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Indonésie

Bali panse ses plaies

Une semaine après le drame, les habitants de l’île s’interrogent sur l’avenir de la cohabitation entre les communautés religieuses.
De notre envoyé spécial à Bali

L’église de Kouta est illuminée par des centaines de cierges. Depuis dimanche, les portes sont ouvertes en permanence. De jour comme de nuit, chacun peut venir se recueillir à la mémoire des victimes de l’attentat du 12 octobre. «Nous n’avons jamais accueilli autant de monde» explique le père Diotuso, les cernes creusées par quatre nuits blanches. «Dès les premières heures de l’attentat, de nombreux touristes sont venus ici pour chercher du réconfort et exprimer leur douleur. Certains parce qu’un de leur proche avait été blessé ou tué et d’autres parce qu’ils étaient choqués émotionnellement». Les deux jours suivants, la petite bâtisse n’a jamais désempli et la communauté chrétienne de Denpassar, qui compte près d’un millier de membres, s’est mobilisée pour faire face à cet afflux.

Les femmes se sont occupées de l’intendance en distribuant eau et nourriture ou en assurant la propreté des lieux. Les plus jeunes, ceux qui parlent anglais, ont dispensé chaleur humaine, gestes et mots de consolation. L’attentat n’a fait aucune victime parmi les chrétiens balinais. Mais ceux-ci s’inquiètent du sens à donner à cet acte de barbarie que les premières pistes de l’enquête attribue à des milieux islamistes. «J’ai peur, qu’un jour, il n’y ait plus de place pour nous dans ce pays» s’inquiète sincèrement Titine, une mère de famille qui rappelle que les chrétiens sont déjà persécutés aux Moluques, un chapelet d’îlots situés aux confins orientaux de l’archipel où les violences interconfessionnelles ont déjà plus de 5 000 morts en trois ans. Plus nuancé, son mari, un professeur d’économie à l’université de Denpassar, veut se persuader que l’Indonésie, pays de grande tolérance religieuse, saura lutter efficacement contre ce fléau.

«L’écrasante majorité des musulmans indonésiens pratique un islam modéré et vit en bonne coexistence avec les minorités chrétiennes (…) Mais les radicaux musulmans peuvent aussi surfer sur la crise économique pour élargir leur base populaire…». A Bali, cette cohabitation se passe plutôt bien. Sans doute car les deux communautés sont minoritaire dans cette île à 90% hindouiste. Ces dernières années pourtant, le nombre des musulmans a augmenté de façon significative. Et leur visibilité aussi. En cinq ans, 14 nouvelles mosquées ont été construites. Principalement dans le centre de l’île. Dans certains villages, les musulmans sont même devenus majoritaires et l’appel à la prière est diffusé par haut parleur. En cause : la politique de transmigration du gouvernement indonésien qui incite les habitants de Java, où se concentrent 80% des 220 millions d’indonésiens, à émigrer vers les autres îles.

Honte et colère

Les trois mosquées de Kouta ne sont d’ailleurs fréquentées que par des Javanais. Des Javanais qui se disent « atterrés» par le carnage de samedi. «Depuis dimanche, tous mes prêches sont consacrés au recueillement et à la réflexion» déclare le Sheikh Wawana. «Je dis aux fidèles que répondre aux sirènes de l’extrémisme prônés par Oussama Ben Laden, c’est se livrer au diable». Message bien reçu semble-t-il. Car on retrouve de nombreux musulmans dans les fils d’attente des centres de transfusion sanguine. Partout les mots sont les mêmes : «colère», «honte», «intolérance» ou «excuses». Des excuses, le prêtre Handi, le plus important dignitaire hindouiste de la ville, en a fait aussi à la communauté internationale. En larmes et plein de dévotion. Pourtant les Balinais n’ont pas été épargnés par le massacre. On comptabilise déjà une dizaine de victimes. Mais beaucoup figurent sans doute aussi parmi les cadavres non-encore identifiés.

En premier lieu : les petits commerçant installés sur le site de l’explosion et le personnel du Sari club et du Paddy’s, la discothèque et le bar pulvérisés par la voiture piégée. Autour de ces night-clubs, parmi les plus fréquentés de Kouta Beach, gravitaient aussi une faune de vendeurs de bibelots mais aussi de petits dealers de marijuana et de jeunes prostituées. Le samedi était un jour particulièrement propice à leurs affaires et l’on peut penser qu’un grand nombre d’entre eux étaient présents ce soir là. Près des décombres, où s’improvisent chaque jours des cérémonies du souvenir, on voit d’ailleurs souvent des Balinais se recueillir. Certains viennent compatir à la douleur des touristes et d’autres sont là pour pleurer la mort d’un proche. Mais tous en commun une crainte : que la dolce vita de Bali la tolérante, soit enfouis à jamais sous les ruines du Sari Club.



par Jocelyn  Grange

Article publié le 18/10/2002