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Côte d''Ivoire

Vague d’inquiétude à Abidjan

L’ONU aussi a décidé d’évacuer d’Abidjan son personnel «non essentiel», alors que la trêve semble tenir et l’armée française procède à un important redéploiement dans le centre du pays.
En charge du contrôle du cessez-le-feu intervenu officiellement vendredi dernier 18 octobre, les troupes françaises présentes en Côte d’Ivoire ont opéré ce week-end un important redéploiement, à partir notamment de Bouaké, la deuxième ville du pays toujours aux mains des rebelles. Après avoir renforcé leurs barrages sur la route Bouaké-Yamoussoukro à l’aide de sacs de sable, de barbelés et de blocs en béton, ils se sont installés, à l’ouest, dans les villes de Man et Touba, près des frontières avec la Guinée et le Libéria, mais aussi à Vavoua et à Daloa, autre ville qui a connu d’importants combats la semaine dernière. A l’est, les troupes françaises se sont repositionnées à Bondoukou, près du Ghana, et plus au centre dans les villes de Mbaiakro et Brobo. Avant de monter jusqu’à Korhogo.

«Je suis très content de l’opération, a déclaré à ce propos l’un des leaders des rebelles du nord, Chérif Ousmane. Il n’y aura pas de Français à Bouaké même. Les hommes ont compris que les Français ne sont pas contre nous, et que la France est mandatée pour servir de force d’interposition». Le chef mutin espère que les Français «vont tenir leur rôle de tampon, parce que le cessez-le-feu doit être respecté par les deux camps». Cependant, «il ne s’agit pas d’une mission d’interposition, a indiqué pour sa part un porte-parole de l’armée française. Notre rôle sera de créer un climat de confiance entre les deux parties, pour préserver le calme».

Pour l’heure, la trêve semble plutôt respectée, en dépit d’une violation somme toute mineure signalée dimanche par l’armée loyaliste ivoirienne, qui a accusé des forces rebelles d’avoir pillé des habitations sur une base aérienne de Bouaké. Mais nombreux sont ceux qui en soulignent la fragilité, car on ne connaît toujours pas le détail du plan de paix mis au point par la CEDEAO, et, surtout, on ignore quand la force d’interposition régionale sera déployée, ou quand le désarmement de la rébellion va commencer.

Cette semaine, deux importantes réunions de la CEDEAO sont à l’ordre du jour : mercredi 23 octobre les chefs d’Etat du groupe de contact, mandaté pour résoudre la crise et dirigé le Togo, tentent de relancer le dialogue entre le gouvernement de Laurent Gbagbo et les rebelles ; deux jours plus tard le même groupe de contact doit s’attaquer à la question délicate de la composition et du rôle exact de la force ouest-africaine chargée de superviser le cessez-le-feu à la place des troupes françaises. Ces deux réunions interviennent alors qu’une fracture profonde semble diviser la CEDEAO, le Togo reprochant au Sénégal d’avoir voulu faire cavalier seul lors de la négociation sur le cessez-le-feu. Aujourd’hui c’est surtout vers la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo que Gnassingbé Eyadéma semble orienter son hostilité. Au moment où de plus en plus d’étrangers quittent une capitale ivoirienne en proie à de nouvelles rumeurs alarmistes et à la peur de nouveaux affrontements.

Le dialogue se heurte à de nombreux obstacles

La décision de l’ONU d’évacuer d’Abidjan son personnel non essentiel, ainsi que les familles de ses personnels expatriés, est officiellement «une mesure de précaution», mais elle intervient après des mesures similaires prises dernièrement non seulement par des pays Occidentaux (à commencer par les Etats-Unis et la Grande Bretagne) mais aussi d’Afrique (Ghana, Niger et Gabon notamment). Et surtout après la signature d’un cessez-le-feu. Autant dire que la crise semble plus aiguë à Abidjan que dans le nord du pays.

Plus d’un mois après le début de la rébellion, d’abord à Abidjan et ensuite dans le nord, la volonté affichée par le président Gbagbo de relancer le dialogue avec l’aide de la CEDEAO entre les deux partis en conflit se heurte à de nombreux obstacles, à la fois militaires et politiques. Vendredi deux personnes ont été tuées lors de l’enterrement d’un proche d’un haut responsable du RDR, le parti d’Alassane Ouattara, apparemment par des membres des forces de l’ordre. Le lendemain, le nouveau ministre de la Défense a publié un communiqué dénonçant «des individus mal intentionnés vêtus de tenues militaires (qui) se livrent à des actes de violence de tous genres sur une certaine catégorie de population». En clair des citoyens originaires du Nord, soupçonnés d’être favorables à Alassane Ouattara et/ou à la rébellion.

Cette mise en garde intervient alors que, même au sein de son propre parti, le RDR, de nombreux Ivoiriens se demandent pourquoi Alassane Ouattara ne se décide à clarifier sa position. Réfugié à l’ambassade de France après avoir fait l’objet d’une tentative d’assassinat de la part de la Gendarmerie, selon ses propres termes, le président du RDR n’a pourtant pas demandé à son parti de quitter le gouvernement. Tout dernièrement il a félicité le président Gbagbo d’avoir accepté la trêve, mais auparavant il avait refusé de répondre au leader «politique» de la rébellion, Guillaume Soro, qui l’accusait depuis Bouaké de manquer de courage en ne se rangeant pas du côté des rebelles : «Notre combat n’a rien à voir avec lui, avait-il précisé, puisqu’il n’a pas suffisamment de courage pour dire que notre combat est juste». Quant à son ancien garde du corps, et véritable leader de la rébellion du Nord, le capitaine IB (Ibrahima Coulibaly) réfugié à Ouagadougou, il a lui aussi pris quelques distances vis-à-vis de l’ancien premier ministre originaire du nord, en précisant que ses hommes n’avaient «pas besoin d’avoir (à leur tête) un homme politique».

La création d’un nouveau parti, le MPCI que dirige Guillaume Soro, devenu désormais porte-parole officiel de la rébellion, et qui a rendu public vendredi dernier un mémorandum adressé aux «pays amis de la Côte d’Ivoire», risque de priver le RDR de nombreux cadres et militants désorientés par les choix, qualifiés d’«incohérents», de leur direction: et surtout par le fait «que le RDR ait rejoint le gouvernement malgré les exactions de celui-ci» contre ses militants.

Paradoxalement, la même situation prévaut au sein du PDCI, le parti historique de feu Houphouët-Boigny. Officiellement il est toujours membre de la coalition au pouvoir, même s’il semble prendre peu à peu des distances vis-à-vis du président Laurent Gbagbo et son parti, le FPI. Son président Henri Konan Bédié a rencontré lundi le président Gbagbo, mais de nombreux militants semblent se tourner vers d’autres leaders, tels que Charles Konan Banny. Très divisé depuis le coup d’Etat de Noël 1999, le PDCI pourrait quitter la coalition au pouvoir au moment où Laurent Gbagbo compte relancer le dialogue. Avec qui, au juste ?





par Elio  Comarin

Article publié le 21/10/2002