique du Congo est sans surprise : le pillage se poursuit allègrement, non seulement par les alliés et les ennemis du gouvernement congolais, mais aussi par des réseaux criminels hors d'Afrique qui cherchent à blanchir leur argent. «Le Groupe est enclin à penser que l'exploitation illégale des ressources congolaises se poursuit et qu'elle se renforce même dans de nombreux domaines» écrivent les enquêteurs, dirigés par l'Egyptien Mahmoud Kassem.

En avril l'an dernier, le premier rapport de l'ONU sur le sujet avait créé un électrochoc. «La guerre en RDC est devenue une 'affaire' très lucrative», expliquait-on. A partir de 1997-1998, les exportations ougandaises d'or et de diamant ont explosé, alors que le pays ne produit ni l'un ni l'autre. Idem pour le Rwanda et le Burundi. Les experts relevaient alors que le pillage des l'est du Congo démocratique par des armées d'occupation «au service du commerce» alimentait la poursuite du conflit. Le processus est toujours le même : les armées étrangères se «payent» sur les ressources naturelles, en percevant des taxes ou en établissant des monopoles. Les rebelles (MLC/FLC et RCD-Goma) prélèvent aussi «un impôt de guerre» et participent à la curée. Le Zimbabwe ami reste intéressé à l'exploitation des ressources, de même, dans une moindre mesure, que l'Angola et la Namibie. Les experts mandatés par le Conseil de sécurité étaient en avril remontés jusqu'aux sommets des Etats. «Les présidents Kagamé et Museveni sont sur le point de devenir les parrains de l'exploitation illégale», expliquait le rapport, sans confirmer les allégations d'implication directe. Le nouveau rapport intérimaire ne cite cette fois aucun nom.

Des réseaux criminels se sont implantés

En revanche, le rapport évoque cette fois «des indices qui donnent à penser que des réseaux criminels d'autres pays et régions d'Afrique et de l'extérieur se sont implantés dans la région des Grands Lacs», pour «utiliser le commerce de certaines ressources de la RDC pour blanchir de l'argent». De manière un peu mystérieuse, le groupe d'experts parle d'un «réseau de criminalité organisé qui s'est occupé de l'extraction des ressources congolaises» et de leur exportation, parallèlement à «l'importation d'armes dans le pays.» Toujours très vague, il affirme que «des ressources minérales précieuses auraient commencé à être utilisées pour certaines transactions, à la place de monnaies fortes que les institutions financières et les gouvernements peuvent plus facilement repérer

Alors que les prix de la colombotantalite (coltan, utilisé par exemple dans des téléphones portables) ont fortement baissé, l'extraction et l'exportation de ce produit se poursuit dans l'est du pays. Les experts affirment «mieux comprendre la diversité du rôle des armées étrangères, des groupes d'opposition armée étrangers, des groupes de rebelles congolais et des groupes Maï-Maï», sans toutefois détailler les fonctions de chacun. Les enquêteurs de l'ONU s'efforcent notamment de déjouer les itinéraires commerciaux des produits congolais, «réétiquetés en transit afin de masquer leur origine».

Ils notent que des deux côtés de la ligne de cessez-le-feu, les armées étrangères ont renforcé leur présence et la lutte pour le contrôle des ressources naturelles. Avec les alliés de l'ouest du pays, cette exploitation est plutôt discrète et pacifique. «Alors que le Zimbabwe a officiellement déclaré avoir retiré d'importants effectifs au cours des 18 mois écoulés, le Groupe d'experts a reçu des rapports selon lesquels de nouveaux contingents ont été envoyés dans des régions comme le Kasaï, où les parties zimbabwéennes continuent d'exploiter des mines de diamants» dénonce le rapport qui précise toutefois que «la recherche des ressources naturelles dans l'est du pays se caractérise par des affrontements armés». Dans le Nord-Est, selon le rapport, «de violents conflits armés ont éclaté, opposant essentiellement les trois groupes rebelles congolais soutenus par l'Ouganda» (MLC, RCD-National et RCD-ML) parfois avec l'intervention des soldats ougandais. Les combats concernaient des gisements de diamant, de coltan, de cassitérite ou de bois. Dans le sud du pays, «le RCD-Goma et l'armée patriotique rwandaise semblent prendre le contrôle de nouveaux territoires, saisir de nouveaux avoirs, percevoir des recettes fiscales et exploiter de nouvelles richesses minières». Et ce, en dépit du harcèlement de divers groupes Maï-Maï.

Pour les populations civiles, les conséquences de ces combats sont catastrophiques et se traduisent par de nombreuses victimes, des déplacements forcés et massifs de population et une aggravation de l'insécurité alimentaire, notamment dans la Province orientale et les Kivus (15% de la population déplacés ces 18 derniers mois). La situation est aggravée par le refus des groupes armés d'assurer la sécurité des humanitaires. «Les populations locales, y compris des enfants, sont recrutés dans plusieurs régions par des groupes armés pour exploiter les ressources», relèvent les experts, selon lesquels les infrastructures agricoles sont parfois détruites pour «contraindre les populations locales à participer aux activités extractives». L'économie locale est «paralysée par une fiscalité excessive, des ponctions sur les recettes, la réquisition des avoirs et le contrôle accru des échanges commerciaux par les militaires étrangers et locaux.» Les services publics sont laissés à l'abandon, et les fonctionnaires ne touchent plus de salaires (y compris les polices locales). Le chômage grimpe en flèche (90% dans certaines régions), de même que la malnutrition et les taux de mortalité qui «dans les zones de conflit de l'est du Congo sont parmi les plus élevés au monde». Les parcs nationaux de l'est du pays sont également exploités (braconnage des éléphants pour l'ivoire) «sous le contrôle d'armées étrangères».

Non sans malice, le groupe d'experts souligne que «les trois principales parties belligérantes font preuve de la plus grande résistance» à aborder la question du pillage des ressources naturelles dans le cadre du dialogue intercongolais. Ils seront peut-être contraints à dévoiler leurs batteries par le rapport final des experts de l'ONU. Le document qui pourrait être prêt dès la fin de l'été, promet d'être beaucoup plus détaillé.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 31/05/2002