Burkina Faso
Il était une fois… Thomas Sankara
Voilà quinze ans disparaissait le capitaine Thomas Sankara, chef de la révolution burkinabé de 1983 à 1987. Retour sur les événements tragiques de son assassinat et portrait d’un chef d’État pas comme les autres…
De notre correspondant au Burkina Faso
Jeudi 15 octobre 1987. Il est 16 heures. Des armes crépitent au Conseil de l’entente, l’état-major du Conseil national de la révolution à Ouagadougou, tout près des ministères et de la présidence. Un groupe de soldats para-commando vient de débarquer avec, à l’évidence, pour mission de liquider tout le monde. Dans la cour, tous les gardes sont abattus. Dans un bureau, le capitaine Thomas Sankara en réunion avec des conseillers lance à son entourage : «restez-là, c’est moi qu’ils veulent !» Le président, en tenue de sport, se précipite dehors les mains en l’air. Mais il est immédiatement fauché à l’arme automatique. Aucun de ses gardes ni conseillers ne sera épargné. En tout, une quinzaine de personnes sont abattues. Ils seront tous enterrés à la hâte, la même nuit, au cimetière de Dagnoen, un quartier de l’est de Ouagadougou. Dans toute la zone de la présidence et du Conseil de l’entente, militaires et civils courent dans tous les sens.
Les Burkinabés qui sont au bureau ou à la maison se précipitent vers les postes transistors. Sur Radio Burkina, les programmes sont suspendus. On ne diffuse plus que de la musique militaire. Pour des Burkinabés déjà habitués aux coups d’État, c’est un signe qui ne trompe pas : le pouvoir a changé de main. La confirmation ne tarde pas. Un communiqué lu à la radio par un officier annonce notamment la démission du président du Faso, la dissolution du Conseil national de la révolution et proclame la création d’un Front populaire dirigé par le capitaine Blaise Compaoré, jusque-là numéro deux du régime révolutionnaire.
La confusion est totale. Le citoyen de base ne comprend pas pourquoi un règlement de comptes aussi sanglant entre deux leaders considérés comme «amis et frères». Mais les observateurs, eux, ne sont pas surpris. Depuis quelques mois, la guerre des chefs avait commencé au sommet de l’État entre les deux capitaines, numéros un et deux du régime. L’entente entre ces deux hommes, qui partageaient même des repas familiaux ensemble, s’effritait alors que la révolution déclenchée le 4 août 1983 entamait tout juste sa cinquième année. A Ouagadougou, les rumeurs de coup d’État se faisaient de plus en plus persistantes. «Le jour que vous entendrez que Blaise Compaoré prépare un coup d’État contre moi, ce n’est pas la peine de me prévenir. Car, ce serait trop tard », avait lancé avec prémonition Thomas Sankara à des journalistes. Il faisait ainsi allusion à la forte amitié qui le liait à Compaoré. Par naïveté ou par impuissance, le charismatique chef de la révolution burkinabé n’échappera donc pas aux balles de son entourage.
Sa mort fit l’effet d’une bombe. Au Burkina et partout sur le continent, tout le monde est sous le choc. La consternation est générale notamment au sein de la jeunesse africaine. Le rêve placé dans ce jeune officier de 38 ans vient de se briser. Arrivé au pouvoir quate ans plus tôt à la suite d’un coup d’Etat mené par un groupe de jeunes officiers, le capitaine Thomas Sankara avait engagé une révolution pour changer les mentalités dans son pays, la Haute-Volta, l’un des États les plus pauvres de la planète. Il encourage ses compatriotes à compter sur leurs propres forces. Son gouvernement engage alors de vastes chantiers dans les domaines de la production, de l’éducation, de la santé, du logement, des infrastructures, etc.
