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Côte d''Ivoire

La crise respecte les schémas anciens

L'insurrection de plusieurs centaines de soldats de l'armée ivoirienne n'apparaît plus seulement comme une simple tentative de coup d'Etat. Elle répond à des revendications politiques qui rejoignent elles-mêmes la reconquête d'une certaine place dans la «distribution» sociale ivoirienne, dans un jeu d’équilibre ethnique. L'évolution des rebelles sur le terrain ne doit rien non plus au hasard.
Dès les premières heures de l'insurrection, le 19 septembre, les rebelles se sont manifestés simultanément en trois endroits différents du pays. Abidjan, Bouaké et Korhogo. Abidjan, siège du pouvoir et porte ouverte sur le monde, n'a pu être prise par les mutins. En revanche Bouaké, deuxième ville du pays avec plus de 560 000 habitants, aux mains des insurgés, est un point avancé dans leur dispositif de déstabilisation des institutions et structures de l'Etat ivoirien. Au centre du pays, Bouaké, au file du temps, apparaît comme la plaque tournante des activités des soldats rebelles. Plus au nord, Korhogo est la fois capitale régionale et zone de replis tactique si la rébellion était mise en déroute. Chef lieu du nord, Korhogo est aussi la capitale d'une région militaire, et à ce titre abrite une caserne militaire et un dépôt de munitions que les rebelles ont rapidement placé sous leur contrôle.

Mis en déroute à Abidjan, les rebelles n'ont pas réussi non plus à conquérir Yamoussoukro, la capitale politique de la Côte d'Ivoire. Ville de moindre importance stratégique, elle se trouve néanmoins sur un axe nord-sud reliant Abidjan, le long du fleuve Bandama. Sa conquête est rendue quasiment impossible par la présence des soldats français. Ils y ont pris position, avec l'installation d'un état-major, pour commander et coordonner l'opération «Licorne» de rapatriement des français et des étrangers résidant à Bouaké et ses environs.

Bouaké, la capitale du pays Baoulé, n'a pas réservé un accueil hostile aux rebelles qui y ont établi leur siège. Ville tampon entre la Côte d'Ivoire forestière au sud et de la savane au nord, elle est le chef-lieu de la région de la Vallée du Bandama, dominée par un groupe ethnique les «Akan», parmi lesquels les Baoulés, le plus important sous-groupe dont est issu le premier président de la Côte d'Ivoire, Félix Houphouët Boigny. A l'est du pays, leur région est riche de plantations de café et de cacao, mais, excellents agriculteurs, ils émigrent vers le centre-ouest et le sud-ouest au début du 20ème siècle, franchissant le Bandama pour coloniser des terres propices à la culture du café et du cacao. Ces régions sont dominées par le groupe ethnique «Krou», famille des Bété, Dida et autres Wobè. Sur ces terres arrivent aussi des cultivateurs réputés du Nord, de la grande famille des Malinkés, les Dioulas. Plus de trente années de règne du premier président de Côte d’Ivoire ont maintenu ce statu quo, malgré «l’injuste déséquilibre» dont se plaignent les groupes ethniques «Krou». Les mêmes arguments sont repris aujourd’hui par les rebelles qui se plaignent d’être des «laissés-pour-compte», parce qu’originaires pour la plupart du Nord. «Nous voulons rétablir chaque citoyen dans ses droits», précise l’un des porte-parole des mutins.

L’agriculture, enjeu socio-ethnique

L'exode rural interne a fortement bouleversé la répartition des populations, dès 1920, avec l'amorce d'une politique économique fondée sur les grandes plantations. Le président Félix Houphouët-Boigny a aussi encouragé le brassage ethnique pour réduire certains particularismes régionaux. Ce qui a fait dire à certains intellectuels «Bétés» qu'on assistait à une «baoulisation» de la société ivoirienne. La hiérarchisation de la société selon les schémas du colonisateur avait placé les Dioulas, agriculteurs et commerçants, en tête d’une structure des ethnies qui a, par la suite, constitué la Côte d’Ivoire. A la faveur de cette politique, les régions du centre-ouest et du sud-ouest ont enregistré l'arrivée massive d'agriculteurs et de commerçants venus des autres régions du pays, mais aussi de l'étranger. Dans les plantations de café et de cacao les ouvriers agricoles sont généralement des immigrés venus du Burkina Faso.

Le Nord, qui ne produisait que des céréales, a connu ces dernières années un fulgurant développement du coton avec, en moyenne, une production de 150 000 tonnes par an. Le cacao, dont la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial, a atteint l'an dernier 1,2 million de tonnes. Elle occupe le septième rang pour le café, avec une production de près de 300 000 tonnes. La zone dite forestière, à l’ouest, est très exploitée et elle forme avec le littoral une région riche en plantations d’ananas, de bananes plantains et de nombreux autres produits vivriers. A l’ouest de Yamoussoukro, Daloa est la capitale agricole, et surtout le centre nerveux du négoce du cacao et du café. La production du cacao représente 40% des recettes d’exportation de la Côte d’Ivoire et fait vivre plus d’un tiers de la population. Les recettes de cette filière agricole fournissent 29% du produit intérieur brut et constituent une manne importante pour le trésor public dans le paiement des fonctionnaires. Le secteur agricole occupe une place très importante dans l’économie de la Côte d’Ivoire. Selon des études récentes, ce secteur occupe plus des deux-tiers de la population active. Mais l'insuffisance de la main-d’œuvre locale a été une pompe aspirante pour des millions de travailleurs venus des pays voisins.

Abidjan n’est pas seulement le siège du pouvoir. Elle est aussi le premier port de transit de l’Afrique de l’ouest, le premier port thonier et le deuxième port porte-conteneurs d’Afrique. Le port d’Abidjan est le débouché maritime des pays enclavés du nord, le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Plus à l’ouest, vers la frontière avec le Libéria, en zone forestière, le port de San Pédro a une vocation plutôt régionale. Depuis le début des événements ces ports sont engorgés. Le transit avec les pays frontaliers du nord est suspendu et les activités économiques connaissent un ralentissement. La ligne de chemin de fer Abidjan-Ouagadougou est également hors-service, du fait de la fermeture de la frontière entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire.

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par Didier  Samson

Article publié le 15/10/2002