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Société

Verdict «exemplaire» dans le procès des viols collectifs d’Argenteuil

De 5 à 12 ans de réclusion criminelle pour les dix-sept jeunes hommes reconnus coupables de viols et de 3 à 5 ans de prison pour les deux jeunes femmes condamnées pour complicité. Les peines prononcées, vendredi 27 septembre, par la cour d'assises des mineurs du Val d’Oise ont été plus sévères que les réquisitions de l'avocat général. Pendant un mois et demi, entre décembre 1998 et janvier 1999, la victime Samia -une adolescente de 15 ans- a été séquestrée et violée à plusieurs reprises par une bande de délinquants du quartier de la Dalle, à Argenteuil, dans la banlieue parisienne. L’annonce du verdict a provoqué la colère des familles des accusés et de leurs avocats, dont la plupart ont annoncé leur intention de faire appel.
Samia tombe dans un véritable traquenard lorsqu’elle croise, le 14 décembre 1998, trois «copines» qui lui proposent de venir récupérer un manteau chez l’une d’elles, à Argenteuil. La jeune fille n’a pas de raison de se méfier et accepte bien volontiers. Mais à peine arrivée dans la cité de la Dalle, un groupe de garçons l’entraînent dans une cage d’escalier déserte et l’obligent à pratiquer des fellations. Pour Samia, c’est le début du cycle de l’horreur qui va durer un mois et demi.

Les violeurs s’acharnent sur l’adolescente et la séquestrent à plusieurs reprises pour abuser d’elle, chacun leur tour, dans tous les endroits glauques et isolés de la cité (caves, squats, escaliers, toilettes d’une école). Ils réussissent même à la forcer à venir avec eux au tribunal de Pontoise, où certains d’entre eux sont convoqués pour répondre d’une accusation de vol, et à la violer dans les toilettes. Enfermée pendant plusieurs semaines dans le plus total mutisme, elle a fini par craquer et s’est confiée à une amie. La police a été prévenue et les auteurs des viols ont été identifiés.

La peur des représailles

Dans cette affaire particulièrement sordide, vingt personnes, âgées de 15 à 20 ans au moment des faits, sont accusées : 18 hommes et deux femmes, dont l’une a fait office de «rabatteuse» pour les violeurs. C’est elle qui a convaincu Samia de se rendre à Argenteuil et l’a livré en pâture à ses agresseurs, le jour où elle a subi des sévices sexuels pour la première fois. C’est elle aussi qui a recommencé, un mois plus tard, quand elle a croisé de nouveau Samia et a encore réussi à la convaincre de la suivre pour la laisser aux mains des mêmes hommes qui ont recommencé à la violer sous la menace d’un couteau. Alors qu’elle savait pertinemment ce qui allait se passer.

Les auditions des accusés ont mis en évidence, comme dans la plupart des affaires de viols collectifs, une absence total de remords. Les violeurs n’ont aucun sentiment de culpabilité et adoptent quasi-systématiquement le même mode de défense en affirmant qu’il n’y a pas eu d’abus mais, au contraire, que la victime était «consentante». Ils assènent même comme une justification imparable qu’il s’agissait d’une «fille facile», rejetant ainsi sur elle toute la responsabilité. Ils n’ont absolument pas conscience d’avoir commis un crime d’une extrême gravité. La victime étant considérée ni plus ni moins comme un «objet» destiné à leur permettre d’assouvir des pulsions sexuelles. En agissant en bande, les agresseurs développent aussi un sentiment d’impunité totale. Mais le plus effrayant dans le cas de Samia vient du fait que les deux jeunes filles qui l’ont piégé ne sont pas plus compatissantes vis à vis d’elle que les violeurs eux-mêmes. Elles se sont intégrées dans cette logique de violence et d’agression sans état d’âme.

Les victimes de ces viols collectifs sont la plupart du temps des adolescentes vulnérables et isolées qui, par exemple, ne bénéficient pas de la protection d’un grand frère. Bien souvent aussi, ce sont des jeunes filles amoureuses d’un garçon de la cité qui les livre à ses copains quand il en a assez profité. Car le phénomène des «tournantes», le terme utilisé depuis quelques années pour qualifier ce que la justice appelle des «viols en réunion», est intimement lié à celui des bandes dans lesquelles se regroupent des jeunes sans repères sociaux, pour lesquels les femmes sont soit des mères, soit des «salopes» et qui n’ont que les cassettes vidéo pornographiques comme référent sexuel.

Les victimes de viols collectifs vivent parfois des semaines ou des mois de souffrances sans que personne ne soupçonne ce qui est en train de se passer. Samia a caché à sa famille qu’elle subissait des sévices sexuels à répétition par honte et par peur. Ses agresseurs la menaçaient, en effet, des pires représailles si elle osait porter plainte ou avouer à ses parents ce qui était arrivé. La pauvre jeune fille a d’ailleurs inventé une histoire de fugue pour expliquer à sa mère qui avait prévenu la police, une absence de trois jours, alors qu’en fait, elle était séquestrée par ses tortionnaires. Dans plusieurs affaires semblables où les violeurs, souvent mineurs, ont été interpellés, les familles des victimes ont été menacées, voire agressées, par les proches des accusés.



par Valérie  Gas

Article publié le 28/09/2002