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Zimbabwe

Mugabe se remet les fermiers blancs à dos

Le gouvernement zimbabwéen veut à nouveau exproprier près de 3 000 fermiers blancs. Le texte de loi, promulgué le 10 mai dernier, est formel et sans appel. Les contrevenants risquent des amendes et surtout deux ans de prison. Certains fermiers font de la résistance, d’autres ont décidé de quitter le pays. Quant à la communauté internationale, elle condamne ce qu’elle appelle «une tragédie».
«Il y a à peu près trois mois maintenant, on s’est fait expulser de notre ferme, sans pouvoir prendre quoi que soit, sans aucun avertissement. On nous a littéralement foutu dehors». En quelques secondes, Rob Dorson, a tout perdu. Aujourd’hui il ne peut plus retourner dans la ferme familiale, située près de la capitale Hararé. Il a été obligé de courir pour sauver sa peau. Sa famille et lui ont tout laissé y compris les 250 tonnes de germes de sojas qu’ils venaient de récolter…

Depuis la réforme agraire au Zimbabwe, les fermiers blancs se sentent menacés. Le 10 mai, le gouvernement a promulgué une nouvelle loi. Elle ordonne à des agriculteurs blancs d’arrêter de travailler sur des terres récupérées par l’Etat. «D’après la loi, précise Jenni Williams, porte-parole du syndicat des fermiers commerciaux (CFU), 2 900 fermiers (sur 4 800) sont menacés de ne plus pouvoir exploiter leurs fermes». Ils avaient 45 jours pour arrêter toute exploitation et 90 jours pour déguerpir. L’expiration des 45 jours est tombée le lundi 24 juin. Les résistants risquent une amende de 20 000 dollars zimbabwéens (364 dollars américains) et une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans de prison. Par ailleurs, ils ont jusqu’au 8 août pour quitter leur domicile.

Le gouvernement zimbabwéen n’en est pas à son coup d’essai. Depuis 1980, il a confisqué plus de 4 millions d’hectares de terre. En 1992, après l’adoption par le Parlement d’une loi permettant d’exproprier les fermiers blancs à un prix fixé unilatéralement par l’Etat, un second programme de redistribution de terres concernant 70 exploitations n’a bénéficié qu’à quelques centaines de dignitaires du régime, dont le président de l’Assemblée nationale et le ministre de la Défense.

En février 2000 une autre réforme agraire a été mise sur pied. Elle vise à redistribuer à des Noirs sans-terres la quasi-totalité de celles de la minorité blanche du pays qui, 22 ans après l’indépendance, possède encore 70% des terres les plus fertiles du pays.

Loi ignorée

De nombreux fermiers blancs ont décidé de contester devant la justice cette nouvelle loi. Mardi, ils ont continué à travailler comme à l’accoutumée. Les forces de l’ordre n’ont pas réagi, pour l’instant. «J’ai 20 hectares de café en milieu de récolte, du tabac et du paprika en stock», tonne Andy Kockott un fermier de Tengwe, dans le centre du pays. Voilà pourquoi, rajoute-t-il, «je conteste la loi, pour qu’au moins je puisse récolter». Comme lui, de nombreux exploitants agricoles ont déposé ce lundi un recours devant la Haute cour de justice.

Aujourd’hui une cinquantaine de fermiers craignant des représailles ont décidé de quitter le pays. Ils tentent de partir de l’autre côté de la frontière. «Maintenant on a plus le choix, il faut continuer. On va bientôt partir pour le Mozambique et essayer de s’installer là-bas», confie Rob Dorson. Pour l’heure, selon le ministère mozambicain de l’Agriculture, le gouvernement du président Joaquim Chissano a satisfait à la requête de seulement treize fermiers. Ceux-ci ont la possibilité de louer 1 000 hectares de terres, conformément à la loi du pays. L’Etat mozambicain reste quand même prudent. Il craint que le scénario zimbabwéen ne se reproduise sur son sol.

La communauté internationale a condamné cette nouvelle dérive de Robert Mugabé. Les Etats-Unis ont critiqué lundi la nouvelle loi agraire zimbabwéenne affirmant «qu’elle contribue largement à la crise politique, économique et sociale dans le pays». Pour les Britanniques par la voix de Jack Straw, le ministre des Affaires étrangères, la nouvelle loi est «répréhensible» et mène à une «tragédie» humanitaire. Surtout à l’heure où «la population affronte un niveau de famine sans précédent de son histoire récente». Les fermiers blancs emploient 350 000 ouvriers agricoles (en majorité noirs) qui font vivre environ 1,6 million de personnes.

Avec 50% de chômeurs, 60% d’inflation, des pénuries de carburant et de devises, l’économie du Zimbabwe traverse une grave crise. Le Programme alimentaire mondial de l’ONU estime qu’environ six millions des 13 millions de Zimbabwéens vont avoir besoin d’une aide d’ici 2003.

La politique du pouvoir n’est malheureusement pas faite pour arranger les choses. Et ce n’est pas aujourd’hui qu’elle va changer. En pleine campagne, il y a deux ans, Robert Mugabe, confiait : «Nous allons reprendre notre terre. C’est notre terre. Rien ne va nous empêcher de la prendre. Ce qui est britannique doit aller aux Britanniques. Mais ici, la terre est à nous et c’est notre héritage». Et tant pis pour le peuple.



par Alain  Aka

Article publié le 26/06/2002