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Côte d''Ivoire

Une trêve bien fragile

Une trêve est apparemment bien entrée en vigueur dans la nuit de jeudi à vendredi entre assaillants et forces loyalistes, quelques heures après la signature d’un accord de cessez-le-feu par les rebelles. Le président Laurent Gbagbo s’est pour sa part félicité de cet accord et s’est engagé à entamer aussitôt le «processus de paix», afin que «la Côte d’Ivoire soit préservée». Pour cela, en attendant l’arrivée d’une force tampon de la cedeao, il a demandé aux forces françaises stationnées sur le sol ivoirien de jouer ce rôle pendant une semaine «pour permettre de surveiller la non-belligérance», mais aussi «pour mettre en place l’administration dans les zones où elle avait disparu, et pour sécuriser les assaillants, en attendant que la cedeao commence à les désarmer». Une tâche toujours délicate, voire périlleuse. Vendredi matin, en effet, le chef politique de la rébellion armée, l’ancien leader étudiant Guillaume Soro a affirmé à l'AFP qu'il n'était «pas question de déposer les armes» et qu'il exigeait toujours le départ du président Laurent Gbagbo, tout en respectant le cessez-le-feu conclu dans la nuit de jeudi et vendredi.
«J’entends que la Côte d’Ivoire doit rester une. Au nom de la Côte d’Ivoire j’accepte le cadre tracé par l’accord (signé jeudi à Bouaké par les rebelles) comme base de démarrage des négociations. Je l’accepte parce que mon rôle est de faire en sorte que la Côte d’Ivoire reste débout et que les vies soient préservées». Le président Gbagbo n’a pas tardé à donner son accord au cessez-le-feu obtenu par la cedeao: «J’avais dit que cette semaine serait décisive, soit par un accord de paix, soit par l’approfondissements de la guerre. Eh bien, nous entamons aujourd’hui le processus de paix». Et pourtant, les assaillants n’ont apparemment pas encore déposé leurs armes, ce qui laisse planer quelques doutes sur l’application réelle d’une trêve négociée à l’arrache pied par le médiateur sénégalais Cheikh Tidiane Gadio mais qui n’a pas encore dévoilé tous ses contours.

C’est dans ce contexte que la France a accepté que ses soldats déployés dans le pays participent temporairement à «une phase de contrôle du cessez-le-feu, en attendant l’arrivée des troupes d’interposition de la cedeao et leur déploiement», selon les termes utilisés par le général français qui commande ces forces, Emmanuel Beth. «La mission première des forces françaises reste inchangée, c’est à dire la sécurité de nos ressortissants et des ressortissants étrangers. La mission seconde est celle de soutien au processus de la cedeao dans des modalités qui restent à définir, avec le groupe de contact» que dirige le Mali, a-t-il précisé, avant d’ajouter : «Le rôle de la France pendant la phase intermédiaire reste à déterminer. Il s’agit d’une phase de contrôle du cessez-le-feu qui reste à avaliser par les autorités politiques françaises». Des propos qui semblent indiquer que le désarmement proprement dit des assaillants est confié à la future force tampon de la cedeao.

L’armée française en charge du contrôle du cessez-le-feu

La France compte actuellement un millier d’hommes déployés dans le pays, à la fois à Abidjan, autour de Yamoussoukro, à l’est de Bouaké et vraisemblablement dans la ville de Duékoué, située non loin de frontière avec le Libéria. Ce déploiement a permis d’abord l’évacuation de quelques centaines de Français et d’étrangers souhaitant quitter Bouaké, et d’assurer la logistique indispensable aux négociations entre rebelles et cedeao, mais aussi de contenir la progression des assaillants venant du nord. Ce que ceux-ci lui ont souvent reproché. C’est au nord de Daloa, non loin de Vavoua, que les rebelles semblent le plus mécontents, si l’on croit l’envoyé spécial de l’AFP. Après avoir subi une embuscade assez importante, ces mutins ont dû se replier précipitamment dans un village. Et leur chef d’expliquer aussitôt la situation par téléphone satellitaire à un mystérieux interlocuteur qui lui a transmis à son tour des instructions. Ces mutins se sont plains une fois de plus de la présence «d’Angolais qui nous pilonnent avec des mortiers de 60mm». «On a trop fait de sentiment, il fait bombarder la ville de Daloa au mortier» a lancé l’un d’eux, le front ceint comme nombre de ses camarades d’un gri-gri destiné à le protéger des balles ennemies.

Parmi ces rebelles figurent en effet, non seulement des anciens membres des FANCI (Forces armées régulières) passés dans la clandestinité du temps de Robert Gueï, des affiliés des groupes militaires appelés «Cosa Nostra» ou «Camorra», des jeunes recrues qui ont rejoint ces derniers jours Bouaké ou Korhogo et qui n’ont apparemment suivi aucune formation militaire préalable, mais aussi des «dozo», ces guerriers traditionnels ivoiriens originaires du Nord connus partout dans le pays pour leur courage et leur habilité à manier toutes sortes d’armes, à commencer par les armes traditionnelles.

L’accord de Bouaké a été signé jeudi par l’un des chefs des rebelles, Tuho Fozié, mais il est difficile de dire aujourd’hui si celui-ci représente l’ensemble de la rébellion. Alors qu’elle n’a toujours pas révélé l’identité de sa direction et cultivé une certaine ambiguïté sur ses revendications. Il demeure néanmoins que la trêve entrée en vigueur est un pas important sur la voie de la négociation, qui, elle, ne peut qu’être politique. Dans ce contexte une demande ne peut être évitée : qui dirigera la délégation des mutins? Guillaume Soro, secrétaire général du parti créé il y a une semaine par la rébellion, le MPCI ? Son interprétation de l’accord de Bouaké n’est guère rassurante.

De son côté, le gouvernement français s’est aussitôt félicité, jeudi soir, de la signature d’une trêve et a remercié tout autant le président sénégalais Abdoulaye Wade que le président ivoirien Laurent Gbagbo «qui a privilégié la solution politique plutôt que l’option militaire». La tâche, à la fois militaire et diplomatique, qui incombe actuellement à la France n’est pas des plus simples, et ce d’autant plus que le président du RDR Alassane Ouattara est toujours réfugié dans la résidence de l’ambassadeur de France en Côte d’Ivoire. Ce qui rend encore plus indispensable une coopération quotidienne entre Abidjan, Paris et la cedeao. Même si celle-ci ne parle pas toujours d’une seule voix.

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Chronique des matières premières de Jean-Pierre Boris

A écouter:
Abdoulaye Wade
La médiation sénégalaise était très importante dans la signature de l'accord de la cessation des hostilités en Côte d'Ivoire. Abdoulaye Wade de passage à Beyrouth à l'occasion du Sommet de la Francophonie s'exprime sur la crise en Côte d'Ivoire (18/10/2002).



par Elio  Comarin

Article publié le 18/10/2002