Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Liban

Election en famille

Jamais une élection parlementaire n’aura déchaîné autant de passion et généré une aussi forte tension au Liban. En l’espace de quarante-huit heures, les résultats d’une élection partielle ont changé trois fois.
De notre correspondant à Beyrouth

L’affaire aurait pu paraître banale, si cette consultation n’avait pas eu pour théâtre la circonscription chrétienne du Metn, fief du président de la République. Et si un large éventail de personnalités et de partis de l’opposition n’avaient pas uni leurs forces pour battre la candidate du pouvoir. Le scrutin s’est transformé en un inextricable imbroglio politico-familial qui n’a trouvé son dénouement qu’avec la défaite du pouvoir.

C’est la première fois depuis la fin de la guerre, en 1990, que la majorité des courants de l’opposition chrétienne décide de soutenir un seul candidat. Même le général Michel Aoun, ancien chef du gouvernement militaire, qui avait pourtant boycotté tous les scrutins, a appelé ses partisans à voter pour Gabriel Murr. Ce dernier, présenté comme le candidat de l’opposition anti-syrienne, n’est autre que le frère de l’ancien ministre de l’Intérieur Michel Murr, un des plus proches allié de Damas au Liban, lui-même père de l’actuel ministre de l’Intérieur Elias Murr, gendre du président de la République.

En parrainant la candidature de Gabriel Murr, l’opposition, conduite par l’ancien chef de l’État Amine Gemayel et le député Nassib Lahoud, tous deux originaires du Metn, a voulu frapper le président de la République dans son fief, voire dans sa propre famille. Même si les opposants ont assuré, tout au long de la campagne, que le chef de l’État n’était pas personnellement visé, la plupart des analystes estiment que leur principal objectif était d’affaiblir Emile Lahoud à deux ans et demi de la fin de son mandat pour éviter que celui-ci ne soit renouvelé ou prorogé. D’autres observateurs vont plus loin en précisant qu’à travers Emile Lahoud, l’opposition a voulu combattre ses options régionales caractérisées par une alliance indéfectible avec la Syrie, un soutien sans failles à la résistance islamique et un refus catégorique de déployer l’armée à la frontière libano-israélienne comme le réclame la communauté internationale.

La fiche d’identité politique des partis qui ont appuyé Gabriel Murr est d’ailleurs assez explicite: tous combattent l’influence syrienne au Liban, réclament l’envoi de l’armée au sud et souhaitent le démantèlement de la branche armée du Hezbollah. Face à Gabriel Murr, le pouvoir a appuyé la candidature de sa nièce Myrna Murr, sœur de l’actuel ministre de l’Intérieur chargé d’organiser le scrutin. Ce sont ces liens de parenté existant entre des candidats d’horizons politiques différents qui ont déchaîné toutes les passions. Pendant la campagne électorale, les Libanais ont eu droit à un déballage sans précédent d’affaires de famille.

24 heures d’intenses tractations

La bataille était serrée, les irrégularités nombreuses et les résultats inattendus. Après une interminable nuit dimanche dernier, une première commission de comptabilisation des voix a donné Gabriel Murr vainqueur avec trois voix d’avance pour 72 000 votants. Le lendemain matin, les Libanais ont été surpris par un autre résultat donnant la victoire à Myrna Murr avec quinze voix d’avance. La nouvelle a été accueillie comme une gifle par l’ensemble de la classe politique. L’opposition a accusé le pouvoir d’essayer de «voler la victoire du peuple» et a menacé de descendre dans la rue. Au fil des heures, le pouvoir devenait de plus en plus isolé. Des hommes politiques de tous bords ont dénoncé cette «tentative de fraude». L’ancien Premier ministre Sélim Hoss, le chef druze Walid Joumblatt, le très pro-syrien Sleiman Frangieh, etc, tous ont appelé le ministre de l’Intérieur à reconnaître la victoire du candidat de l’opposition. Après vingt-quatre heures d’intenses tractations en coulisses auxquelles ont participé le chef du gouvernement Rafic Hariri, le président de la chambre Nabi Berri et des responsables syriens, Elias Murr a annoncé mardi dans l’après-midi, la victoire de son oncle et reconnu la défaite de sa sœur.

La crise politique a été évitée, certains préfèrent dire reportée, mais le tort causé au président Lahoud est énorme. Il lui faudra du temps, beaucoup de temps, pour le réparer.



par Paul  Khalifeh

Article publié le 05/06/2002