Liban
La guerre de l’eau aura-t-elle lieu ?
La décision du Liban d’augmenter sa part d’exploitation des eaux d’une rivière au Liban-Sud a provoqué la colère d’Israël. Devant la gravité de la situation, Washington a dépêché une délégation d’experts pour une mission «d’établissement des faits».
De notre correspondant à Beyrouth
La crise a éclaté lorsque le Liban a entamé des travaux pour installer, à partir du Wazzani, un affluent de la rivière Hasbani qui coule vers Israël avant de se jeter dans le lac de Tibériade, un réseau d'adduction de 16 km de long qui devrait alimenter une vingtaine de villages du Liban-Sud. Israël, par la bouche de son Premier ministre Ariel Sharon, a estimé que ces travaux de «détournement» constituent pour lui un «casus belli». Le ministre des Affaires étrangères Shimon Pérès, a pour sa part qualifié le projet libanais de «provocation inutile». Mais Beyrouth ne s’est pas laissé intimider par ces menaces, qui doivent d’autant plus être prises au sérieux qu’en 1965, l’Etat hébreu avait stoppé, par un bombardement aérien, des travaux d’exploitation des eaux de la même rivière, presque au même endroit. Le président de la République Émile Lahoud a décidé de passer outre les propos belliqueux des responsables israéliens, affirmant que l’exploitation des eaux du Wazzani était «irréversible».
Les travaux se sont donc poursuivis et des équipes supplémentaires ont même été envoyées sur place. Lundi et mardi, de gigantesques pelleteuses creusaient des canaux à cinq mètres des fils barbelés marquant la frontière, sous les regards curieux de soldats israéliens postés de l’autre côté.
Tous les ingrédients sont donc réunis pour une crise majeure, l’eau étant pour tous les pays de la région un enjeu stratégique capital. Selon les Israéliens, le Hasbani et le Wazzani fournissent 20 à 25% des eaux du lac de Tibériade. Toutefois, le Liban assure qu’il n’exploite qu’une infime partie des eaux qu’il lui reviennent conformément aux conventions internationales, soit 7 millions de mètres cubes par an sur les 35 millions qu’il peut utiliser, alors que l’État hébreu exploite 430 millions de mètres cubes provenant de fleuves et de rivières prenant leur sources au Liban ou passant dans le pays du Cèdre.
Les travaux en cours augmenteront la part du Liban de deux millions de mètres cubes seulement. Devant les menaces israéliennes, Beyrouth a lancé une vaste campagne diplomatique pour expliquer son point de vue. Le ministre des Affaires étrangères Mahmoud Hammoud, a ainsi rencontré à New York, en marge des travaux de l’Assemblée générale de l’Onu, le secrétaire d’État américain Colin Powell. Les ambassadeurs des cinq membres permanents du Conseil de sécurité en poste au Liban ont également été informés des détails des travaux en cours.
Pour Washington, l’affaire présente assez de gravité pour dépêcher une équipe d’experts sur le terrain. Venus de Jordanie, ces spécialistes ont inspecté, lundi, pendant trois heures, les travaux en cours. Ils ont pris des dizaines de photos, sont remontés jusqu’à la source du Wazzani, ont collecté des informations sur le débit des pompes installées par le Liban. Il seront rejoints, mercredi, par un autre expert, Richard Larsen, qui devra rédiger un rapport final destiné à son gouvernement.
Un coup de maître
Mais le Liban «fort de son droit», comme ne cesse de le répéter Émile Lahoud, refuse de parler de médiation américaine. La délégation d’experts américains est une «mission d’information et d’établissement des faits» venue au Liban à la demande de Washington et non pas de Beyrouth. Lors d’une réunion d’urgence, lundi soir, Lahoud et le Premier ministre Rafic Hariri ont affirmé que la question du partage des eaux avec Israël doit être traitée par les Nations unies dans le cadre des conventions internationales relatives à l’exploitation des eaux: un refus courtois de toute médiation américaine.
Comment le Liban a-t-il osé lancer ce projet d’exploitation des eaux du Wazzani après son échec de 1965, alors qu’à cette époque le rapport de force était de loin plus favorable aux Arabes ? «Le secret de cette initiative réside dans son timing», précise un diplomate occidental en poste à Beyrouth. En effet, le Liban a choisi le bon moment: d’un côté, Ariel Sharon ne peut pas prendre le risque d’ouvrir un nouveau front à sa frontière nord alors que son armée est empêtrée dans les territoires palestiniens et que l’Administration Bush planifie une attaque contre l’Irak. D’un autre côté, Washington, dont la priorité est le renversement de Saddam Hussein, ne peut permettre l’émergence d’un autre foyer de tension dans la région. «Émile Lahoud a frappé un coup de maître», affirme ce même diplomate.
