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Union européenne

Pêche, un «chantage» de l’UE envers les PVD

Le projet de réforme de la politique commune de l’Union européenne dans le secteur de la pêche prévoit une flotte communautaire plus petite, mais viable et rentable. Les propositions de la Commission européenne se donnent également pour objectif le respect de l’environnement et le développement des pays non-communautaires avec lesquels l’UE a conclu des accords de pêche. Pour Béatrice Gorez, de la Coalition pour des accords de pêche équitables (CAPE), l’Union européenne pratique la surpêche et verse des compensations financières sous-évaluées au détriment des pays en développement.
RFI : Avec la réforme de la politique commune de pêche et la réduction des capacités dans les eaux communautaires existe-t-il un risque de déplacement de la flotte européenne vers les pays qui ont conclu avec l'UE des accords de pêche (Sénégal, Mauritanie, Côte d'Ivoire, Madagascar, etc) et donc d'exploitation accrue, voire de surexploitation, de leurs ressources ?

Béatrice Gorez: Dans beaucoup de cas, notamment en Mauritanie ou au Sénégal, les flottes européennes participent déjà à la surexploitation des ressources locales! La seule chose à faire serait de revoir les accords de pêche existants pour «sortir» cette surcapacité des eaux des pays tiers. C'est ce que les ONG ont proposé en déposant plainte auprès du médiateur européen pour la façon dont l'accord UE-Mauritanie a été négocié par la Commission européenne. Dans le cas d'accords en renouvellement, comme pour le Sénégal, il est important aussi que l'Etat tiers ne donne pas aux Européens (ou à d'autres) des possibilités de pêche supplémentaires lorsqu'il n'y a pas de surplus de stocks que les pêcheurs locaux ne peuvent exploiter.
Cela dit, il y a certains aspects positifs dans les propositions de la Commission, notamment la suppression des subventions aux transferts de bateaux vers les pays tiers, l'encouragement financier à la démolition pure et simple de navires en surcapacité, la suppression des aides à la modernisation lorsque celle-ci conduit à une augmentation de capacité, le fait que, dans les accords de pêche, les armateurs devront assumer une plus grande part des compensations financières payées aux pays partenaires en échange des droits de pêche.
Par le passé, le fait que les flottilles européennes étaient hyper-subventionnées a été un facteur encourageant la surpêche, les bateaux dont les coûts sont artificiellement diminués, peuvent continuer à pêcher même si ce n'est plus rentable, et favorisant la concurrence déloyale avec les flottilles locales notamment artisanales.
Mais ces propositions ne sont pas encore adoptées et certains Etats européens bénéficiant d'une grande partie des subventions et pêchant dans les eaux des pays du Sud, vont sans doute tout faire pour les bloquer comme l’Espagne, le Portugal et, dans une moindre mesure, la France.

RFI : Quel bilan tirez-vous des accords de pêche conclus dans les années 80 pour les pays en développement ? Les récents engagements européens en faveur d'une «pêche responsable» et d'une «pêche durable» dans les eaux des pays tiers vous semblent-ils convaincants?

B.G. : Les calculs ont montré que, même si la compensation financière versée par l'UE est importante, elle ne représente qu'une petite partie de la valeur des ressources pêchées. Ainsi, un euro dépensé par l'UE pour la signature d'accords de pêche en rapporte 3 ou 4 au niveau européen. Ajoutez à cela les dégâts causés par la surpêche et la concurrence déloyale avec les flottilles locales, et le tableau n'est pas très réjouissant.
Cependant, il nous semble important de garder la structure d'un accord de pêche, qui serait basé sur un dialogue politique entre les deux parties, UE et pays en développement. Mais ce dialogue devrait se faire avec des objectifs de coopération et pas avec l'objectif premier d'obtenir, à tout prix, des possibilités de pêche pour les armateurs européens. Or, c'est un peu cette dernière formule que propose la Commission lorsqu'elle parle de «partenariat avec les PVD». Elle va «aider» les PVD à développer durablement leurs pêcheries, mais en échange de droits de pêche pour les flottes UE. Dans un contexte où les ressources diminuent, il s'agit d'un chantage cynique de l'UE envers les pays en développement et conduira dans certains cas à évincer les flottes locales au profit des Européens. C'est une proposition inacceptable!

RFI : A quelles conditions des accords entre l’Union européenne et les pays en développement sur la pêche pourraient-ils être «gagnants-gagnants» ?

B.G. : Ces conditions ont été clairement identifiées par le Conseil des ministres européens du Développement en novembre 2001, dans leur résolution «pêcheries et lutte contre la pauvreté». Parlant des accords de pêche, ils demandent notamment que ceux-ci se fassent par rapport à des objectifs de lutte conte la pauvreté, de respect et de protection des communautés littorales locales. Ils demandent notamment que les accords de pêche contiennent les éléments suivants: un ajustement flexible des possibilités de pêche fondé sur une évaluation des ressources qui tienne compte des meilleures informations scientifiques disponibles et des besoins de l'industrie locale de la pêche; la mise en place de mesures de protection pour la pêche artisanale et de subsistance (notamment par le respect strict d'une zone réservée); un système de suivi de leur impact environnemental, économique et social dans les pays partenaires.
Si cela faisait partie du cadre accords de pêche, et si le système de subvention était progressivement éliminé pour les flottes pêchant dans les PVD, alors on pourrait commencer à parler d'accords de pêche plus équitables.





par Propos recueillis par Francine  Quentin

Article publié le 06/06/2002