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Comores

Les premières fausses notes

Tensions et malentendus menacent l'équilibre du nouvel ensemble constitué par les trois îles indépendantes de l'Archipel des Comores. Le président Azali Assoumani a du mal à imposer les prérogatives de l'Union aux exécutifs de chacune des îles.
Des observateurs l'ont prédit, dès le début du processus de réconciliation nationale. Avec la fondation d’un État à quatre «têtes», la relation entre les îles sœurs risquaient de devenir vite impossible. Un exécutif pour chacune des îles, devenue plus autonome. Une présidence commune, dont le premier mandat tournant est revenu à un Grand-Comorien pour quatre ans. Une constitution et un parlement à mettre en place sur un plan national, tout en sachant que chaque île aura aussi à élire son propre parlement local, après s’être doté au préalable d’une constitution. «Nous avons voulu inventer, avec l’aide de la communauté internationale, un casse-tête à la comorienne», affirme un membre de l’opposition. Selon lui, l’enjeu n’est pas évident. «Nous avons pensé à la coquille, mais pas au contenu. Les nouvelles institutions permettant au processus de réconciliation de s’achever ont vu le jour. Mais personne n’a pensé à ce qui donnerait une réelle consistance à ces institutions. Or, nous n’avons pas beaucoup de temps pour y arriver. Ajoutez à cela le manque de moyens». Un diplomate renchérit: «Les Comoriens n’ont pas eu le choix de la voie la plus simple. Il faut l’avouer». Du coup, des tensions sont apparues de tous les côtés.

Mohamed Bacar, l’homme fort d'Anjouan, a désigné début juin un ministre d’État chargé de la coopération. Il s'agit pourtant là d’un domaine relevant de l’Union. Le pays se retrouve ainsi avec deux ministres ayant la même fonction, l’un au niveau national, l’autre à un niveau insulaire. «Mais s’il n’y avait que cette décision, ce ne serait pas grave, estime un membre du staff Azali. Le problème, c’est qu’Anjouan a multiplié les entorses aux lois de l’Union dès le départ. A sa tête se trouve un homme qui ne compose avec nous que s’il ne peut faire autrement. Et nous n’avons pas les moyens de le contrôler». Mohamed Bacar nomme à la tête des administrations, sans consulter les autorités de l'Union. La constitution locale lui permet d’empiéter sur les prérogatives de l'Union à tout moment. Il a surtout hérité d’une gestion séparatiste de l’île, à laquelle il n’a rien voulu changer, malgré ses multiples professions de foi dans la presse. «Et nous n’avons même pas la possibilité de le faire fléchir avec les forces publiques. La plupart des soldats de l’armée nationale sur l’île ont pris cause pour le séparatisme. Si on envoie ceux qui sont à Moroni, ce sera un bain de sang. Alors nous ne savons pas quoi faire».

Un signal fort

En Grande-Comore, les mêmes malentendus entre les domaines de compétence de l’Union et les prérogatives du chef de l’exécutif de l’île n’ont pas tardé à voir le jour non plus. Bien avant qu'Abdou Soulé Elbak, aujourd'hui considéré comme l’adversaire «le plus imprévisible d’Azali», ne se fasse élire à ce poste, la constitution de l’île avait été revu, de manière à correspondre a celle d'Anjouan. A peine investi, Elbak a tenu ensuite à exprimer à son tour son indépendance face aux hommes du colonel Azali, en procédant à une série de nominations à la tête des sociétés nationales présentes dans la capitale. Les douanes, les hydrocarbures, les postes et télécommunications, ainsi que les impôts et la radio nationale. Son équipe souhaitait donner un signal fort à la population. Mais si l’Union a laissé faire sur l’île de Mohamed Bacar, à Moroni elle a aussitôt réagi, en déployant des militaires devant les principaux édifices publics à caractère financier. Le nouveau chef de l’état-major de l'AND (Armée nationale de développement), le lieutenant-colonel Soilih Mohamed, en a profité pour déclarer qu’aucune forme d’anarchie et de désordre public ne saurait être accepté. Il a aussi appelé au dialogue entre les exécutifs, afin que l’administration puisse reprendre son fonctionnement normal.

A Mwali, la plus petite des trois îles, Mohamed Fazul, patron de l’exécutif local, aurait, lui, convié les trois autres présidents, Elbak, Bacar et Azali à venir rediscuter «d’une façon un peu moins passionnelle» des domaines de compétence et de responsabilité «de chacun durant cette période transitoire» à Fomboni, ville où avait été signé l’accord-cadre de réconciliation nationale en février 2001. «La vérité,» se désole un membre du gouvernement de l’Union, »c’est qu’Elbak a voulu aller plus vite que la calendrier prévu». Des lois organiques doivent être votées par les futurs parlements du nouvel ensemble constitué pour «dire qui doit faire quoi» dans la nouvelle configuration du pays et éviter les «divergences d’interprétation» dans la mise en place définitive de «ce projet de l’Union». Réaction de la «présidence» de Ngazidja: «On m’a élu pour gérer une île, pas pour attendre des lois organiques, et il me faut des moyens pour gérer l’île en attendant ces lois organiques». Pour Elbak, «le véritable conflit porte sur le contrôle des finances publiques de l’île. Autrement, pourquoi avoir fait intervenir l’armée uniquement dans les seuls services ?». Les nouvelles institutions auront sans doute besoin de «beaucoup de compromis et de bonne volonté» pour se consolider. Mais il est vrai que les blocages se multiplient à tous les niveaux pour l'instant. Des blocages qui mettent en péril le système le plus complexe que le pays ait jamais connu à ce jour.



par Soeuf  Elbadawi

Article publié le 25/06/2002