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Algérie

L’armée algérienne «<i>défend son honneur</i>» en France

Le procès en diffamation contre Habib Souaïdia, cet ancien officier algérien, auteur de l’ouvrage à succès La sale guerre qui dénonce notamment les exactions de l’armée algérienne contre des civils depuis l’interruption en janvier 1992 du processus électoral, s’est ouvert lundi après-midi devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris. Ce procès pour lequel le plaignant n’est autre que le général Khalid Nezzar, ancien ministre de la Défense et l’un des anciens hommes forts du régime algérien, sera dans l’esprit de l’accusation l’occasion de «blanchir» l’armée algérienne. La défense dénonce, elle, «le paradoxe d’un procès où l’accusé, Habib Souaïdia, est un homme extrêmement courageux qui dénonce des faits graves et la victime, une personne suspectée d’avoir couvert des exactions d’une extrême gravité».
Ce n’est paradoxalement pas pour La sale guerre que Habib Souaïdia est poursuivi en diffamation par le général à la retraite Khalid Nezzar. L’ouvrage, qui a connu un franc succès avec 70 000 exemplaires déjà vendus, avait pourtant provoqué un séisme à Alger. Et même si le livre n’a pas été distribué dans les librairies algériennes, l’ouvrage a suscité un tel émoi que le chef d’Etat-major, le général Lamari, s’était senti obligé de réagir dans un communiqué à ses troupes. Il y dénonçait notamment une opération visant à donner de l’armée «un visage dictatorial» ainsi qu’un «rôle politique obscur et handicapant». Habib Souaïdia a d’ailleurs été condamné par contumace par un tribunal d’Alger à vingt ans de prison pour «participation à une entreprise d’affaiblissement du moral de l’armée et de la sûreté de l’Etat».

Même si La sale guerre a été qualifiée de «tissu de mensonges» par les autorités algériennes, le général Khalid Nezzar a choisi d’attaquer pour diffamation son auteur pour une toute autre affaire. Il s’agit d’une déclaration diffusée par la chaîne de télévision française la Cinquième dans laquelle Habib Souaïdia affirme que «les généraux –les véritables décideurs- ont tué des milliers de gens pour rien». «Ce sont eux qui ont décidé d’arrêter le processus électoral, affirme-t-il, ce sont eux les vrais responsables». L’ancien officier n’hésite d’ailleurs pas à citer des noms et affirme qu’il ne peut pas «pardonner au général Nezzar» et qu’il faut «juger les coupables».

L’occasion était donc toute trouvée pour l’armée algérienne de «se blanchir» puisque le général Nezzar veut «un procès politique». Son avocat affirme en effet que le but recherché est de «faire une large perspective de ce qui s’est passé ces dernières années». Il s’agit dans l’esprit des autorités algériennes de détruire «le complot médiatique fait au régime». Pour l’ancien homme fort, «les auteurs de ce complot, qui utilisent Habib Souaïdia comme un simple pion, sont le Front islamique du salut (FIS aujourd’hui dissous) et le Front des forces socialistes (FFS, principal parti d’opposition)». Le procès qui s’est ouvert lundi à Paris risque donc de traiter d’enjeux de politique intérieure algérienne auprès d’une juridiction bien éloignée du territoire algérien.

Le général Nezzar n’est pas à l’abri de poursuites

Si l’ancien homme fort du régime algérien se présente comme une victime devant le tribunal de Paris, il n’est pas pour autant à l’abri de poursuites judiciaires. Le général Nezzar avait dû en effet en avril dernier quitter précipitamment Paris pour éviter de se retrouver confronté à la justice française. S’appuyant sur la compétence universelle, cette dernière avait en effet jugé recevable des plaintes pour tortures déposées contre lui par trois Algériens. L’affaire avait été ensuite classée puisque selon le procureur de la République «le contenu de la plainte n’a pas permis de d’apporter d’éléments de nature à prendre l’initiative de poursuites à l’encontre du général Nezzar».

Une nouvelle plainte a toutefois été déposée la semaine dernière contre l’ancien ministre de la Défense pour «tortures et traitements cruels, inhumains et dégradants». Neuf Algériens demandent ainsi au procureur de la République l’ouverture d’une enquête préliminaire pour que «soit procédé à l’interpellation et à l’audition du général Nezzar». Selon eux, ce dernier a eu jusqu’en 1994 les prérogatives d’un «super chef d’Etat» et «c’est sous sa direction que fût appliquée la politique de répression systématique» du peuple algérien. La justice française va-t-elle donner suite à cette plainte ? C’est ce que se demandent les militants algériens des droits de l’homme.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 01/07/2002