Serbie
Présidentielle: ce passé qui ne passe pas
Le tribunal de La Haye doit commencer jeudi à examiner l’acte d’accusation contre Slobodan Milosevic concernant la Croatie et la Bosnie-Herzégovine, quelques jours avant le premier tour d’élections présidentielles cruciales en Serbie. Les débats sur le passé récent du passé du pays ont pourtant été largement escamotés du débat électoral.
De notre correspondant dans les Balkans
Depuis sa cellule de La Haye, Slobodan Milosevic a choisi d’apporter son soutien à Vojislav Seselj, le leader de l’extrême droite, dont les partisans se recrutent dans les rangs des nostalgiques de l’ancien régime et des défenseurs impénitents de la «Grande Serbie». Au premier rang des «ennemis de la Serbie» vilipendés par l’extrême droite se trouve bien évidemment le Tribunal pénal international (TPI), toujours accusé d’être une juridiction «anti-serbe». L’annonce d’une possible inculpation de Vojislav Seselj, maladroitement communiquée par le Tribunal en pleine période de campagne électorale, n’a fait que donner des arguments supplémentaires au chef de l’extrême droite, qui dénonce une «ingérence politique».
L’actuel président fédéral Vojislav Kostunica, grand favori de la course à la présidence de la Serbie, essaye, depuis le début de sa campagne, de damer le pion à l’extrême droite sur le terrain du nationalisme. Une des dernières déclarations de Vojislav Kostunica a suscité un véritable tollé en Bosnie-Herzégovine. En visite dans la ville frontière de Mali Zvornik, le candidat-président a en effet décrit la Republika Srpska, «l’entité» serbe de Bosnie, comme «un membre de la famille momentanément séparée de la mère patrie serbe». Peu avant, un rapport démentant la réalité des exécutions de masse à Srebrenica avait été rendu public en Republika Srpska, et il a reçu un vif écho en Serbie.
L’opinion publique refuse un débat sur les guerres des dix dernières années
Pour sa part, le candidat réformateur, Miroljub Labus, préfère démontrer l’ancienneté de ses racines serbes plutôt que de contre-attaquer sur le terrain de la nécessaire catharsis. Il y a quelques mois encore, ce même Miroljub Labus refusait pourtant, depuis la tribune du Parlement, de considérer la coopération avec le TPI comme une «obligation» imposée par la communauté internationale en échange de son aide financière, mais comme une condition nécessaire pour que la Serbie puisse se décharger du poids d’une culpabilité collective.
Dans ses conditions, la voix des militants pacifistes chevronnés a peu de chance de se faire entendre. Sonja Biserko, la présidente du Comité Helsinki pour les droits de l’homme de Serbie, ne cesse de dénoncer la manière dont les médias serbes ont rendu compte du procès du procès de Slobodan Milosevic, évoquant souvent avec une certaine admiration la pugnacité de l’accusé. Pour elle, «cette sorte de vaine rationalisation ou, pour être plus précis, d’aveuglement intentionnel, est due au refus d’accepter les monstrueux effets de la politique de Milosevic».
Dans sa majorité, l’opinion serbe rechigne toujours, en effet, à engager un débat sur les guerres de la dernière décennie. Une exposition du photographe américain Ron Haviv sur la guerre de Bosnie a tourné ces derniers mois dans plusieurs villes de Serbie, suscitant presque partout de vives réactions. A Cacak, bastion du populiste Velimir Ilic, maire de la ville et fervent soutien de Vojislav Kostunica, l’exposition a été violemment attaquée. Elle a rencontré un peu plus de succès à Novi Sad, en Voïvodine, où elle aurait été vue par quelques 5000 personnes. En sortant de l’exposition, Svetlana, une enseignante d’anglais d’une quarantaine d’années, militante de tous les combats de l’opposition anti-Milosevic, ne cache pourtant pas sa gêne: «bien sûr, nous devons regarder en face les crimes qui ont été commis, et notamment ceux qui ont été commis au nom de la Serbie. Mais pourquoi ce photographe feint-il, lui aussi, d’oublier les crimes dont les Serbes ont été victimes ? Toutes les responsabilités ne reviennent pas aux seuls Serbes».
Vue de Serbie, la première partie du procès de Slobodan Milosevic, consacrée au Kosovo, aura été contre-productive, car les faiblesses de l’accusation n’ont fait que conforter l’idée que le pays devait se défendre face au «terrorisme» albanais et aux bombardements de l’OTAN. A propos de la Bosnie, la partie risque de ne pas être plus simple. Si les crimes de masse peuvent difficilement être niés, il sera malaisé d’établir la responsabilité directe de Slobodan Milosevic et du régime de Belgrade, car les Serbes de Bosnie étaient formellement indépendants.
Dans leur grande majorité, les citoyens de la République de Serbie préféreraient tourner complètement la page de ce passé récent, pour concentrer leur attention sur la reconstruction économique du pays, au risque même d’oublier les centaines de milliers de réfugiés qui survivent péniblement en Serbie, et qui sont, eux aussi, des victimes directes des guerres menées au nom de l’idéologie de la «Grande Serbie».
