Maroc
«<i>C’est le Roi qui a gagné les élections</i>»
Maintien de l’USFP du Premier ministre sortant comme première force politique du Maroc, percée des islamistes du PJD. Quelle est la véritable signification des élections législatives qui viennent de se dérouler ? Entretien avec Mohamed El Ayadi, universitaire et politologue.
De notre correspondante à Casablanca
RFI : Il est convenu de dire, y compris au Maroc, que les islamistes du PJD sont «modérés». Qu’en est-il ?
Mohammed El Ayadi : «Modérés» est un qualificatif pour désigner cette tendance qui a accepté d’intégrer le système, reconnaît la monarchie et les Institutions et n’a pas d’ambition révolutionnaire. La modération se situe à ce niveau, en comparaison avec d’autres islamistes qui remettent en cause l’ensemble du système, y compris la monarchie. La modération ne concerne pas leur référent, ni leur objectif, mais leur stratégie politique.
RFI : Le PJD a justement raflé les bastions traditionnels de la gauche, les grandes villes, alors que l’USFP recule vers les campagnes. Qu’est-ce que cela signifie ?
MEA : Pour le moment, on ne dispose pas de la carte sociologique du vote, mais on peut dire, effectivement, et depuis longtemps, que l’islamisme s’est ancré dans les quartiers périphériques des villes, parmi des populations démunies. Mais l’islamisme dépasse, en réalité, ces zones. Prenez la circonscription d’Anfa, à Casablanca, où vivent les classes les plus aisées : le PJD y a raflé deux sièges sur cinq, alors que le représentant du parti patronal n’a obtenu que 2,4% des suffrages.
RFI : C’est peut-être aussi parce que les candidats du PJD sont, globalement, plus diplômés que dans les autres partis…
MEA : La catégorie des enseignants est présente dans tous les partis, avec des proportions différentes. Jusque dans les années 80, cette catégorie était, en général, de gauche. L’influence de l’USFP a ensuite diminué, au profit de l’islamisme.
RFI :Comment expliquez-vous ce glissement ?
MEA : C’est une évolution idéologique un peu compliquée. Les années 70 étaient celles de l’idéologie laïque, du socialisme, les étudiants étaient de gauche. Ces milieux ont connu ensuite une évolution, avec la répression qui les a touchés et l’islamisme a pu s’ancrer dans les universités, avec le soutien du pouvoir, entre autres grâce aux transformations de l’enseignement qui a ouvert des sections islamistes. Celles-ci ont formé des milliers de cadres religieux, qui se sont ensuite déversés dans le secondaire. L’Etat lui-même a participé à cette transformation et les enseignants du PJD sont aujourd’hui un lobby puissant.
RFI : Comment ce parti peut-il s’intégrer à la scène politique, aujourd’hui ?
MEA : Pour l’instant, le PJD n’est pas rejeté par les autres partis, l’Istiqlal a même tendance à s’allier avec lui. Le mouvement populaire a également des ambitions de ce genre. On n’exclut même pas une alliance PJD-USFP, malgré les tiraillements. Son rôle dépendra de la volonté royale. Le PJD se positionnera par rapport au groupe qui dirigera la prochaine expérience. Il choisira le gouvernement ou l’opposition.
RFI : Ce parti est-il dangereux ?
MEA : Pour l’instant, il va concentrer ses combats sur l’interdiction de l’alcool, par exemple, ce qui peut renforcer un certain nombre d’hypocrisies sociales. Le PJD est cependant un danger à affronter, mais ni à l’algérienne, ni à la tunisienne. Aujourd’hui, ceux qui votent PJD votent pour un mythe. Il faut confronter le PJD à la gestion, mais pour cela, il faut des institutions solides…
RFI : Justement, les conservateurs, islamistes compris, sont majoritaires à l’issue du scrutin de septembre. Or, l’USFP arrive en tête et risque de gouverner avec une coalition hétéroclite, comme précédemment. Cette option ne risque-t-elle pas de décevoir ceux qui attendaient un changement ?
