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Russie

Un quart du pays à vendre

C’est désormais officiel, les centaines de millions d’hectares de terre réservés à l’agriculture pourront enfin être privatisés en Russie. Vladimir Poutine a promulgué la nouvelle loi ce vendredi, mettant fin à dix ans de débats passionnés autour d’un sujet hautement tabou: la vente de la «mère patrie», le bradage de la «terre nourricière».
Qui seront les futurs propriétaires des 406 millions d’hectares désormais mis en vente dans l’immense fédération de Russie ? Seule certitude, les nouveaux acquéreurs ne seront pas des étrangers, la loi leur interdit de toucher à la «mère patrie». En juin dernier, les députés de la Douma, élus communistes et agrairiens en tête, avaient en effet réussi à faire modifier le projet du gouvernement. Les étrangers, qui dans la version initiale du texte pouvaient accéder à la propriété des terres agricoles, en sont finalement exclus, ils pourront seulement devenir locataires pendant 49 ans, maximum. Mais pour les nouveaux capitalistes russes, la ruée vers «l’Eldorado vert» est bel et bien lancée et nombre d’oligarques rêvent désormais de racheter en masse les terres agricoles, comme ils l’avaient fait au cours des années 90 pour les grandes industries. Vladimir Potanine, le président du puissant groupe Interros, ne cache pas son appétit. Son raisonnement est simple : «L’agriculture ne représente pour l’instant que 15% du PIB, c’est un secteur très peu développé, où il n’y a pas d’investisseurs et pour ainsi dire pas de législation. Cette absence de concurrence peut nous permettre d’en tirer avantage», reconnaît-il. Il faut dire qu’en matière de profits, l’homme connaît la musique. Grâce au rachat des mines de cobalt et de nickel au milieu des années 90, Vladimir Potanine est devenu l’une des plus grosses fortunes de son pays.

Comme lui, d’autres industriels ont commencé à investir dans les campagnes, la compagnie Loukoil notamment, premier producteur russe de pétrole. Mais quelle est la valeur réelle de l’ensemble des terres agricoles, c’est à dire du quart du territoire russe ? «Entre 80 000 et 100 000 milliards de dollars», estime Alexeï Gordeïev, le ministre de l’agriculture. En réalité, il sera très difficile de fixer un chiffre précis, d’autant plus que la Russie ne dispose pour l’instant ni de cadastre, ni de référence de prix. Un gros gâteau en tout cas qu’il va falloir partager, et il semble peu probable que la population rurale ait les moyens de se porter candidate pour l’obtention des lots.

Une loi indispensable pour redresser l’agriculture

En attendant l’application sur le terrain, l’adoption de cette réforme majeure est un succès pour Vladimir Poutine car le chef du Kremlin a réussi à briser l’un des derniers verrous hérités du système soviétique, malgré une opinion publique plutôt opposée à la privatisation des terres agricoles. Son prédécesseur s’était d’ailleurs toujours heurté aux nostalgiques de l’empire, à ceux, communistes et agrairiens en tête, qui dénonçaient la «vente de la Patrie». Résultat, Boris Eltsine n’était jamais allé jusqu’au bout de la réforme, entamée au début des années 90 par le démantèlement des sovkhozes et des kolkhozes. Les coopératives et les exploitations d’état avaient formellement laissé la place à des sociétés par actions, distribuées, en théorie, aux paysans. Mais dans la réalité, ces derniers, faute des crédits nécessaires pour investir dans du matériel moderne, continuaient dans leur immense majorité à travailler dans des structures collectives. D’autres, peu nombreux, avaient choisi de se lancer dans l’aventure de l’exploitation privée sans beaucoup de succès, car ils n’étaient pas parvenus à réunir suffisamment de terrain pour devenir rentables.

Trop longtemps laissé à l’écart, incapable de se moderniser depuis la disparition de l’URSS, le secteur agricole va peut-être enfin pouvoir redresser la tête. L’arrivée de gros investisseurs devrait en tout cas permettre de stopper le déclin des campagnes. Il y avait urgence : en l’espace de dix ans et faute de candidats à la reprise, ce sont 18 millions d’hectares qui sont tombés en friche, soit l’équivalent des surfaces exploitables en France.



par Caroline  Olive

Article publié le 25/07/2002