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Economie française

L’édition française entre exception et concentration

Au cours de ces prochaines heures on devrait connaître le repreneur des activités éditoriales du groupe Vivendi Universal. Trois candidats sont en lice pour deux scénarios possibles, dont aucun n’offre de véritables garanties, que ce soit sur la question de la préservation de l’exception culturelle française, chère à nos responsables politiques, ou de l’indispensable libre-concurrence en matière de diffusion des œuvres littéraires.
A l'origine, c'est une affaire de téléphonie. En dépit de ses difficultés financières le groupe multicartes Vivendi Universal (VU) souhaiterait conserver sa branche Cegetel, et sa très lucrative filiale SFR (opérateur de téléphonie mobile), objet des convoitises du britannique Vodafone. Mais, de l’avis de ses banquiers, VU n’a pas les reins assez solides pour emprunter les milliards d’euros (entre 2,3 et 6,6 selon les configurations retenues) nécessaires à la préemption des actions dont Vodafone vient de se porter acquéreur. D’où l’urgente nécessité pour VU de trouver de l’argent, car l’échéance légale pour contrecarrer l’offre britannique est fixée au 10 novembre. Soit en s’endettant davantage, au risque de mécontenter des actionnaires avides d’une remontée des cours de leurs actions, soit en se délestant d’une partie de ses activités, celle de l’édition. La vente de Vivendi Universal Publishing (VUP), en l’occurrence, rapporterait 2,6 à 3 milliards d’euros.

L’affaire sera entendue au plus tard mercredi. Les candidats sont là, au nombre de trois : des banquiers réunis au sein de deux groupes distincts, Eurazéo et Paribas Affaires Industrielles (PAI) et l’industriel Lagardère, déjà très implanté dans le secteur de la publication puisqu’il contrôle le deuxième éditeur français Hachette Livre.

L’argent n’a pas d’identité culturelle

«L’option Lagardère» ne manque pas d’intérêt pour VUP. Elle présente l’avantage de conserver l’édition hexagonale au sein d’une logique de préservation de l’identité culturelle française et il semble que son offre soit la plus généreuse. Mais elle ne manque pas non plus de détracteurs. Indépendamment de l’association qui ne manquera pas d’être établie entre marchand de canons et diffuseur de culture, car Lagardère fabrique également des missiles par le biais de sa filiale Matra, l’édition française se retrouverait alors concentrée de façon quasi-monopolistique entre les mains d’un seul et unique grand groupe. Une vingtaine de «petits» éditeurs ont signé ce week-end dans le quotidien le Monde une tribune pour dénoncer les effets d’une telle perspective. Selon eux, «l’association Hachette-VUP représenterait 70% de la distribution du livre en France, 60% de l’édition du livre de poche et plus de 80% du livre scolaire». En conséquence, ils exhortent M. Lagardère à renoncer à son projet, faute de quoi ils se trouveraient dans l’obligation, disent-ils, de saisir les autorités de la concurrence nationale et communautaire.

Les deux autres options, qui consistent donc à céder VUP à des banquiers, ne valent guère mieux de leur point de vue, mais pas pour les mêmes raisons. L’argent n’ayant de notoriété publique ni odeur ni patrie, on imagine que les préoccupations des actionnaires ne s’encombreraient d’aucun autre principe que d’accroître les dividendes. C’en serait alors fini d’une exception culturelle chère au cœur des Français attachés à leur singularité et à leur patrimoine, comme c’est apparemment le cas de nombre de décideurs, notamment politiques à en croire leurs déclarations. C’est encore un thème très délicat dans le contexte de toute-puissance américaine en matière de création et de diffusion d’œuvres à vocation culturelle. L’ancien patron de Vivendi Universal, Jean-Marie Messier, en a fait l’amère expérience lorsqu’il déclara au cours d’une conférence de presse à New York, le 17 décembre 2001 : «L’exception culturelle française est morte». La polémique qu’il provoqua coïncida alors avec le début de son déclin. Très inquiets enfin, ses milliers d'anciens salariés de Larousse, Nathan, Bordas, Laffont et Plon-Perrin qui n’attendent rien de bon de ces restructurations.



par Georges  Abou

Article publié le 21/10/2002