Simplicité et rigueur imposées à son gouvernement
Ses successeurs dresseront un bilan positif de ces quatre années de révolution. Thomas Sankara reprend à son compte les discours panafricanistes de Kwamé Nkrumah ou de Lumumba. Il pourfend l’impérialisme dans ses discours et appelle à de nouveaux rapports entre le Nord et le Sud. Invité au sommet Franco-africain de Vittel quelques mois après son arrivée au pouvoir en 1983, il refuse de serrer la main à Guy Penne, le conseiller de François Mitterrand venu l’accueillir à l’aéroport à Paris pour protester ainsi contre le manque de considération à un chef d’État africain. Thomas Sankara s’attaque avec force à l’apartheid. A la tribune de l’OUA, des Nations unies, son discours dérange. «Je dis que les Africains ne doivent pas payer la dette. Celui qui n’est pas d’accord peut sortir tout de suite, prendre son avion et aller à la Banque mondiale pour payer», avait lancé le président burkinabé dans un tonnerre d’applaudissements à la tribune d’un sommet de l’OUA à Addis-Abeba. L’homme tranchait des autres présidents par sa simplicité et la rigueur imposée aux membres de son gouvernement. Il avait mis au garage les Limousines du parc automobile de l’Etat, imposant des Renault 5 comme voitures de fonction pour lui et ses ministres. Pour inciter la consommation locale, il imposait des tenues en cotonnade tissée à la place des costumes occidentaux. La corruption avait disparu dans ce pays qu’il avait rebaptisé en 1984 Burkina Faso : la patrie des hommes intègres en langue locale.
La révolution multiplie les victoires mais aussi les erreurs, comme la décision de rendre gratuit durant toute une année les loyers, ou les dérives des Comités de défense de la révolution (CDR) qui faisaient la loi dans les quartiers et les services ou encore les nombreux «dégagements» de fonctionnaires pour manque d’engagement dans la révolution, ou une diplomatie régionale très critique à l’égard de ses voisins, en dehors du Ghana de Jerry John Rawlings.
Quinze après sa disparition, les Burkinabés gardent de lui l’image d’un homme intègre, qui a changé les mentalités de ses concitoyens et donné une dignité à son pays. Une image et un idéal qui résistent encore au temps et dont se réclament une demi-douzaine de partis politiques, détenteurs de sept sièges à l’Assemblée nationale depuis les élections législatives de mai dernier.
Jeudi 15 octobre 1987. Il est 16 heures. Des armes crépitent au Conseil de l’entente, l’état-major du Conseil national de la révolution à Ouagadougou, tout près des ministères et de la présidence. Un groupe de soldats para-commando vient de débarquer avec, à l’évidence, pour mission de liquider tout le monde. Dans la cour, tous les gardes sont abattus. Dans un bureau, le capitaine Thomas Sankara en réunion avec des conseillers lance à son entourage : «restez-là, c’est moi qu’ils veulent !» Le président, en tenue de sport, se précipite dehors les mains en l’air. Mais il est immédiatement fauché à l’arme automatique. Aucun de ses gardes ni conseillers ne sera épargné. En tout, une quinzaine de personnes sont abattues. Ils seront tous enterrés à la hâte, la même nuit, au cimetière de Dagnoen, un quartier de l’est de Ouagadougou. Dans toute la zone de la présidence et du Conseil de l’entente, militaires et civils courent dans tous les sens.
Les Burkinabés qui sont au bureau ou à la maison se précipitent vers les postes transistors. Sur Radio Burkina, les programmes sont suspendus. On ne diffuse plus que de la musique militaire. Pour des Burkinabés déjà habitués aux coups d’État, c’est un signe qui ne trompe pas : le pouvoir a changé de main. La confirmation ne tarde pas. Un communiqué lu à la radio par un officier annonce notamment la démission du président du Faso, la dissolution du Conseil national de la révolution et proclame la création d’un Front populaire dirigé par le capitaine Blaise Compaoré, jusque-là numéro deux du régime révolutionnaire.
