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Proche-Orient

Les députés palestiniens «démissionnent» le gouvernement d’Arafat

Confronté à une fronde généralisée des députés, le cabinet palestinien a présenté sa démission au président Arafat qui l’a accepté. Le nouveau gouvernement devra être formé d’ici deux semaines.
De notre correspondant dans les Territoires palestiniens

«Une date historique», «un tournant majeur». Les députés palestiniens ne dissimulaient pas leur satisfaction mercredi après-midi après avoir obtenu la démission du gouvernement de Yasser Arafat. «Rendez-vous compte, c’est la première fois dans l’histoire du Moyen-Orient qu’un cabinet est renversé par un Parlement», s’enthousiasmait Mahmoud Labadi, le directeur général du Conseil législatif.

La fronde couvait depuis plusieurs semaines. Déçue par le remaniement opéré au mois de juin sous la pression des Etats-Unis et de l’Union européenne, qu’elle qualifiait «d’homéopathique», la jeune garde du Fatah, le parti d’Arafat, réclamait à haute voix une refonte de l’exécutif. Ils exigeaient notamment la création d’un poste de Premier ministre et l’éviction de plusieurs membres du gouvernement suspects d’incompétence ou de corruption. Comme par exemple Jamil Al Tarifi, le ministre des Affaires civiles, dont l’âpreté au gain, notoire dans les Territoires, incarne on ne peut mieux les dérives business de l’Autorité palestinienne.

Jusqu’au dernier moment, Yasser Arafat aura tenté d’amadouer les parlementaires rebelles. Lundi, dans le discours d’ouverture de la septième session du Parlement, qu’il prononce à Ramallah, depuis son palais en miettes, il traite par la dérision ceux qui réclament un Premier ministre. «Si vous voulez, vous pouvez choisir quelqu'un pour lui confier le pouvoir exécutif à ma place. J'aimerais que vous le fassiez et que vous me permettiez de me reposer», avait-il déclaré, arrachant quelques rires convenus au public.

Arafat leur reproche de faire le jeu de Sharon

Mardi, à la date prévue du vote d’investiture, les débats parlementaires s’enlisent sur des questions de procédure qui obligent à reporter le scrutin d’un jour. Finalement, mercredi matin, juste avant la réunion du Conseil législatif, Arafat convoque les 55 députés Fatah (sur 88 parlementaires), dans son bureau de la Mokataa. Trente-sept d’entre eux répondent présent. Jouant sur la gravité de la situation et le risque qu’un vote de défiance soit utilisé par le gouvernement Sharon pour délégitimer encore davantage l’Autorité, il leur demande de bien peser leur choix. «Il nous a dit que l’atmosphère était dangereuse, raconte Mohamed Hourani, l’un des leaders de la fronde. On lui a répondu que le danger, c’était la paralysie. Avaliser le gouvernement comme si de rien n’était, c’était faire le jeu d’Israël».

Au moment où la séance s’ouvre, Arafat tente une ultime manoeuvre. Par la bouche d’Abou Ala, le président du Conseil, il annonce que la date des élections législatives et présidentielles, est fixée par décret au 20 janvier prochain. Jusqu’alors, le calendrier électoral n’avait jamais été officialisé. En réduisant la durée de vie de son cabinet à quatre mois, le raïs espère ramener à la raison les mutins. Mais leur détermination sera la plus forte. Après trois heures de débats houleux, ponctués d’altercations entre adversaires et partisans d’une motion de censure, les ministres-députés demandent une interruption de séance. Ils ont compris que la majorité de l’hémicycle votera contre eux. Par téléphone, ils soumettent leur démission à Yasser Arafat qui l’accepte sur le champ. «Pour esquiver l’embarras que lui aurait causé une motion de censure», souligne Mahmoud Labadi.

Dans l’affaire, le Conseil législatif s’impose comme un véritable acteur du jeu politique palestinien. Longtemps considéré comme un parlement fantoche, il bouscule pour la première fois les plans du raïs. «C’est le début d’un partenariat avec l’Autorité, assure Mohamed Hourani, le début d’une direction collective». Salah Tamaari, le député Fatah de Bethléem, une figure illustre du mouvement national palestinien, renchérit: «C’est un bon point pour les Palestiniens, cela renforce notre crédibilité aux yeux de l’opinion publique mondiale et des Américains qui ne cessent de demander des réformes».

En juin 1998, Yasser Arafat avait déjà accepté la démission de son gouvernement sous la pression des députés. Mais c’était au terme d’une guerre d’usure d’un an et dans la foulée, la plupart des ministres honnis avaient été reconduits, dont, déjà à l’époque, le fameux Jamil Al Tarifi. Vu la pression internationale qui s’exerce sur l’Autorité, il est peu probable que le vieil homme rejoue ce tour de passe-passe aujourd’hui. «On a renversé le gouvernement une fois, on pourra le refaire une deuxième, une troisième», prévient Mohamed Hourani.

Reste à composer le nouveau gouvernement. Les valeurs montantes du Fatah, directement issus des Territoires, vont chercher à prendre leur revanche sur les hommes de Tunis, qui monopolisent la plupart des portefeuilles depuis qu’Arafat est revenu d’exil en 1994. Les tractations seront à coup sûrs animées. Et dans au plus tard deux semaines, les députés se retrouveront pour accorder –ou non- leur confiance au nouveau gouvernement.



par Benjamin  Barthe

Article publié le 11/09/2002