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Union européenne

Désaccords profonds entre Londres et Paris

Le sommet franco-britannique, qui devait se tenir au Touquet le 3 décembre, a été reporté au début de l’année prochaine. Ce report est la conséquence du vif accrochage qui a opposé les chefs d’Etat français et britannique lors du dernier sommet européen de Bruxelles à propos du budget de la Politique agricole commune. Mais la virulence des propos trahit une dégradation plus profonde des relations entre Paris et Londres.
Dans le contexte de la construction européenne, le report d’un sommet franco-britannique n’est certainement pas une affaire mineure. D’autant que la brouille s’installe sur fond d’apparente incompréhension, de la part des Britanniques en tout cas. «C’est une décision qui a été prise par le gouvernement français; c’est sa décision et c’est à lui d’expliquer quelles sont ses raisons», déclarait le porte-parole du secrétariat britannique aux Affaires étrangères à l’annonce de la nouvelle, tout en concédant que «le report de ce sommet n’a pas été vraiment une surprise si l’on tient compte des événements des derniers jours».

Telle une fusée à plusieurs étages, la brouille franco-britannique démarre officiellement vendredi 25 octobre, lors du sommet européen de Bruxelles, lorsque Tony Blair apprend que le budget de la très contestée Politique agricole commune (PAC) a été scellé jusqu’en 2013, la veille, par le chancelier allemand et le président français. Derrière son dos, en quelque sorte. Alors qu'il aurait plutôt souhaité évoquer cette réforme, surtout au moment où l’Union s’apprête à recevoir dix nouveaux adhérents, en 2004. La PAC dévore près de la moitié des fonds communautaires, profite essentiellement aux agriculteurs français, et ne va pas dans le sens d’un libéralisme tel que l’entend l’Organisation mondiale du commerce. Mais, pour modérer les vives critiques britanniques, l’Union avait accepté en 1984 d’accorder à Londres un rabais budgétaire dont Paris, très vigilante sur le traitement réservé à sa paysannerie et consciente des menaces sur la PAC, envisageait de proposer le réexamen au grand dam des Britanniques.

C’est un premier point: le différend s’installe sur un dossier communautaire extrêmement sensible, l’agriculture. D’autre part, il s’inscrit dans une volonté de positionnement dans le peloton de tête du leadership européen. Car, après une longue période de flottement, c’est également la réhabilitation pour l’occasion du couple franco-allemand, «moteur de l’Union» poussif ces dernières années, qui irrite Londres. Surtout quand la reconstruction du couple en question passe par le sacrifice des intérêts du contribuable britannique. Vendredi à Bruxelles, les échanges entre Blair et Chirac ont donc été d’une vivacité peu diplomatique. A la remarque de Tony Blair, faisant valoir qu’un réexamen de la PAC était toujours possible, Jacques Chirac avait rétorqué à son homologue: «Vous avez été très mal élevé et on ne m’avait jamais parlé comme cela auparavant». Au moins chacun de son côté pourra-t-il justifier devant son opinion publique de sa détermination à préserver ses intérêts nationaux malgré l’âpreté des débats !

«Atlantistes» contre «Européens»

Mais il y a aussi, entre Paris et Londres, un lourd contentieux stratégique; et le fossé se creuse chaque jour un peu plus, à mesure il est vrai que la communauté internationale s’achemine vers l’échéance d’une décision sur une nouvelle guerre contre l’Irak. Schématiquement, la doctrine britannique est «atlantiste», alors que la française est «européenne». Et le dossier irakien fournit un matériau de premier choix pour évaluer ces évolutions contradictoires. Partenaires que l’on sait au sein de l’Union, Londres et Paris s’opposent franchement à l’ONU sur la conduite à tenir vis à vis du Moyen-Orient en raison de l’alignement sans réserve des Britanniques sur Washington.

Cette opposition a des conséquences directes sur la construction communautaire à l’heure où l’Europe se cherche une politique extérieure et de sécurité commune (PESC) dont le couple Paris-Londres auraient dû être le fer de lance en raison de leurs capacités militaires réciproques. C’est ce qui était prévu, en 1998, à l’issue d’un sommet bilatéral, à Saint-Malo. Mais l’enthousiasme est apparemment vite retombé et, selon la partie française, la Grande-Bretagne traîne les pieds. A titre d’exemple, il n’est même plus sûr que l’Union soit en mesure de relever les troupes de l’OTAN en Macédoine, comme prévu, à l’issue de leur mission le 15 décembre. Pour l’heure les positions semblent irréconciliables entre une approche britannique libre-échangiste et «utilitariste» de l’Europe, veillant jalousement sur sa relation privilégiée avec les Etats-Unis, et une vision française plus politique et résolument européenne. Et les prochains rendez-vous, notamment à l’ONU pour examiner l’affaire irakienne, ne devrait pas favoriser un rapprochement des deux partenaires. Tous deux membres permanents du Conseil de sécurité.



par Georges  Abou

Article publié le 30/10/2002