Depuis sa cellule de La Haye, Slobodan Milosevic a choisi d’apporter son soutien à Vojislav Seselj, le leader de l’extrême droite, dont les partisans se recrutent dans les rangs des nostalgiques de l’ancien régime et des défenseurs impénitents de la «Grande Serbie». Au premier rang des «ennemis de la Serbie» vilipendés par l’extrême droite se trouve bien évidemment le Tribunal pénal international (TPI), toujours accusé d’être une juridiction «anti-serbe». L’annonce d’une possible inculpation de Vojislav Seselj, maladroitement communiquée par le Tribunal en pleine période de campagne électorale, n’a fait que donner des arguments supplémentaires au chef de l’extrême droite, qui dénonce une «ingérence politique».
L’actuel président fédéral Vojislav Kostunica, grand favori de la course à la présidence de la Serbie, essaye, depuis le début de sa campagne, de damer le pion à l’extrême droite sur le terrain du nationalisme. Une des dernières déclarations de Vojislav Kostunica a suscité un véritable tollé en Bosnie-Herzégovine. En visite dans la ville frontière de Mali Zvornik, le candidat-président a en effet décrit la Republika Srpska, «l’entité» serbe de Bosnie, comme «un membre de la famille momentanément séparée de la mère patrie serbe». Peu avant, un rapport démentant la réalité des exécutions de masse à Srebrenica avait été rendu public en Republika Srpska, et il a reçu un vif écho en Serbie.
L’opinion publique refuse un débat sur les guerres des dix dernières années
Pour sa part, le candidat réformateur, Miroljub Labus, préfère démontrer l’ancienneté de ses racines serbes plutôt que de contre-attaquer sur le terrain de la nécessaire catharsis. Il y a quelques mois encore, ce même Miroljub Labus refusait pourtant, depuis la tribune du Parlement, de considérer la coopération avec le TPI comme une «obligation» imposée par la communauté internationale en échange de son aide financière, mais comme une condition nécessaire pour que la Serbie puisse se décharger du poids d’une culpabilité collective.
Dans ses conditions, la voix des militants pacifistes chevronnés a peu de chance de se faire entendre. Sonja Biserko, la présidente du Comité Helsinki pour les droits de l’homme de Serbie, ne cesse de dénoncer la manière dont les médias serbes ont rendu compte du procès du procès de Slobodan Milosevic, évoquant souvent avec une certaine admiration la pugnacité de l’accusé. Pour elle, «cette sorte de vaine rationalisation ou, pour être plus précis, d’aveuglement intentionnel, est due au refus d’accepter les monstrueux effets de la politique de Milosevic».
Dans sa majorité, l’opinion serbe rechigne toujours, en effet, à engager un débat sur les guerres de la dernière décennie. Une exposition du photographe américain Ron Haviv sur la guerre de Bosnie a tourné ces derniers mois dans plusieurs villes de Serbie, suscitant presque partout de vives réactions. A Cacak, bastion du populiste Velimir Ilic, maire de la ville et fervent soutien de Vojislav Kostunica, l’exposition a été violemment attaquée. Elle a rencontré un peu plus de succès à Novi Sad, en Voïvodine, où elle aurait été vue par quelques 5000 personnes. En sortant de l’exposition, Svetlana, une enseignante d’anglais d’une quarantaine d’années, militante de tous les combats de l’opposition anti-Milosevic, ne cache pourtant pas sa gêne: «bien sûr, nous devons regarder en face les crimes qui ont été commis, et notamment ceux qui ont été commis au nom de la Serbie. Mais pourquoi ce photographe feint-il, lui aussi, d’oublier les crimes dont les Serbes ont été victimes ? Toutes les responsabilités ne reviennent pas aux seuls Serbes».
Vue de Serbie, la première partie du procès de Slobodan Milosevic, consacrée au Kosovo, aura été contre-productive, car les faiblesses de l’accusation n’ont fait que conforter l’idée que le pays devait se défendre face au «terrorisme» albanais et aux bombardements de l’OTAN. A propos de la Bosnie, la partie risque de ne pas être plus simple. Si les crimes de masse peuvent difficilement être niés, il sera malaisé d’établir la responsabilité directe de Slobodan Milosevic et du régime de Belgrade, car les Serbes de Bosnie étaient formellement indépendants.
Dans leur grande majorité, les citoyens de la République de Serbie préféreraient tourner complètement la page de ce passé récent, pour concentrer leur attention sur la reconstruction économique du pays, au risque même d’oublier les centaines de milliers de réfugiés qui survivent péniblement en Serbie, et qui sont, eux aussi, des victimes directes des guerres menées au nom de l’idéologie de la «Grande Serbie».
par Jean-Arnault Dérens
Article publié le 05/09/2002