La guerre de l’eau que tout le monde redoute au Proche-Orient depuis des années, n’aura finalement pas eu lieu. Pas cette fois en tout cas.
La crise a éclaté lorsque le Liban a entamé des travaux pour installer, à partir du Wazzani, un affluent de la rivière Hasbani qui coule vers Israël avant de se jeter dans le lac de Tibériade, un réseau d'adduction de 16 km de long qui devrait alimenter une vingtaine de villages du Liban-Sud. Israël, par la bouche de son Premier ministre Ariel Sharon, a estimé que ces travaux de «détournement» constituent pour lui un «casus belli». Le ministre des Affaires étrangères Shimon Pérès, a pour sa part qualifié le projet libanais de «provocation inutile». Mais Beyrouth ne s’est pas laissé intimider par ces menaces, qui doivent d’autant plus être prises au sérieux qu’en 1965, l’Etat hébreu avait stoppé, par un bombardement aérien, des travaux d’exploitation des eaux de la même rivière, presque au même endroit. Le président de la République Émile Lahoud a décidé de passer outre les propos belliqueux des responsables israéliens, affirmant que l’exploitation des eaux du Wazzani était «irréversible».
Les travaux se sont donc poursuivis et des équipes supplémentaires ont même été envoyées sur place. Lundi et mardi, de gigantesques pelleteuses creusaient des canaux à cinq mètres des fils barbelés marquant la frontière, sous les regards curieux de soldats israéliens postés de l’autre côté.
Tous les ingrédients sont donc réunis pour une crise majeure, l’eau étant pour tous les pays de la région un enjeu stratégique capital. Selon les Israéliens, le Hasbani et le Wazzani fournissent 20 à 25% des eaux du lac de Tibériade. Toutefois, le Liban assure qu’il n’exploite qu’une infime partie des eaux qu’il lui reviennent conformément aux conventions internationales, soit 7 millions de mètres cubes par an sur les 35 millions qu’il peut utiliser, alors que l’État hébreu exploite 430 millions de mètres cubes provenant de fleuves et de rivières prenant leur sources au Liban ou passant dans le pays du Cèdre.
Les travaux en cours augmenteront la part du Liban de deux millions de mètres cubes seulement. Devant les menaces israéliennes, Beyrouth a lancé une vaste campagne diplomatique pour expliquer son point de vue. Le ministre des Affaires étrangères Mahmoud Hammoud, a ainsi rencontré à New York, en marge des travaux de l’Assemblée générale de l’Onu, le secrétaire d’État américain Colin Powell. Les ambassadeurs des cinq membres permanents du Conseil de sécurité en poste au Liban ont également été informés des détails des travaux en cours.
Pour Washington, l’affaire présente assez de gravité pour dépêcher une équipe d’experts sur le terrain. Venus de Jordanie, ces spécialistes ont inspecté, lundi, pendant trois heures, les travaux en cours. Ils ont pris des dizaines de photos, sont remontés jusqu’à la source du Wazzani, ont collecté des informations sur le débit des pompes installées par le Liban. Il seront rejoints, mercredi, par un autre expert, Richard Larsen, qui devra rédiger un rapport final destiné à son gouvernement.
Un coup de maître
Mais le Liban «fort de son droit», comme ne cesse de le répéter Émile Lahoud, refuse de parler de médiation américaine. La délégation d’experts américains est une «mission d’information et d’établissement des faits» venue au Liban à la demande de Washington et non pas de Beyrouth. Lors d’une réunion d’urgence, lundi soir, Lahoud et le Premier ministre Rafic Hariri ont affirmé que la question du partage des eaux avec Israël doit être traitée par les Nations unies dans le cadre des conventions internationales relatives à l’exploitation des eaux: un refus courtois de toute médiation américaine.
Comment le Liban a-t-il osé lancer ce projet d’exploitation des eaux du Wazzani après son échec de 1965, alors qu’à cette époque le rapport de force était de loin plus favorable aux Arabes ? «Le secret de cette initiative réside dans son timing», précise un diplomate occidental en poste à Beyrouth. En effet, le Liban a choisi le bon moment: d’un côté, Ariel Sharon ne peut pas prendre le risque d’ouvrir un nouveau front à sa frontière nord alors que son armée est empêtrée dans les territoires palestiniens et que l’Administration Bush planifie une attaque contre l’Irak. D’un autre côté, Washington, dont la priorité est le renversement de Saddam Hussein, ne peut permettre l’émergence d’un autre foyer de tension dans la région. «Émile Lahoud a frappé un coup de maître», affirme ce même diplomate.
La guerre de l’eau que tout le monde redoute au Proche-Orient depuis des années, n’aura finalement pas eu lieu. Pas cette fois en tout cas.
par Paul Khalifeh
Article publié le 17/09/2002