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Irak

Les États-Unis peinent à convaincre l'ONU

Les négociations sur le retour des inspecteurs en Irak sont toujours dans l'impasse. La France et la Russie sont méfiantes à l'égard du projet de résolution américain, qui durcit les conditions des inspections tout en contenant des éléments ambigus que Washington pourrait interpréter comme un feu vert à l'usage de la force.
De notre correspondant à New York (Nations Unies)

La nervosité est palpable dans les couloirs de l'ONU. Depuis six semaines, les spécialistes du dossier irakien s'affrontent, sans progresser. Hier encore, dans le plus grand secret, les diplomates des cinq membres permanents du Conseil de sécurité se sont réunis à deux reprises, pour débattre d'un projet de résolution américain destiné à encadrer le retour en Irak des inspecteurs de l'ONU, tout en menaçant le régime de Bagdad «de conséquences sérieuses» en cas de non coopération. Les négociations prolongées n'ont pas permis de répondre à deux questions majeures. Le projet de résolution américain contient-il une autorisation déguisée de recourir à la force ? Le régime d'inspection voulu par les Américains est-il voué à l'échec ?

Le fait que la première question se pose encore est un net recul par rapport à jeudi dernier. Washington avait alors proposé à la France deux paragraphes d'un projet de résolution. Le premier donnait instruction au chef des inspecteurs de l'ONU, Hans Blix, de «rapporter immédiatement au Conseil toute ingérence de l'Irak dans les activités d'inspection, ainsi que tout manquement de l'Irak à se conformer à ses obligations en matière de désarmement». Dans cette hypothèse, un second paragraphe prévoyait que le Conseil de sécurité «décide de se réunir immédiatement» pour «étudier la situation et la nécessité d'un respect total de toutes les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité afin de rétablir la paix et la sécurité internationales».

A la lecture de ces paragraphes, la France a poussé un «cocorico» satisfait, croyant voir là la victoire de la démarche en deux temps prônée par Paris (une première résolution pour le retour des inspecteurs, puis, en cas de non coopération, une deuxième résolution pour décider du recours à la force). Ces deux paragraphes ne liaient pas Washington sur une deuxième résolution, mais ils forçaient au moins les États-Unis à revenir devant le Conseil, en cas de non-coopération de l'Irak, pour «considérer (et non décider, ce qui suggèrerait une seconde résolution ndlr) la situation».

Les Français ont déchanté lundi en découvrant que si ces deux paragraphes figuraient toujours dans le projet de résolution final, d'autres parties du texte contenaient des éléments en contradiction avec cette démarche. Selon le projet de résolution que s'est procuré RFI hier, le Conseil «décide que l'Irak est, et a été durant plusieurs années, en violation patente de ses obligations». Le paragraphe suivant «décide» que si l'Irak produit de fausses déclarations ou ne «coopère pas pleinement», cela «constituera une nouvelle violation patente». Le troisième paragraphe rappelle que «le Conseil a mis en garde l'Irak à plusieurs reprises qu'il fera face à de sérieuses conséquences en réponse aux violations continues de ses obligations». Légalement, cette séquence pourrait être interprétée par les États-Unis comme une autorisation automatique et immédiate de recourir à la force.

«Les États-Unis assurent que ceci n'est pas une façon d'autoriser une action armée. Mais la manière dont c'est écrit et le manque de confiance dans les Américains rendent ces paragraphes douteux» admet une diplomate du Conseil qui y voit «l'apport des faucons de Washington». Un autre diplomate considère que cette incohérence entre les premiers et les derniers paragraphes révèlent «une lutte d'influence entre les civils du Pentagone et le militaire du Département d'Etat». Hier, les Français ont tenté de convaincre Washington de renoncer à ces paragraphes douteux en les remplaçant par des formules inoffensives. Ils semblaient prêts à ne pas toucher à l'expression «sérieuses conséquences», à condition de la lier à l'hypothèse d'une non coopération de Bagdad, au lieu de la faire dépendre des violations des résolutions passées.

George Bush ne se lasse pas de menacer l’ONU

Le projet américain contient également plusieurs mesures de durcissement des inspections qui inquiètent les Français, les Russes et les Chinois. La disposition la plus contestée autoriserait les inspecteurs à «geler» un site sur le point d'être inspecté en déclarant des «zones de non-survol et non-circulation, des zones d'exclusion et/ou des corridors de transit aérien ou terrestre.». L'idée est d'empêcher les Irakiens d'évacuer des documents par la porte de derrière alors que les inspecteurs sonnent à l'entrée. Pour s'assurer que ces zones soient bien gelées, les Américains ont prévu que «des Etats membres ou des forces de sécurité de l'ONU devraient faire respecter cela». L'idée qu'une force armée quelconque puisse forcer les Irakiens à coopérer est jugée dangereuse par beaucoup, à commencer par les Français.

Par ailleurs, les États-Unis souhaiteraient que les familles des Irakiens qui seront interrogés par les inspecteurs puissent être évacuées du pays, pour les protéger d'éventuelles représailles du régime de Saddam Hussein. D'un point de vue pratique, plusieurs spécialistes considèrent que cette mesure serait un casse-tête. Le principe d'un accès immédiat et sans entraves aux sites présidentiels semble acquis, mais les Français ne veulent pas l'inscrire tel quel dans une résolution, de peur sans doute que les États-Unis en fassent un casus belli. Le calendrier proposé dans le projet ne devrait pas poser trop de problèmes: l'Irak a sept jours pour accepter le retour des inspecteurs, et trente jours pour fournir un rapport complet sur l'état de ses programmes d'armement. Une fois ce rapport remis, la mission d'inspection devra commencer son travail au plus tard dans les deux semaines qui suivent. Les Français estiment pour leur part qu'il est inutile de s'enfermer dans des dates pré-définies.

Finalement, les États-Unis ont renoncé à un recours explicite et automatique à l'usage de la force. L'idée de faire accompagner les inspecteurs par des escortes armées et des diplomates du Conseil de sécurité qui leur auraient indiqué les endroits à inspecter est également abandonnée. Mais de l'avis général, ce n'est pas suffisant. Pour parvenir à un accord, les États-Unis devront éclaircir de nombreux point et renoncer aux mesures les plus polémiques. Les Français estiment que «beaucoup de travail» reste à faire et les Russes trouvent que le projet de texte n'avait guère évolué depuis les premières versions, jugées inacceptables par Moscou.

Tout cela n'inquiète guère George Bush, qui ne se lasse pas de menacer les Nations unies. L'ONU «ne peut pas se contenter d'être la Société des Nations, un organisme purement de débats» a-t-il prévenu. «Si les Nations unies ne se décident pas, nous conduirons une coalition pour désarmer Saddam Hussein pour le bien de la paix», a-t-il ajouté. «Nous ne savons pas ce que dira finalement la résolution, quand il y aura un vote, si il y aura un vote, et ne nous savons pas si elle passera, échouera ou s'il y aura un veto» a déclaré le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, qui se ferait une joie d'attaquer l'Irak sans demander l'avis du Conseil de sécurité. Pour Washington, le passage par l'ONU est une option, pas une obligation.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 23/10/2002