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Attentats

Etats-Unis : un attentat à la bombe radiologique déjoué

Les autorités américaines ont annoncé l'arrestation d'un Américain accusé de comploter avec Al-Qaïda pour faire sauter une bombe radiologique quelque part aux Etats-Unis. En répandant des matériaux radioactifs sur un large périmètre, ce type de bombe peut provoquer une panique générale sans causer un grand nombre de morts.
New York, de notre correspondant

La bombe radiologique, "dirty bomb" (bombe sale) en Anglais, est une arme de terreur stratégiquement comparable à l'anthrax : l'objectif est de semer la terreur, sans nécessairement tuer un grand nombre de personnes. Egalement appelée "bombe atomique du pauvre", c'est une bombe composée d'explosifs traditionnels couplés à des matériaux ou déchets nucléaires (uranium, plutonium, cobalt) qui se dispersent au moment de la détonation, contaminant une zone entière pour des dizaines d'années. Selon le gouvernement américain, lorsqu'il a été arrêté le 8 mai dernier à Chicago, Jose Padilla, alias Abdallah al-Moujahir, un Américain de 31 ans, complotait avec des terroristes de Al-Qaïda, pour mettre au point une bombe radiologique.

Né à Brooklyn, Abdallah al-Moujahir est une vieille connaissance des services de police. Elevé sous le nom de Jose Padilla, catholique de tradition, il déménage pour Chicago avec sa famille à l'âge de 4 ans. Il passe les premières années de son adolescence comme membre d'un gang, avant d'être condamné à l'âge de 15 ans pour agression aggravée et vol à main armée. Il est derrière les barreaux de novembre 1985 à mai 1988. Après sa libération, il déménage à Sunrise, en Floride, où il est de nouveau arrêté après avoir tiré sur un automobiliste au cours d'une altercation sur la route. Après une nouvelle période passée en prison, il se convertit à l'Islam en 1993 et adopte le nom de Abdallah al-Moujahir. A plusieurs reprises, entre 1993 et 1997, il se fait arrêter pour excès de vitesse, jusqu'à ce que son permis de conduire soit suspendu. Après 1998, il quitte le territoire américain et passe, semble-t-il, le plus clair de son temps au Proche-Orient.

Qualifié de "combattant ennemi"

A son retour, le 8 mai dernier, le comité d'accueil était prêt, au grand complet. Abdallah al-Moujahir a été cueilli par des agents du FBI à sa descente d'avion à Chicago. Il revenait du Pakistan où il avait été brièvement détenu pour violation des lois sur l'immigration. Sa libération a secrètement été arrangée par les services secrets américains. Alors qu'il croyait fuir vers les Etats-Unis, Abdallah al-Moujahir était surveillé par des agents Américains dans son avion. Au moment de son arrestation, il portait même sur lui des plans de l'attaque.

Le ministre de la justice, John Ashcroft, s'est fait un plaisir d'annoncer la nouvelle de l'arrestation et de la découverte du complot depuis Moscou, où il était en tournée. Selon lui, Abdallah al-Moujahir "s'est entraîné avec l'ennemi, notamment sur la façon d'amorcer des engins explosifs et sur la recherche d'engins de dispersion de matières radioactives". Il aurait rencontré à plusieurs reprises l'an dernier des membres haut placés de l'organisation terroriste, au Pakistan et en Afghanistan. Al-Qaïda comptait semble-t-il sur le passeport américain de Abdallah al-Moujahir pour qu'il puisse se déplacer librement aux Etats-Unis.

Fait inhabituel pour un ressortissant Américain, après avoir été détenu plusieurs semaines à New York, Abdallah al-Moujahir a été transféré dans une prison militaire à Charleston, en Caroline du sud. Il a été qualifié de "combattant ennemi" et, en tant que tel, remis au Pentagone pour une période d'emprisonnement indéfinie, en vertu d'une loi datant de 1942. Ce statut donne plus de latitude aux autorités pour le questionner, notamment en l'absence de son avocat. Le ministre de la justice, John Ashcroft, a affirmé que les informations sur le complot terroriste venaient de "plusieurs sources concordantes et indépendantes", et notamment des interrogatoires de Abu Zubeida, un des principaux lieutenants d'Oussama Ben Laden, actuellement entre les mains des autorités américaines. Les deux hommes se seraient rencontrés pour la première fois en Afghanistan à la fin de l'année 2001. Zubeida aurait arrangé une rencontre entre Abdallah al-Moujahir et des officiels de l'organisation, à Karachi, au Pakistan. Selon les premiers éléments de l'enquête, il est possible que Washington ait été visé mais le plan n'en était qu'à sa phase de reconnaissance. Selon le porte-parole de la Maison Blanche, Ari Fleischer, les enquêteurs doutent du fait qu'Al-Qaïda ait en sa possession suffisamment de matériaux radioactifs pour mettre au point une bombe radiologique.

Quels seraient les effets d'une telle "dirty bomb" ? Tout dépend de ses composants. En tous les cas, l'explosion n'aurait rien de commun avec la puissance d'une bombe atomique. Lors de sa détonation, à l'instar d'une bombe traditionnelle, elle pourrait tuer uniquement les gens qui se trouvent dans les environs immédiats. L'arrivée des secours serait retardée par la décontamination et l'effet psychologique serait terrible : la nouvelle créerait une vague de panique, avec probablement des accidents de la route et des mouvements de foule meurtriers. Le Center for Strategic and International Studies, un groupe basé à Washington, s'est livré à des estimations. Une très grosse bombe radiologique (près de 2000 kg) de faible "qualité", placée dans un bus en plein coeur de Washington, tuerait au plus quelques milliers de personnes, et contaminerait une partie réduite du centre-ville qui devrait être évacuée. Les résidents, les touristes et les commerçants fuiraient le secteur pour longtemps, notamment à cause des risques de cancer qui, pour une personne vivant dans le secteur après l'explosion, seraient d'une chance sur quelques milliers. Une bombe de meilleure qualité (au cobalt par exemple) pourrait contaminer toute l'île de Manhattan pour des dizaines d'années, avec une chance sur cent pour les résidents qui continuent à vivre sur place de mourir d'un cancer.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 11/06/2002