MEA : Les élections ont eu lieu parce qu’elles étaient programmées, pas en vue d’un quelconque changement. On en attendait une clarté politique pour dépasser l’éparpillement des partis. Ce n’est pas très important, dans la mesure où des partis ne sont pas totalement autonomes et servent d’appoint pour d’éventuelles coalitions. Ce qui reste déterminant, c’est la position des partis de l’ancienne coalition, de l’Istiqlal en particulier. J’ai l’impression qu’il ne veut pas reconduire l’ancienne expérience, celle d’une hégémonie de l’USFP. Si l’Istiqlal n’accepte pas de participer à la nouvelle majorité, le problème, pour l’USFP, c’est de former un gouvernement avec des partis, le RNI et le Mouvement Populaire National, qui sont responsables de l’héritage que les socialistes condamnent. Ce sont les contradictions de la classe politique marocaine, un champ politique particulier, dans lequel le Palais joue le rôle principal. Tout dépend donc du Palais et ensuite de la volonté de cohabitation des partis.
RFI : Le Parlement a, par ailleurs, été choisi par 44% des électeurs (51,65% de participation ; 15% de bulletins nuls). Cela entache-t-il sa légitimité ?
MEA : Non. Au contraire. Le taux de participation est légitimant, dans la mesure où il est fiable. Les votants se sont déplacés sans y être poussés par l’administration ou par l’argent.
RFI : Le Parlement est-il, cependant, une véritable force de gouvernement, avec une Constitution qui concentre l’essentiel des pouvoirs entre les mains du Roi ?
MEA : Oui, c’est une force de gouvernement, mais dans le cadre du système. Le Roi règne et gouverne, le parlement a un poids qui restera limité tant qu’il n’est pas question de réviser la Constitution pour rééquilibrer les pouvoirs.
RFI : Qui a gagné les élections, alors ?
MEA : C’est le Roi. Il garde la main sur le champ politique, il organise les premières élections transparentes.
RFI : Est-ce qu’il a pu, par ailleurs, se permettre ces élections, parce qu’un certain nombre de gardes-fou avaient été mis en place ?
MEA : Oui. Avant, le pouvoir maîtrisait le champ politique en intervenant directement, notamment par la falsification des élections et la création de partis artificiels. Pour ces élections, la multiplication des partis et la proportionnelle ont assuré au Palais son rôle d’arbitre. Mais la spécificité marocaine réside là : la monarchie est un garde-fou et le multipartisme est historique, pas artificiel.
RFI : Il est convenu de dire, y compris au Maroc, que les islamistes du PJD sont «modérés». Qu’en est-il ?
Mohammed El Ayadi : «Modérés» est un qualificatif pour désigner cette tendance qui a accepté d’intégrer le système, reconnaît la monarchie et les Institutions et n’a pas d’ambition révolutionnaire. La modération se situe à ce niveau, en comparaison avec d’autres islamistes qui remettent en cause l’ensemble du système, y compris la monarchie. La modération ne concerne pas leur référent, ni leur objectif, mais leur stratégie politique.
RFI : Le PJD a justement raflé les bastions traditionnels de la gauche, les grandes villes, alors que l’USFP recule vers les campagnes. Qu’est-ce que cela signifie ?
MEA : Pour le moment, on ne dispose pas de la carte sociologique du vote, mais on peut dire, effectivement, et depuis longtemps, que l’islamisme s’est ancré dans les quartiers périphériques des villes, parmi des populations démunies. Mais l’islamisme dépasse, en réalité, ces zones. Prenez la circonscription d’Anfa, à Casablanca, où vivent les classes les plus aisées : le PJD y a raflé deux sièges sur cinq, alors que le représentant du parti patronal n’a obtenu que 2,4% des suffrages.
RFI : C’est peut-être aussi parce que les candidats du PJD sont, globalement, plus diplômés que dans les autres partis…
MEA : La catégorie des enseignants est présente dans tous les partis, avec des proportions différentes. Jusque dans les années 80, cette catégorie était, en général, de gauche. L’influence de l’USFP a ensuite diminué, au profit de l’islamisme.
RFI :Comment expliquez-vous ce glissement ?
