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Angola

Une catastrophe humanitaire guette

L’UNITA, ex-mouvement rebelle et le gouvernement angolais viennent de signer, le 4 avril, un accord de paix. Mais après la guerre une autre catastrophe humanitaire menace maintenant l’Angola. C’est le constat que fait Alvaro Morna, journaliste à la rédaction lusophone de Radio France Internationale, de retour d’Angola.
RFI: Vous revenez d’Angola après la signature de l’accord de cessez-le-feu, le 4 avril, entre le gouvernement et l’ex-mouvement rebelle UNITA. Qu’avez-vous vu et constaté ?
Alvaro Morna:
J’ai eu l’occasion d’aller dans une région au centre de l’Angola, près de la ville de Huambo, une ville complètement détruite, prise et reprise par les deux parties en conflit, et puis je suis allé avec l’organisation Médecins sans frontières (MSF) dans un camp de déplacés, à une centaine de kilomètres de Ouambo et j’ai pu constater une situation de catastrophe, tragique pour des milliers de personnes. Selon MSF il y aurait au moins 14 000 personnes complètement oubliées et complètement ignorées de tous et toutes les organisations humanitaires. Ces personnes ne reçoivent aucune aide de nulle part. Il n’y a que MSF qui s’est rendue sur les lieux pour apporter une aide médicale d’urgence à des gens qui meurent tous les jours.

RFI: Comment vivaient ces populations prises entre deux feux et qui semblaient donc bien coupées du monde extérieur ?
A M:
Ces populations vivaient dans la brousse de cueillette, de racines et de feuilles. Elle n’avaient strictement rien à manger. Elles ne pouvaient pas cultiver. Les terres étaient minées. Le Programme alimentaire mondial (PAM) et d’autres agences humanitaires considèrent que cette zone est encore dans un périmètre qui n’offre pas toutes les garanties sur le plan de la sécurité pour une intervention internationale d’envergure. Je précise que MSF a pu faire ses premières interventions grâce à la souplesse de ses structures et surtout par le courage de ses agents qui ont pris de gros risques pour aller au secours des gens qui meurent tous les jours.

RFI: Les populations civiles vivent des situations très difficiles mais les anciens combattants rebelles ne seraient-ils pas aussi dans une situation très précaire dans les camps ouverts pour les accueillir, les désarmer et organiser leur réinsertion dans la vie normale ?
A M:
Je n’ai pas pu interroger personnellement d’anciens militaires de l’UNITA, ni leurs familles, mais selon les informations que j’ai pu regrouper, dans certaines régions dans le nord, par exemple à Malanje, les conditions de vie seraient très précaires dans les camps. Il ne faut pas oublier que l’accord de paix prévoit l’installations de ces gens, qui représentent plus de 350 000 personnes, dans des camps où les conditions de vie seraient dignes. D’après des observateurs ce serait d’ailleurs la condition sine qua non pour que la paix soit maintenue. Si on n’offre pas des conditions dignes à des anciens combattants de l’UNITA et à leurs familles , ils se sentiraient comme des bêtes blessées et partiront de ces camps, reprendront certainement des armes, probablement cachées dans la forêt, et se constitueraient en bandes armées, attaqueront des convois humanitaires, des villages pour survivre. Et il y aurait une tragédie en plus dans un pays qui ne compte plus ses morts.

Ex-rebelles et civiles: même combat

RFI: Les populations civiles et les anciens rebelles se retrouvent-ils paradoxalement, à vivre la même angoisse de l’avenir ?
A.M:
Pour ce que j’ai pu observer la situation dans les camps de cantonnement est à peu de choses près la même que celle dans les camps de déplacés. Malheureusement le nombre des personnes déplacées s’accroît tous les jours et complique davantage les opérations de secours. Dans ce pays, on compte entre trois et quatre millions le nombre de personnes qui vivent dans les camps de réfugiés. Cela donne la dimension de la tragédie que vit le peuple angolais en ce moment.

RFI: Avez-vous remarqué des mesures concrètes prises par le gouvernement pour pallier rapidement ces difficultés ?
A.M:
Pratiquement aucune ! Le gouvernement semble bien dépassé par les événements. Les autorités ont, dans certaines régions, tout simplement oublié d’entretenir sur dans tous les domaines les camps qu’elles ont elles-mêmes ouverts. A Chipindo par exemple, on a découvert 20 000 personnes qui n’ont strictement rien à manger. On m’a rapporté sur place que la situation était pire dans de nombreux autres camps où on meurt tous les jours.

RFI: Après ces constats et états des lieux, y-a-t-il aujourd’hui des plans de sauvetage concrets ?
A.M:
Il y a eu des mesures exploratoires du PAM, mais cette organisation est un appareil très lourd de l’ONU. Il fera un rapport qui sera adressé à New York, que des experts étudieront avant de prendre des décisions. Alors que la demande est toute simple, les gens veulent manger point. Par ailleurs MSF bien que présente concrètement n’a pas vocation à nourrir mais à soigner. C’est pour cela que les demandes des organisations humanitaires doivent être prises en compte assez rapidement avec une urgence absolue pour que ces populations soient sauvées.

RFI: Quelle est la capacité de réaction du gouvernement angolais avant que les opérations humanitaires de grandes envergures ne soient déclenchées ?
A.M:
C’est la grande question. La capacité de réponse du gouvernement. J’ai pu, lors de mon séjour, discuter avec des ministres et des hauts fonctionnaires. Ils montrent tous leur grande préoccupation, mais l’entreprise est d’une telle taille aujourd’hui qu’on se demande si le gouvernement n’avait pas pu ou n’avait pas su apporter un début de réponse quand il le fallait. Plus de 350 000 soldats de l’UNITA et leur famille, 3 à 4 millions de personnes au bord de la famine, sont dans une situation de nécessité absolue. Par ailleurs, les bailleurs de fonds et les pays donateurs sont de plus en plus réticents à donner de l’argent à l’Angola. Ils disent qu’ils ont déjà suffisamment fait par le passé sans que rien n’ait vraiment changé. Ils disent aussi que l’Angola est un pays riche, exportateur de pétrole, de diamant et d’autres minerais rares. Et cette attitude contribue aussi à mettre aujourd’hui l’Angola dans une situation catastrophique. Le pays est au bord du gouffre.

RFI: La préservation de la paix dans ce pays passe-t-elle nécessairement par le règlement de la question humanitaire ?
A.M:
Les responsables du PAM m’ont clairement avoué que les stocks dont ils disposent ne suffisent aux besoins auxquels ils sont confrontés. Sans le sursaut de la communauté internationale, ils seraient bientôt obligés de réduire la ration des uns pour alimenter les autres. Dans ces conditions on tombe inévitablement dans une spirale dangereuse où l’insécurité grandit, où des bandes armées organisent des trafics. Bref, on imagine bien le chaos dans lequel le pays pourrait replonger, si rien n’est immédiatement entrepris par la communauté internationale.



par Propos recueillis par Didier  Samson

Article publié le 09/05/2002