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Irak

Les États-Unis maintiennent la pression sur l'ONU

Washington tente d'obtenir dès que possible l'autorisation du Conseil de sécurité pour intervenir militairement en Irak, tout en traînant des pieds pour l'envoi des inspecteurs de l'ONU en Irak. Le conseil de sécurité est divisé sur l'opportunité d'une nouvelle résolution de l'ONU.
De notre correspondant à New York (Nations Unies)

Le Conseil de sécurité semble aller droit dans l'impasse. Alors que les États-Unis tentent d'obtenir sans délais une résolution du conseil de sécurité les autorisant à intervenir militairement, les autres États membres s'efforcent d'accélérer le retour des inspecteurs de l'ONU en Irak -une entreprise que les États-Unis voudraient ralentir, de peur qu'elle ne vienne contrecarrer leurs desseins guerriers. «On a l'impression que les États-Unis sont embarrassés par le retour des inspecteurs. Il est plus difficile de bombarder l'Irak ou de renverser le régime si les inspecteurs de l'ONU sont sur place» confie un diplomate de l'ONU. Depuis que l'Irak a accepté par surprise le retour inconditionnel des inspecteurs en désarmement, les couloirs de l'ONU ne bruissent que de la nouvelle donne diplomatique.

Dans ce contexte, la première réunion du Conseil de sécurité au lendemain du revirement irakien a fait du bruit. Réunis à huis clos, la plupart des quinze États membres ont demandé une rencontre d'urgence avec Hans Blix, le chef de l'Unmovic, la commission de contrôle, de vérification et d’inspection des Nations Unies chargée du désarmement de l’Irak. A la surprise générale, seuls les États-Unis ont freiné des quatre fers, en proposant de reporter la rencontre à la semaine suivante. «C'était surréaliste, confie un témoin. Alors que la semaine dernière, Bush nous faisait la leçon en nous pressant d'agir vite, subitement, les États-Unis invoquaient tous les prétextes pour retarder le processus.» L'anecdote prouve la gêne des États-Unis vis à vis d'un retour des inspecteurs auxquels ils ne croient guère, à moins de l'accompagner d'une résolution «très dure» autorisant un éventuel usage de la force contre Bagdad.

«Saddam nous avait habitué à faire le mauvais choix. Cette fois, il a fait le bon choix» ironise un diplomate du Conseil. En quelques heures, le régime de Saddam Hussein a fait imploser l'unanimité de façade du Conseil de sécurité de l'ONU, dont le plus petit commun dénominateur était d'exiger le retour des inspecteurs. Une fois ce retour acquis, les pays sont laissés à leurs divisions. Venu à l'ONU pour rallier le monde à son combat contre l'Irak, le président Bush se retrouve désormais face à des pays trop contents d'éviter une guerre en renvoyant aussi vite que possible les inspecteurs de l'ONU en Irak.

Les États-Unis sont prêts à accepter ce retour uniquement si il est très précisément encadré par une nouvelle résolution du Conseil de sécurité, en trois points. D'abord, le rappel des violations des résolutions antérieures par l'Irak, qui au-delà du retour des inspecteurs posent la question des disparus de la guerre du golfe (dont un soldat américain) des dédommagements dus au Koweït ou de la situation des minorités. Ensuite, cette résolution devra selon eux contenir une date butoir pour le retour des inspecteurs. Enfin et surtout, en cas de non respect de cet ultimatum, la résolution devrait énoncer une menace.

Marchandage russo-américain

Parmi les membres permanents du Conseil disposant d'un droit de veto, à l'heure actuelle, seule la Grande Bretagne semble prête à soutenir cette démarche. Même si ils ne sont pas opposés par principe au vote d'une nouvelle résolution, les Français insistent sur le retour rapide des inspecteurs. Les Russes ont déjà clairement fait savoir que selon eux, aucune nouvelle résolution n'est nécessaire. Cela semble également être l'avis de la Chine, des pays arabes, et plus généralement, d'une majorité des quinze membres du Conseil de sécurité, qui font pourtant l'objet d'un intense lobbying piloté depuis la Maison Blanche.

De fait, légalement, Hans Blix et ses inspecteurs n'ont pas besoin d'une nouvelle résolution. Leur mission est clairement consignée dans la résolution 1284, adoptée par le Conseil de sécurité en décembre 1999 sous l'impulsion des États-Unis. Le chef de l'Unmovic a d'ailleurs commencé à discuter avec une délégation irakienne des modalités pratiques du retour des inspecteurs. Il doit poursuivre cette discussion dans une dizaine de jours à Vienne. «La question est de savoir combien de temps il va pouvoir continuer à avancer sans un soutien très clair du Conseil de sécurité» se demande un fonctionnaire onusien.

Comme souvent, le Conseil devra trouver un compromis en travaillant sur le langage d'une nouvelle résolution. Tout l'art sera d'énoncer la «menace» américaine. «Je ne pense pas qu'on pourra clairement se référer à l'utilisation de la force militaire, ce serait inacceptable pour les Russes ou les Chinois. On va plutôt menacer l'Irak de 'conséquences' ou quelque chose comme ça». Une telle formulation, même vague, pourrait suffire à la Maison Blanche pour justifier une intervention armée. «Le pire serait de rédiger une résolution au langage très clair, affirme un diplomate britannique. Un certain degré d'imprécision arrangerait beaucoup de monde. Il faut une formulation suffisamment ambiguë pour que chacun puisse y lire ce qu'il veut

Alors que les Américains et les Britanniques ont lancé une offensive diplomatique tous azimuts, on évoque déjà des marchandages entre les États-Unis et la Russie, qui a de lourds intérêts financiers en Irak. «Il existe des monnaies d'échange, explique avec malice le même diplomate. Ils peuvent très bien se dire que la guerre aura lieu, avec ou sans leur assentiment. Ils pourraient tout aussi bien penser à leurs intérêts avec le nouveau régime qui se mettra en place.» Aucun projet de résolution n'a encore été formalisé, mais «des papiers circulent», comme disent les diplomates. Les premiers textes devraient être présentés au Conseil de sécurité la semaine prochaine.

Même si Washington n’a pas écarté le risque d’une intervention militaire contre l’Irak, les places financières mondiales ont salué mardi la décision irakienne d’accepter le retour des inspecteurs en désarmement de l’ONU. La bourse de Tokyo a ainsi clôturer en progression de 3,3 % dans la foulée de l’annonce et les places européennes étaient dès l’ouverture dans le vert. Les cours du pétrole ont également accueilli favorablement la volte-face irakienne. Le prix du Brent a ainsi chuté de près d’un dollar mardi matin.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 19/09/2002