MEA : C’est une évolution idéologique un peu compliquée. Les années 70 étaient celles de l’idéologie laïque, du socialisme, les étudiants étaient de gauche. Ces milieux ont connu ensuite une évolution, avec la répression qui les a touchés et l’islamisme a pu s’ancrer dans les universités, avec le soutien du pouvoir, entre autres grâce aux transformations de l’enseignement qui a ouvert des sections islamistes. Celles-ci ont formé des milliers de cadres religieux, qui se sont ensuite déversés dans le secondaire. L’Etat lui-même a participé à cette transformation et les enseignants du PJD sont aujourd’hui un lobby puissant.
RFI : Comment ce parti peut-il s’intégrer à la scène politique, aujourd’hui ?
MEA : Pour l’instant, le PJD n’est pas rejeté par les autres partis, l’Istiqlal a même tendance à s’allier avec lui. Le mouvement populaire a également des ambitions de ce genre. On n’exclut même pas une alliance PJD-USFP, malgré les tiraillements. Son rôle dépendra de la volonté royale. Le PJD se positionnera par rapport au groupe qui dirigera la prochaine expérience. Il choisira le gouvernement ou l’opposition.
RFI : Ce parti est-il dangereux ?
MEA : Pour l’instant, il va concentrer ses combats sur l’interdiction de l’alcool, par exemple, ce qui peut renforcer un certain nombre d’hypocrisies sociales. Le PJD est cependant un danger à affronter, mais ni à l’algérienne, ni à la tunisienne. Aujourd’hui, ceux qui votent PJD votent pour un mythe. Il faut confronter le PJD à la gestion, mais pour cela, il faut des institutions solides…
RFI : Justement, les conservateurs, islamistes compris, sont majoritaires à l’issue du scrutin de septembre. Or, l’USFP arrive en tête et risque de gouverner avec une coalition hétéroclite, comme précédemment. Cette option ne risque-t-elle pas de décevoir ceux qui attendaient un changement ?
MEA : Les élections ont eu lieu parce qu’elles étaient programmées, pas en vue d’un quelconque changement. On en attendait une clarté politique pour dépasser l’éparpillement des partis. Ce n’est pas très important, dans la mesure où des partis ne sont pas totalement autonomes et servent d’appoint pour d’éventuelles coalitions. Ce qui reste déterminant, c’est la position des partis de l’ancienne coalition, de l’Istiqlal en particulier. J’ai l’impression qu’il ne veut pas reconduire l’ancienne expérience, celle d’une hégémonie de l’USFP. Si l’Istiqlal n’accepte pas de participer à la nouvelle majorité, le problème, pour l’USFP, c’est de former un gouvernement avec des partis, le RNI et le Mouvement Populaire National, qui sont responsables de l’héritage que les socialistes condamnent. Ce sont les contradictions de la classe politique marocaine, un champ politique particulier, dans lequel le Palais joue le rôle principal. Tout dépend donc du Palais et ensuite de la volonté de cohabitation des partis.
RFI : Le Parlement a, par ailleurs, été choisi par 44% des électeurs (51,65% de participation ; 15% de bulletins nuls). Cela entache-t-il sa légitimité ?
MEA : Non. Au contraire. Le taux de participation est légitimant, dans la mesure où il est fiable. Les votants se sont déplacés sans y être poussés par l’administration ou par l’argent.
RFI : Le Parlement est-il, cependant, une véritable force de gouvernement, avec une Constitution qui concentre l’essentiel des pouvoirs entre les mains du Roi ?
MEA : Oui, c’est une force de gouvernement, mais dans le cadre du système. Le Roi règne et gouverne, le parlement a un poids qui restera limité tant qu’il n’est pas question de réviser la Constitution pour rééquilibrer les pouvoirs.
RFI : Qui a gagné les élections, alors ?
MEA : C’est le Roi. Il garde la main sur le champ politique, il organise les premières élections transparentes.
RFI : Est-ce qu’il a pu, par ailleurs, se permettre ces élections, parce qu’un certain nombre de gardes-fou avaient été mis en place ?
MEA : Oui. Avant, le pouvoir maîtrisait le champ politique en intervenant directement, notamment par la falsification des élections et la création de partis artificiels. Pour ces élections, la multiplication des partis et la proportionnelle ont assuré au Palais son rôle d’arbitre. Mais la spécificité marocaine réside là : la monarchie est un garde-fou et le multipartisme est historique, pas artificiel.
par Isabelle Broz
Article publié le 03/10/2002