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Côte d''Ivoire

Les mutins s’affichent en civil

Près d’un mois après le déclenchement des hostilités, les soldats qui ont retourné leurs armes contre le président Laurent Gbagbo ont décidé de donner une tête sans uniforme au parti lancé il y a une semaine (le MPCI). Guillaume Soro, autrefois dirigeant de la FESCI - la très remuante Fédération des élèves et des étudiants ivoiriens - a accepté d’être interviewé et d’apparaître ainsi comme le porte-parole d’une «aile politique» de la rébellion anti-Gbagbo qui pour la première fois dévoile quelque peu son programme. Sans répondre à toutes les questions surgies ces dernières semaines autour d’une rébellion qui n’osait montrer ni son identité ni ses amitiés.
Petite taille mais grande verve, une barbichette bien soignée et un seul surnom : «Che». Guillaume Soro n’est vraiment pas un inconnu à Abidjan. Il y a cinq ans, c’était lui «l’homme de l’année» pour les lecteurs d’Ivoir’Soir. A la tête de la FESCI il avait connu d’autres aventures, et surtout la maison d’arrêt d’Abidjan, à l’issue de chaque manifestation estudiantine entre 1995 et 1998. D’où une aversion pour le régime post-houphouëtiste. Avant de quitter le pays pour l’Angleterre et la France et de se rapprocher progressivement du RDR d’Alassane Ouattara, après avoir été proche du FPI de l’actuel président.

Aussitôt après le «putsch de Noël» de 1999, il tente de lancer une opération «mains propres» contre toute la classe politique ivoirienne. Mais sa collaboration avec la junte de Robert Gueï ne résistera pas à l’éclatement d’une nouvelle «affaire Ouattara». Il part en exil d'abord au Mali, d'où il aurait été expulsé par le président Alpha Oumar Konaré, puis il revient au Burkina Faso où "il vivait en bonne intelligence avec IB, Zaga Zaga et autres Tuho Fozié", selon le quotidien Soir Info.

Aujourd'hui, à Bouaké, Guillaume Soro «estime qu’il faut une transition la plus brève possible qui aura pour objectif l’organisation d’élections présidentielles puis législatives, démocratiques, transparentes et historiques». Sans préciser quelles listes électorales son parti comptait utiliser pour organiser de nouvelles consultations. Or, cette question est au cœur du différend qui oppose majorité et opposition, depuis toujours ou presque, en raison de l’origine étrangère de plus d’un quart de la population vivant actuellement sur le sol ivoirien.

«Nous parlons d’une transition de huit mois, a-t-il précisé, parce que nous estimons que les problèmes créés par des politiciens véreux qui ont voulu jouer avec le tribalisme et l’ethnisme sont artificiels. Nous reviendrons d’autorité à la Constitution de feu Félix Houphouët-Boigny qui a régi la Côte d’Ivoire pendant 40 ans et qui répond à l’assentiment général des Ivoiriens». Selon lui, le futur président aura la tâche exclusive d’organiser ces élections, et sera assisté d’un «gouvernement de mission» et d’un «comité militaire qui sera garant moral de la transition». Autant dire que le pouvoir réel serait alors du côté des militaires, même si, selon Guillaume Soro, «les membres du comité militaire signeront tous l’engagement qu’ils ne feront pas acte de candidature à la magistrature suprême, pour éviter des dérives comme lors de la précédente transition», lorsque le général Gueï avait finalement décidé de se présenter à la présidentielle d’il y a deux ans.

«Notre combat n’a rien à voir avec Ouattara»

Après avoir condamné «l’ivoirité», il a ajouté : «Je n’ai pas choisi de naître au nord. C’est l’ignorance et la manipulation politicienne qui fait que les gens s’attachent à cela. Moi même j’ai été sympathisant du FPI (le parti de Laurent Gbagbo), mais la Cote d’Ivoire est une mosaïque d’ethnies, il n’y a pas que les Bété», l’ethnie du président.

Guillaume Soro n’a pas ajouté que, selon Fraternité Matin, lors des dernières législatives, il était colistier de Madame Henriette Diabaté, secrétaire général du RDR, à Port-Bouët, avant que le parti d’Alassane Ouattara ne décide de se retirer de la compétition. Il a toutefois déclaré : «Pour nous il n’y a pas de problème ADO (le surnom d’Alassane Ouattara, réfugié à l’ambassade de France à Abidjan depuis le 19 septembre). C’est un Ivoirien. Notre combat n’a rien à voir avec lui, puisqu’il n’a pas suffisamment de courage pour dire que notre combat est juste».

Madame Diabaté a indirectement répondu aux déclarations de son ancien colistier en déclarant : «Nous ne sommes concernés ni de près ni de loin par cette mutinerie-tentative de coup d’Etat». Avant d’ajouter, à l’intention des rebelles : «Nous appelons les insurgés à examiner toute proposition susceptible de ramener la paix et de préserver l’unité, la cohésion et l’intégrité territoriale».

Ce qui surprend le plus dans l’attitude des mutins, c’est le changement profond de leurs revendications ces dernier jours. Au départ, selon les propos tenus à notre correspondant à Ouagadougou par leur leader, le fameux «IB», «à écouter leurs revendications, on voit que ce n’est pas un problème politique, mais plutôt social». «Ils ne réclament que la justice, la vraie démocratie et la paix, a-t-il précisé. Ils ne demandent pas d’être forcément au pouvoir. Ils sont marginalisés. La plupart des militaires et gendarmes qui sont en prison en Côte d’Ivoire sont originaires du Nord et Dioula. Est-ce normal ? Donc les camarades se disent qu’il vaut mieux se battre au lieu de s’asseoir et de se faire prendre comme un poulet».

Les mutins ont clairement durci leurs revendications, en demandant le «départ de Gbagbo du pouvoir» car, selon eux, «il ne peut plus exercer la magistrature suprême, parce qu’il est le champion toutes catégories de la roublardise », et ce au lendemain de la reprise de l’importante ville de Daloa par les forces loyalistes et à la veille d’une négociation très délicate sur un cessez-le-feu nécessairement basé sur l’accord signé à Accra. Ils prennent ainsi le risque de ne plus être entendus par des négociateurs de la CEDEAO qui ne souhaitent sans doute pas créer un précédent dangereux pour toute la région.

Toutefois, aux dernières nouvelles, ils seraient néanmoins prêts à signer le cessez-le-feu. Selon le président Abdoulaye Wade, «ça bloque encore sur les lieux de cantonnement des rebelles, après la cessation des hostilités : le président Gbagbo voudrait les cantonner dans des casernes, eux veulent rester en ville». On ne sait toujours pas quelle force internationale pourrait assurer le contrôle de ces «dépôts», mais on a bien l’impression que la «solution militaire» évoquée le week-end dernier semble s’éloigner.




par Elio  Comarin

Article publié le 16/10/2002