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Comores

Azali rempile pour quatre ans

La nouvelle commission d’homologation a enfin validé le scrutin du 14 avril 2002. Le colonel Azali avait en effet annoncé une large victoire au sortir du second tour, sans attendre la publication des résultats officiels. La déception est grande pour les clans Mradabi et Kemal, les deux challengers, qui avaient introduit un recours en annulation des résultats.
La commission a tranché. «Le colonel Azali Assoumani, qui a obtenu le plus grand nombre de voix, est élu président de l’Union des Comores». Cette décision met fin à un imbroglio politique, devant lequel Mradabi et Kemal, les deux adversaires du colonel, se sont montrés «intraitables». Ils n’ont cessé d’exiger l’annulation pure et simple des résultats. Insistant sur les irrégularités du marathon électoral entamé il y a moins de deux mois, ils accusent aujourd’hui les représentants de la communauté internationale de favoritisme envers le gagnant. L’ancienne commission nationale électorale indépendante et d’homologation (CNEIH) avait fini par leur donner donné raison, en invalidant le résultat du 14 avril. Mais elle été dissoute le 23 avril pour «incapacité» et «incompétence» par le comité de suivi, organe suprême chargé de mener à bien le processus institutionnel, initié par l’Accord-cadre de réconciliation nationale, conclu le 17 février 2001 par les différents représentants des trois îles des Comores indépendantes, sous l’égide de l’organisation de l’unité africaine (OUA) et de l’Organisation de la Francophonie (OIF).

La nouvelle commission (CH) désignée par le comité de suivi et la commission tripartite a donc finalement donné raison au clan Azali. Ce qui correspond à donner quatre années supplémentaires à un homme, dont la communauté internationale avait au départ condamné l’apparition à la tête de l’État comorien en avril 1999. Il avait en effet pris le pouvoir à l’époque par la force. Putschiste, il déclarait vouloir mener le processus de réconciliation nationale à son terme, un dossier sur lequel l’ensemble de la classe politique, hormis quelques éléments de la société civile, avait buté. Déployant des efforts conséquents en milieu diplomatique, le colonel et son équipe sont arrivés à forcer la confiance des représentants de l’OUA, de l’OIF et de l’Union Européenne et à devenir les garants de l’équilibre institutionnel en train d’être rétabli. Soutenu financièrement et politiquement par ces différents partenaires, le processus en cours visait à sortir le pays d’une crise ouverte par la déclaration unilatérale d’indépendance de l’île d’Anjouan en 1997. Multipliant les professions de foi, le colonel Azali avait promis ensuite de rendre le pouvoir aux civils, une fois que l’échéance d’une élection présidentielle du nouvel ensemble comorien en constitution (le NEC) se présenterait.

La classe politique disqualifiée

Il n’en était pas à sa première promesse. En 1999 déjà, il s’était engagé à quitter le pouvoir moins d’une année plus tard. Il n’en a rien fait. Sa décision de se présenter aux élections, prise en janvier dernier, n’a donc étonné personne. Confiant, le milieu politique comorien, multipliant les attaques contre sa gestion du pays durant près de trois ans, a néanmoins consenti à entrer en course avec lui. Accusé de fraude suite à des «anomalies» au premier tour, Azali s’est quand même présenté au second, où il a emporté selon la nouvelle commission d’homologation (CH) la majorité des voix, sur un scrutin qui n’a déplacé que moins de 40% des électeurs inscrits. Ayant d’abord appelé au boycott, ses adversaires, Maradabi et Kemal, ont ensuite introduit un recours en annulation des résultats auprès de l’ancienne commission (CNEIH). Celle-ci a invalidé les résultats, non sans difficultés, avant d’être dissoute. Après de multiples négociations, l’OUA a dépêché Francisco Madeira sur place dans l’espoir d’aboutir à une médiation entre les trois candidats en lice, tout en permettant de déboucher sur une nouvelle conclusion par rapport à ces résultats du 14 avril. D’où la validation annoncée ce mercredi 8 avril 2002.

Avec Azali élu président, c’est la classe politique, accusée de faillite, qui se retrouve du jour au lendemain «disqualifiée». La victoire du militaire putschiste, ancien pensionnaire de l’Académie Royale du Maroc, passé par L’Ecole de guerre en France, n’était pas forcément assurée. Il y a trois mois encore, l’opinion publique partageait l’idée que le colonel n’avait pas avancé sur certains dossiers importants, nécessaires à la mise en place d’un État de droit. Par ailleurs, la crise séparatiste ne permettait pas d’envisager la moindre perspective économique. Enfin, il y avait cette image stigmatisée par ses détracteurs, montrant l’ancien chef d’état-major en train de se réfugier à l’ambassade de France, pendant que le pays se faisait attaquer par les mercenaires de Denard en 1995. Des raisons qui n’ont pourtant pas suffi pour le déstabiliser. Soupçonné d’avoir organisé son élection par des réseaux clientélistes et d’avoir aussi utilisé la fraude pour arriver à ses fins, tout en recevant la bénédiction de la communauté internationale, il a toutefois mis le doigt sur une faiblesse des milieux politiques nationaux, dont il n’a jamais fait partie auparavant. Ces derniers sont de plus en plus coupés de la réalité du pays, non pas en termes de discours mais en termes d’efficacité sur le terrain. L’opinion est persuadée que les hommes politiques ne pensent qu’à leur carrière et non à leurs inquiétudes au quotidien.

Le slogan «tous pourris» revient régulièrement sur les lèvres du citoyen comorien, qui considère l’Etat comme une réalité sans rapport avec sa vie de tous les jours. La corruption, l’irresponsabilité, le manque d’un projet de société clair sont quelques uns de problèmes souvent évoqués par la population. Il y aurait une espèce de coupure entre «e mwanantsi» (le citoyen) et «o wayilao» (expression usitée pour parler de ceux qui gèrent le pays, littéralement «o wayilao» signifie ceux qui mangent). Ce phénomène à l’air d’épargner un peu le militaire Azali, en le considérant comme un nouveau venu sur cette scène politique. Certes, des rumeurs de corruption à son sujet existent. Détournements, mainmise sur des sociétés en train d’être privatisées, fortune inattendue de la part d’un homme qui n’a jamais brillé par son pouvoir financier… La rue charrie chaque jour son lot de «scandales Azali» éventuels. Mais de ne pas être du «sérail», le préserve du discrédit total, surtout qu’il détient encore la confiance de la force publique et militaire, sans parler du fait qu’il a permis à toute une nouvelle génération d’acteurs politiques, recrutée parmi les jeunes générations notamment, d’arriver aux affaires. Désormais élu, il lui appartient de déterminer des actions concrètes susceptibles de restaurer l’autorité de l’État, auquel les Comoriens ne croient plus.



par Soeuf  Elbadawi

Article publié le 10/05/2002