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Francophonie

Quand la Francophonie aide les démocraties

Voilà dix ans que la plupart des Etats francophones de l'Afrique, de l'Europe centrale et orientale, de l'Asie du sud-est ou encore des Caraïbes se sont engagés dans un mouvement de démocratisation de leurs institutions politiques. Les acquis des changements survenus après la fin de la Guerre froide sont néanmoins très fragiles, l'actualité récente montrant que les retours en arrière sont toujours possibles. C'est consciente de ces risques que, ces dernières années, la Francophonie a intensifié ses actions vers la consolidation de ces démocraties en devenir.
Il y a encore dix ans, explique Roger Dehaybe, Administrateur général de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie, les actions «dans le domaine de l’Etat de droit, de la démocratie, de la consolidation des institutions, de soutien aux ministères de la Justice, aux processus électoraux, n'étaient qu’une activité parmi d'autres de la Francophonie. C'est le Sommet de Hanoï qui leur a donné une impulsion politique forte, à travers l'élection d'un Secrétaire général, Boutros Boutros-Ghali, dont c'est la mission. Depuis lors, toute une série d'initiatives politiques ont été prises dans le domaine de la médiation, de la consolidation de la paix, etc. On peut dire, aujourd’hui, que le volet politique est venu conforter la démarche de la Francophonie dans toutes ses autres dimensions». Les actions menées dans le domaine de la coopération, de la culture ou encore de l'éducation (par exemple pour le pluralisme culturel, le pluralisme des médias, et de l'audiovisuel en particulier) participent certes à l'action de type démocratique, mais la Francophonie, pour ne pas donner l'impression d'actions partielles, n’a pas voulu faire l'économie d'un vrai débat politique.

Le symposium de Bamako a à cet égard introduit une rupture ou un changement de braquet: à partir du recensement de tout ce qui avait été fait par le passé dans le domaine du soutien à la démocratie, la communauté francophone a décidé d'aller plus loin et de faire mieux. Elle a en effet décidé, collectivement, de prendre politiquement position sur des situations parfois difficiles (coups d'Etats, violences politiques, etc...). Pour ce faire, elle s'est dotée à Bamako de points de références clairs au plan politique : dorénavant, par exemple, un coup d'Etat renversant un régime démocratique entraînera automatiquement la suspension de la participation de cet Etat, la violation massive des droits de l’Homme, celle de la coopération, etc. Il lui reste désormais à définir concrètement les mécanismes d'application de ces directives démocratiques normatives, ce qui devrait être fait lors du Sommet de la Francophonie de Beyrouth.

L'un des signes évidents de cet engagement accentué en faveur de la consolidation de la démocratie et de la paix réside dans sa présence dans les tentatives de règlement des conflits qui agitent le monde francophone. La communauté francophone travaille ainsi depuis le début avec l'Union européenne pour la relance du dialogue inter-togolais, avec l’Organisation de l'unité africaine aux Comores afin de rapprocher les positions d'Anjouan et de la Grande Comore, et s'investit pour mobiliser les bailleurs de fonds internationaux en faveur du Burundi. D'une manière générale, elle lie la médiation et l’accompagnement ;ce dernier volet comprenant aussi bien l'aide à la préparation des élections, leur observation et la définition de projets de coopération pour enraciner sur le terrain des pratiques démocratiques.

Une approche francophone originale

La démarche francophone de consolidation démocratique se veut pragmatique et proche du terrain. «Ce qui caractérise la coopération francophone, donc aussi son action politique, souligne Roger Dehaybe, c'est sa grande écoute et son véritable ancrage sur le terrain. Les projets de la Francophonie sont de vrais projets participatifs qui sont menés chaque fois en impliquant effectivement les bénéficiaires, en faisant participer les populations, les experts, etc...». La préparation du symposium de Bamako en est un bon exemple puisque, qu'il s'agisse notamment des volets «électoral» ou «partis politiques», à chaque étape de sa préparation ont été associés en grand nombre des experts des pays membres : universitaires, magistrats, politiques, militants des droits de l'Homme, parlementaires, etc... Cette méthodologie a permis d'établir des documents où s’exprime la vision des gens de terrain. Elle a surtout eu deux résultats tangibles. D'une part, il y a eu mobilisation de multiples personnes, qui se sont elles-mêmes réunies et qui continuent aujourd'hui à fonctionner en réseaux. D'autre part, comme l'explique Roger Dehaybe, «on est à peu près sûr de ne pas s'être trompés, et d'avoir restitué à des ministres, donc à des politiques, des points de vue qui étaient de vrais points de vue de terrain». Selon lui, «l'originalité de l'approche de la Francophonie c'est de travailler pour le terrain, avec le terrain et, finalement, d'être moins technocratiques».

De nombreux programmes, sans être directement politiques, contribuent néanmoins à conforter et à consolider les démocraties naissantes. C'est par exemple le cas des actions menées pour la pérennisation et le développement du pluralisme médiatique et pour l'amélioration de la qualité de l'information délivrée à l'opinion publique au Sud. Le Fonds d'aide à la presse écrite indépendante, qui, là encore, fonctionne à partir d'avis d'experts et non pas selon le souhait d'une administration quelconque, a ainsi depuis trois ans permis à une cinquantaine de journaux indépendants du Sud de se développer ou de se renforcer. Bien souvent, cette aide, qu'elle soit financière, matérielle ou de formation, a favorisé la survie de ces titres triés sur le volet pour leur qualité. Parallèlement a été mis en place le réseau Médiaf, dont l'objectif est d'encourager la circulation des informations au niveau régional : depuis Lomé, un correspondant journaliste de l'Agence analyse tous les jours la presse du réseau et suscite des collaborations, attire l'attention sur des sujets originaux, favorise la réalisation de dossiers thématiques qui sont diffusés et repris dans la presse des journaux membres. Par cette circulation horizontale de l'information, la Francophonie contribue à en améliorer la qualité en ne faisant plus dépendre les journaux des seules dépêches des grandes agences mondiales dont l'Afrique est souvent absente. Autre expérience, enfin, celle de la constitution d'un réseau d'une cinquantaine de radios rurales africaines, soutenues par la Francophonie, qui a directement négocié leur existence avec les Etats ; ces derniers prenant l'engagement de ne pas s'ingérer dans leurs activités dès lors qu’elles se cantonnent dans leur rôle de radios de proximité et de service... Quoique cette action ne soit pas, là encore, directement politique, elle n'en contribue pas moins à asseoir dans ces pays un pluralisme de l'information dont a nécessairement besoin toute société en voie de démocratisation.



par Vilhem  OSCAR

Article publié le 06/10/2002