La confusion est totale. Le citoyen de base ne comprend pas pourquoi un règlement de comptes aussi sanglant entre deux leaders considérés comme «amis et frères». Mais les observateurs, eux, ne sont pas surpris. Depuis quelques mois, la guerre des chefs avait commencé au sommet de l’État entre les deux capitaines, numéros un et deux du régime. L’entente entre ces deux hommes, qui partageaient même des repas familiaux ensemble, s’effritait alors que la révolution déclenchée le 4 août 1983 entamait tout juste sa cinquième année. A Ouagadougou, les rumeurs de coup d’État se faisaient de plus en plus persistantes. «Le jour que vous entendrez que Blaise Compaoré prépare un coup d’État contre moi, ce n’est pas la peine de me prévenir. Car, ce serait trop tard », avait lancé avec prémonition Thomas Sankara à des journalistes. Il faisait ainsi allusion à la forte amitié qui le liait à Compaoré. Par naïveté ou par impuissance, le charismatique chef de la révolution burkinabé n’échappera donc pas aux balles de son entourage.
Sa mort fit l’effet d’une bombe. Au Burkina et partout sur le continent, tout le monde est sous le choc. La consternation est générale notamment au sein de la jeunesse africaine. Le rêve placé dans ce jeune officier de 38 ans vient de se briser. Arrivé au pouvoir quate ans plus tôt à la suite d’un coup d’Etat mené par un groupe de jeunes officiers, le capitaine Thomas Sankara avait engagé une révolution pour changer les mentalités dans son pays, la Haute-Volta, l’un des États les plus pauvres de la planète. Il encourage ses compatriotes à compter sur leurs propres forces. Son gouvernement engage alors de vastes chantiers dans les domaines de la production, de l’éducation, de la santé, du logement, des infrastructures, etc.
Simplicité et rigueur imposées à son gouvernement
Ses successeurs dresseront un bilan positif de ces quatre années de révolution. Thomas Sankara reprend à son compte les discours panafricanistes de Kwamé Nkrumah ou de Lumumba. Il pourfend l’impérialisme dans ses discours et appelle à de nouveaux rapports entre le Nord et le Sud. Invité au sommet Franco-africain de Vittel quelques mois après son arrivée au pouvoir en 1983, il refuse de serrer la main à Guy Penne, le conseiller de François Mitterrand venu l’accueillir à l’aéroport à Paris pour protester ainsi contre le manque de considération à un chef d’État africain. Thomas Sankara s’attaque avec force à l’apartheid. A la tribune de l’OUA, des Nations unies, son discours dérange. «Je dis que les Africains ne doivent pas payer la dette. Celui qui n’est pas d’accord peut sortir tout de suite, prendre son avion et aller à la Banque mondiale pour payer», avait lancé le président burkinabé dans un tonnerre d’applaudissements à la tribune d’un sommet de l’OUA à Addis-Abeba. L’homme tranchait des autres présidents par sa simplicité et la rigueur imposée aux membres de son gouvernement. Il avait mis au garage les Limousines du parc automobile de l’Etat, imposant des Renault 5 comme voitures de fonction pour lui et ses ministres. Pour inciter la consommation locale, il imposait des tenues en cotonnade tissée à la place des costumes occidentaux. La corruption avait disparu dans ce pays qu’il avait rebaptisé en 1984 Burkina Faso : la patrie des hommes intègres en langue locale.
La révolution multiplie les victoires mais aussi les erreurs, comme la décision de rendre gratuit durant toute une année les loyers, ou les dérives des Comités de défense de la révolution (CDR) qui faisaient la loi dans les quartiers et les services ou encore les nombreux «dégagements» de fonctionnaires pour manque d’engagement dans la révolution, ou une diplomatie régionale très critique à l’égard de ses voisins, en dehors du Ghana de Jerry John Rawlings.
Quinze après sa disparition, les Burkinabés gardent de lui l’image d’un homme intègre, qui a changé les mentalités de ses concitoyens et donné une dignité à son pays. Une image et un idéal qui résistent encore au temps et dont se réclament une demi-douzaine de partis politiques, détenteurs de sept sièges à l’Assemblée nationale depuis les élections législatives de mai dernier.
par Alpha Barry
Article publié le 15/10/2002