Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Irak

Saddam Hussein vide les geôles irakiennes

Cinq jours après sa triomphante réélection à la tête de l’Irak par 100% des voix, Saddam Hussein a décrété une «amnistie générale» pour les Irakiens détenus ou condamnés pour des raisons politiques et des crimes de droit commun. Cette mesure, qui concerne également les déserteurs de l’armée, a été accueillie avec enthousiasme par la population qui s’est ruée vers les centres de détentions du pays en scandant son soutien à l’homme fort de Bagdad. La réaction a en revanche été plutôt mitigée chez de nombreux opposants vivant en exil. Elle a été franchement hostile aux Etats-Unis où l’administration américaine a dénoncé «une manipulation».
C’est officiellement pour remercier les Irakiens de l’avoir réélu avec 100% des voix que Saddam Hussein a décrété dimanche une «amnistie générale», libérant ainsi des dizaines de milliers de personnes détenues dans les geôles du régime. Et en l’absence de statistiques, on estime à Bagdad que près de 150 000 prisonniers auraient ainsi été relâchés ces dernières vingt-quatre heures. La télévision officielle s’est d’ailleurs empressée d’affirmer dès lundi matin que «l’Irak ne comptait désormais plus aucun prisonnier ou détenu». Cette mesure a été accueillie avec des débordements de joie à travers tout le pays et les centres de détentions ont été assaillis par les familles venues accueillir leurs proches, qui pour certains été soient incarcérés depuis plus de vingt ans, soient condamnés à des peines très lourdes. Ainsi l’ayatollah Mohammed Tabatabaï, l’un des dignitaires chiites de Kerbala, a pu dimanche faire ses premiers pas d’homme libre après dix-neuf ans de détention.

Le régime irakien avait déjà, dans le passé et notamment après la guerre qui l’avait opposé durant huit années à l’Iran, accordé des grâces en faveur des déserteurs et dans une moindre mesure en faveur des prisonniers de droit commun. Mais c’est la première fois qu’une amnistie d’une telle ampleur est décrétée et les prisonniers politiques –que le régime n’avait jusqu’à présent jamais reconnu– sont désormais libres de leurs mouvements. Cette mesure concerne en effet non seulement des islamistes chiites, des communistes et des Kurdes, mais aussi toutes les personnes qui se sont révoltées à la suite de la guerre du Golfe en 1991. Les autorités irakiennes, soucieuses d’éviter des règlements de comptes, ont toutefois refusé de libérer les détenus coupable de crimes de sang récents à moins que les familles des victimes ne leurs accordent leur pardon. Une seule catégorie de détenus a en outre été définitivement exclue de cette amnistie. Il s’agit de toutes les personnes coupables d’espionnage au profit d’Israël ou des Etats-Unis.

Sur le plan intérieur, l’amnistie décrétée par Saddam Hussein a eu pour principale conséquence un regain de popularité pour l’homme fort de Bagdad. Les autorités irakiennes n’ont d’ailleurs pas caché que cette mesure était avant tout destinée à resserrer les rangs des Irakiens au moment où le pays redoute une intervention militaire américaine. Et des centaines de citoyens se sont d’ores et déjà déclarés prêts à mourir pour leur président. Sur le plan extérieur, cette amnistie se situe dans le droit-fil du referendum qui a reconduit la semaine dernière Saddam Hussein à la tête du pays. Une façon de montrer au reste du monde que le régime ne craint rien sur le plan intérieur.

Scepticisme à l’étranger

Si l’adhésion semble totale sur le plan intérieur, de nombreux opposants irakiens, vivant en exil, ont en revanche accueilli avec beaucoup de scepticisme l’amnistie générale décrétée dimanche par Saddam Hussein. Et les images des prisonniers quittant leur geôle ne constituent pas, selon eux, une garantie. «Je doute de la crédibilité de cette amnistie», a ainsi affirmé Ezzedine al-Majid, un cousin de Saddam Hussein réfugié avec ses trois frères à Londres depuis 1995. «Qui nous dit garantit que celui qui retourne en Irak ne sera pas tout simplement liquidé ?», a-t-il ajouté en rappelant notamment que l’homme fort de Bagdad, qui avait annoncé à la télévision avoir accordé son pardon à ses deux gendres en fuite en Jordanie, n’avait eu aucun scrupule à les faire «assassiner» à leur retour d’exil. «De nombreux Irakiens, dont moi-même, sont prêts à rentrer au pays et à mourir pour la nation mais pas pour Saddam Hussein», a-t-il également assuré. Encore plus catégorique, Al-Charif Ali ben Hussein, le dirigeant du Mouvement pour la monarchie constitutionnelle, a affirmé que «Saddam Hussein ne tiendra pas sa parole». Selon lui, ce n’est pas la première fois que le président irakien décrète une amnistie. «Mais nous savons ce que cela signifie», a-t-il ironisé en rappelant que ce dernier avait fait exécuter un des ses gendres quelques heures à peine après son retour en Irak.

Aux Etats-Unis, l’administration Bush a préféré railler la mesure du régime irakien et le secrétaire d’Etat Colin Powell a fait peu de cas de cette amnistie. Dans une intervention sur la chaîne de télévision ABC, il a en effet estimé que beaucoup de prisonniers se retrouveront sans doute très bientôt derrière les barreaux. «Est-ce que vous pensez réellement que les gens que le régime irakien considère comme dangereux vont rester libres longtemps ou qu’ils se retrouveront à nouveau en prison dans trois jours ?»,a-t-il notamment déclaré. Il a par ailleurs estimé que cette mesure n’est qu’une simple «manipulation que Saddam Hussein utilise pour essayer de se faire passer pour quelqu’un qu’il n’est pas». Le chef de la diplomatie américaine a d’ailleurs conseillé aux détenus irakiens libérés «de faire bien attention à la prochaine porte qu’ils franchiront car elle pourrait bien être celle de la prison, à nouveau».



par Mounia  Daoudi

Article publié le 21/10/2002