Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Développement durable

France : les ONG entre volontarisme et scepticisme

Les ONG françaises, réunies à Rennes au début du mois de juillet, ont remis au gouvernement leurs propositions en matière de développement durable. Entre volontarisme et scepticisme, leurs cœurs balancent.
Il était temps de se regrouper pour se faire entendre. Une centaine d’organisations non gouvernementales françaises (associations environnementales, collectifs et syndicats) se sont fédérées sous la bannière du Collectif Jo’bourg 2002 en vue de rédiger leurs recommandations en faveur d’un développement durable. Elles se sont mises d’accord, en dépit de leur diversité, sur un programme de principes et d’actions, forcément définis a minima, mais contribuant à un renforcement de leur position.
Voilà deux ans maintenant que ce Collectif prépare le sommet de Johannesburg. Depuis quelques mois, il travaille aux côtés des collectivités locales, des entreprises et de l’Etat au sein du Comité français pour le Sommet mondial du développement durable, installé auprès du Premier ministre. L’objectif de ce Comité est de remettre aux instances nationales et internationales des propositions représentatives de la société civile française en vue du sommet. Cette mission a été en partie accomplie à Rennes, où le Comité a remis son Livre blanc au gouvernement. Un Livre blanc en quelque sorte symbole d’une concertation constructive entre la société civile et l’Etat. Comme le souligne Henri Rouillé d’Orfeuil, de Coordination Sud (qui rassemble des ONG de solidarité internationale), la conciliation était de mise : « Dans certains pays il y a des blocages, mais nous ne sommes pas du tout dans cette situation. On est dans un dialogue. Nous pouvons parler des biens publics mondiaux, d’une taxation ou d’une fiscalité mondiales, de sujets peu abordés au niveau international mais que la France sent mieux. »

Une course prématurée au partenariat

De là à parler de consensus, au moment où le sommet mondial est censé traduire en actions les objectifs définis à Rio, il n’y a qu’un pas… que l’on ne saurait franchir. Derrière l’apparente volonté de cohésion de part et d’autre, l’échec des préparations mondiales du sommet encourage plutôt les ONG à plus de prudence. « Il y a dix ans, on avait la tête sans les jambes, aujourd’hui on a les jambes sans la tête », analyse Stephen, d’Agir pour l’environnement. Traduction : à Rio, des plans d’action multilatéraux, donc des engagements politiques ont été définis (les initiatives de type I). Mais à Johannesburg, les partenariats ponctuels entre l’Etat, les entreprises et les ONG (les initiatives de type II) qui doivent découler de ces prises de position fleurissent sans stratégie politique réaffirmée ni cadre juridique clair.

L’exemple des forêts est à ce titre révélateur. « J’avais l’impression de revenir cinq ans en arrière », constate Frédéric, chargé du programme forêts des Amis de la Terre, à la sortie d’un débat sur la biodiversité qui a réuni un représentant de l’Etat, un exploitant forestier et deux associations environnementales. « Depuis Rio, des mesures internationales ont été prises, comme la convention sur la diversité biologique, et il existe des outils internationaux qui permettent la protection des forêts tropicales. Mais ces outils n’ont jamais été transposés. » C’est ce manque d’attention de la part de l’Etat – conjugué à la nature même de ces actions, basées sur le principe du volontariat –, qui a finalement abouti au retrait, par Greenpeace, WWF et les Amis de la terre, des initiatives de type II sur les forêts qu’ils avaient à l’origine proposées dans le Livre blanc.

En outre, ce désengagement politique ouvre la voie aux entreprises. La place qui leur est accordée au sommet est, il est vrai, un événement en soi. Ce qui propage le mécontentement chez les ONG, qui n’ont de cesse de dénoncer l’instrumentalisation du développement durable par les entreprises, à des fins purement commerciales. « Nous sommes conscients qu’on n’obtiendra pas du juridiquement contraignant pour les entreprises à Johannesburg, mais c’est une idée qu’on continuera de défendre », conclut un membre du Collectif Jo’bourg 2002. Mais ce sera après le sommet mondial.

Dans ce contexte, l’annonce de la présence de Jacques Chirac en personne, fin août en Afrique du Sud, pour prouver l’attention que porte la France à l’avenir de la planète, n’a guère suffi à soulever l’enthousiasme des ONG. « Rennes est une bonne antichambre de ce qui se passera à Jo’burg : il n’y a pas eu de message politique clair », résume une membre d’Agir Ici. Au terme des deux journées de Rennes, Stéphane, de l’association Solagral, s’inquiète de ne pas retrouver le même enthousiasme qu’à Rio, où il était présent : « Il n’y a pas d’engouement, les ONG sont désabusées et cela s’exprime par une défiance vis-à-vis des Etats incapables de produire un droit fort en matière d’environnement. Du coup, un certain nombre d’ONG se radicalisent et risquent même de passer outre le partenaire public.»

Une autre militante se dit également étonnée de la « mollesse des associations. Elles se réservent sûrement pour le sommet mondial où elles s’exprimeront en leur propre nom. Mais hurler ici, ce serait gênant », admet-elle. Après la pluie qui tombait sur Rennes, la tempête risque d’éclater à Johannesburg.

Ecouter également:
Linda Likar, chef économiste à la Banque mondiale qui vient de publier son rapport annuel largement consacré à la question du développement durable



par Céline  Boileau

Article publié le 22/08/2002