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Hongrie

Un amour de Trabant

Elle n’est plus fabriquée depuis 1991 mais les Hongrois sont toujours aussi friands de la Trabant, produit des usines de l’ex-RDA. Sur 10 millions d’habitants, la Hongrie compte encore quelque 300.000 conducteurs passionnés de cet engin que l’Allemagne de l’Est cessa de fabriquer en 1991 après la chute du mur de Berlin. A ce chiffre s’ajoutent quelques dizaines de milliers de Trabant hors d’usage qui encombrent l’arrière-cour d’un propriétaire trop sentimental pour s’en défaire.
De notre correspondante à Budapest

Après l’Allemagne, c’est la Hongrie qui abrite aujourd’hui le plus grand nombre de Trabant. Rien d’étonnant puisqu’en vertu de la division du travail dans le camp socialiste, la Hongrie ne produisait pas de voitures. Les Russes avaient leur Lada, les Roumains leur Dacia mais les Hongrois n’avaient d’autre option que d’acheter une Trabant, la voiture la moins chère du bloc communiste.

Pour plusieurs générations magyares, elle fut donc la première voiture familiale, l’emblème des années 60 où le «socialisme du goulache», plus libéral qu’à Moscou ou à Bucarest, donna aux Hongrois un avant-goût de la société de consommation. «A l’époque l’Etat payait pratiquement tout. Le logement était gratuit, l’énergie, la nourriture et l’essence très bon marché. Notre salaire, c’était tout simplement de l’argent de poche pour les vacances et la voiture. C’est en Trabant que les Hongrois se rendaient à leur résidence secondaire payée par l’Etat» se souvient Péter Barta. Cet universitaire qui voue un culte nostalgique à sa première «Trabi», comme la surnomment affectueusement les Hongrois, ajoute: «C’est la seule voiture qui affichait sur son tableau de bord une vitesse maximale de 120 km/heure mais qui pouvait aller jusqu’à 130. Il est vrai que lorsque je l’ai troquée pour une Lada, j’ai réalisé qu’on pouvait doubler un autre véhicule en moins de trente secondes!»

Au troisième millénaire, la Trabant est toujours aussi populaire et doit sa survie à son extrême simplicité, d’ailleurs décrite dans son cahier des charges de 1947, étrangement similaire à celui de notre «deudeuche» (2 CV): place pour quatre adultes, entretien minimum, et longue durée de vie. La Trabant devait être à l’Allemagne démocratique et au bloc communiste ce que la Volkswagen était à l’Allemagne de l’Ouest. Mais les ingénieurs n’en ont jamais eu les moyens! Face à la pénurie de matières premières, ils bricolèrent une «boîte roulante». Qu’on en juge: un moteur à deux-temps, pétaradant comme celui d’une mobylette, nourri d’un mélange d’huile et d’essence. Et, en l’absence de tôles, une carrosserie faite de bric et de broc: des toiles de coton enduites d’un produit dérivé de la distillation du charbon – le phénol. Le «Duroplast» était né! Du coton plastifié, certes rigide, mais aussi cassant que du sucre et brûlant facilement en dégageant une fumée fortement soufrée.

Une voiture qui se répare comme un jouet

Voilà à quoi ressemblait la première Trabant sortie d’usine après plusieurs essais le 7 novembre 1957, jour anniversaire de la révolution russe de 1917. Son nom signifie «compagnon» en allemand, dans le sens de «satellite» parce que le Grand frère soviétique venait de mettre en orbite son premier satellite ou «spoutnik». Et elle n’a guère évolué jusqu’en 1989, où l’on a commencé à produire quelques moteurs à quatre temps. D’où les nombreuses blagues qui ont fleuri sur cet avatar de la technologie automobile. Exemples: «Que se passe-t-il quand on éternue dans une Trabant? On obtient un puzzle de 3.000 morceaux en 3D». Ou bien: «A quoi sert la plaque de dégivrage à l’arrière d’une Trabant ?…A ne pas se geler les mains quand on la pousse». Ou encore: «Un conducteur téléphone au garagiste pour faire réparer sa Trabant. D’accord, mais apportez de la colle, des ciseaux et du scotch» réplique le mécanicien.

Son prix très bas et sa simplicité spartiate séduisent même les jeunes d’aujourd’hui. «Lorsque j’ai eu de quoi acheter ma première voiture, je ne savais pas quel modèle choisir. J’ai assisté par hasard à un défilé d’amoureux de la Trabant et soudain toute mon enfance est remontée à la surface. J’avais 3 ans quand mon père, militaire de carrière, a acheté sa première Trabant, en 1975 après avoir patienté 4 ans sur une liste d’attente. Je me suis dit: c’est Elle que je veux, et rien d’autre» raconte Attila Szigetvari, étudiant de 25 ans. Depuis, il en a acheté une deuxième pour 90 000 forints (370 Euros). Elle a 16 ans, soit l’âge moyen de ses consoeurs circulant en Hongrie, et pour rien au monde Attila ne se séparerait de sa petite merveille. Dans l’immeuble HLM de ses parents, sa chambre est décorée de modèles réduits, d’anciennes plaques d’immatriculation et du drapeau de la Saxe, berceau de la Trabi.

Bon, c’est vrai, on passe son temps à la réparer. Mais on bricole avec un rien cette boîte en carton plastifié posée sur quatre roues, et qui n’a que deux ou trois boutons sur son tableau de bord. Pas de soupapes qui se dérèglent, pas d’antigel qu’on oublie, pas de vidange, pas besoin d’un palan pour sortir le moteur. Un tournevis, une pince et un bout de fil de fer suffisent pour la plupart des dépannages. «C’est aussi simple à réparer qu’un jouet. Et quand on change une lampe, cela coûte dix fois moins cher que sur une Peugeot» observe Istvan Gellért, photograveur de 58 ans. Dans la famille Gellért, les deux parents et les deux enfants ont chacun leur Trabant. Les enfants parce que c’est la voiture la moins chère, les parents parce qu’ils adorent, tout simplement. Mais une menace pèse sur leur chère Trabi: une nouvelle norme anti-pollution entrera en vigueur en 2005. Il faudra installer un pot catalytique qui risque de coûter plus cher que la voiture, ou bien mettre un nouveau moteur sous la même carosserie. «Mais alors ce ne serait plus une vraie Trabant» soupire Istvan Gellért qui refuse d’envisager le pire. «Ce n’est pas une nouvelle norme qui fera disparaître plusieurs centaines de milliers de Trabant» assure-t-il.

Lien utile:
Le site web des Trabantophiles français:
http://www.efrance.fr/eurotrabi/



par Florence  La Bruyère

Article publié le 26/08/2002