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Proche-Orient

Le mur d’Israël: deux mondes en voie de séparation

Les travaux de construction de la clôture de sécurité entre Israël et les territoires ont commencé depuis deux mois. Un ouvrage titanesque qui chamboule les identités et les territoires. Enquête le long d’une frontière qui ne dit pas son nom.
De notre correspondant dans les Territoires palestiniens

Deux kilomètres et demi de long, huit mètres de haut. Les premiers morceaux du mur anti-kamikazes sont sortis de terre il y a environ deux mois, au pied de la ville palestinienne de Qalqilya. Depuis ce jour, les travaux ont avancé le long de la ligne verte, la ligne de cessez-le-feu de 1949 qui sépare la Cisjordanie d’Israël. Les bulldozers sont entrés en action sur 36 kilomètres et selon le gouvernement israélien, la totalité du premier tronçon sera mis en chantier d’ici au 15 septembre. Soit 120 kilomètres depuis le village de Salem, au nord de Jénine, jusqu’à Kafr Kassem, en face de Tel Aviv à raison de 1 million de dollars le kilomètre. Achèvement de cette phase prévue en juillet prochain. A terme, c’est à dire dans au moins deux ans, le mur mesurera 360 kilomètres de long. Il sera doublé par une zone de sécurité interdite d’accès aux Palestiniens, bardée de tranchées, de capteurs photosensibles et de clôture barbelée.

Il y a deux semaines, des soldats israéliens sont venus rendre visite à des paysans de Qalqilya, une ville de 45 000 habitants, située à un quart d’heure en voiture de Tel Aviv. A la main, ils avaient un avis de saisie officiel. Les terres des paysans avaient la mauvaise idée d’être situées sur le tracé du mur. L’armée les réquisitionnait. «En tout, près de 300 dunums (300 000 m²) vont nous être confisqués, affirme le maire, Maa’rouf Zahran. Le préjudice est d’autant plus lourd qu’il s’agit de terres très fertiles, avec des vergers et de nombreuses sources d’eau souterraines. Près de 30% de la population sera ainsi coupé de sa principale source de revenu».

En additionnant les informations que les paysans lui faisaient parvenir, le maire a compris: à terme, sa ville sera quasiment encerclée par le mur. Pour englober les colonies proches de Qalqilya, comme Alfei Menashe, il fera de longues embardées à l’intérieur des Territoires. «L’armée justifie cette annexion de facto en disant qu’il ne s’agit que d’une saisie temporaire, pour trois ans, soupire Hazmeh Bishara, l’avocat de la municipalité. En fait, au bout du bail, elle se contente de renouveler l’ordre de saisie. Et ainsi de suite. C’est comme cela qu’ont été construites toutes les routes de contournement, réservés aux colons. On ne peut rien faire contre». Les habitants croient-ils au moins que le mur sera efficace ? Les yeux de Talal, un entrepreneur qui faisait autrefois beaucoup d’affaires en Israël, se mettent à briller : «Il y a un proverbe arabe qui dit "enfermez un chat dans une cage, il deviendra un tigre". C’est exactement ce que les Israéliens font avec nous. Tant que l’occupation durera, il n’y aura de sécurité ni pour eux, ni pour nous».

Matan: mobilisation générale

Quand les habitants de Matan ont découvert sur une carte le tracé du mur, ils ont tressailli. L’ouvrage passe certes à l’est de ce village juif israélien, situé à proximité de Qalqilya. Le mettant donc a priori à l’abri d’éventuelles attaques palestiniennes. Mais aux yeux des résidents, le tracé retenu longe leurs maisons de trop près. «N’importe quel activiste du Hamas ou du Fatah pourra nous viser depuis Habla, (le village palestinien contigu de Matan, ndlr), vitupère Haïm Oren, un habitant interviewé par le quotidien Ha’aretz. On va se faire tirer comme des poulets». Les gens de Matan n’ont jamais été pris pour cible mais ils en sont persuadés: «Le tracé du mur tel qu’il est prévu va permettre à Qalqilya et Habla de croître et de fondre en un Grand Qalqilya qui nous menacera tous», assène Yossi Pollack dans Ha’aretz. Du coup, les habitants réclament que le mur soit reculé vers l’est, entre Habla et Qalqilya, afin que l’armée puisse patrouiller entre Matan et Habla.

L’éventualité que leurs voisins palestiniens ne soient pas enchantés à l’idée d’être coupée de Qalqilya ne les effleure pas. Pour inciter le gouvernement à faire machine arrière, ils ont monté un comité de défense, avec conseiller juridique, attaché de presse, expert en sécurité etc. Ils prévoient même d’embaucher un lobbyiste pour faire pression sur les membres de la Knesset. «Nous nous battons pour nos foyers. Arik et Fouad (les pseudonymes d’Ariel Sharon et Benyamin Ben Eliezer) veulent nous abandonner».

A Barta’a, une ville sur la Ligne verte, au nord de Tulkarem, tous les habitants s’appelle Kabaha. Il y a les Kabaha israéliens, ceux qui habitent la partie ouest et les Kabaha palestiniens, à l’est. Une seule famille, divisée par l’histoire. Le tracé du mur passant à l’est de Barta’a est, dans quelques mois, la ville sera réunifiée. Ou presque. «On va nous marier à Israël, sans nous donner l’acte de mariage», s’amuse Ahmed, un vendeur de jeans. Pour l’instant, les projets du gouvernement d’Ariel Sharon sont encore flous. Mais il est de fait peu probable que les Palestiniens se voient délivrer les mêmes papiers d’identité que leurs parents de l’ouest. Au mieux, ils imaginent un permis pour circuler. Un sésame qui en fait rêver plus d’un. «Dans la rue, tout le monde vous dira qu’il ne veut pas de ces papiers, dit Ahmed, un adolescent de 17 ans, fan de Faudel. Mais en fait, on ne rêve que de ça. On est palestinien de cœur, mais dans la situation actuelle, la possibilité de travailler et de circuler de l’autre côté, ça ne se refuse pas». Son cousin Mohamed, 23 ans, dopé aux vidéos clips diffusés par les chaînes satellites, renchérit. «Avant l’Intifada, je travaillais comme réceptionniste à l’hôtel Intercontinental de Bethléem. Cela fait deux ans que je suis au chômage. Devenir Israélien, c’est ma seule chance pour m’en sortir».



par Benjamin  Barthe

Article publié le 03/09/2002