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Sida

Trafic de médicaments destinés à l’Afrique

Des antirétroviraux à prix cassés envoyés dans plusieurs pays africains ont été détournés de leur destination finale et rapatriés sur le marché européen pour être revendus au tarif classique. L’existence d’un tel trafic tombe bien mal dans un contexte de négociations avec les grands laboratoires pharmaceutiques détenteurs des brevets des molécules antisida, pour obtenir leur livraison aux pays en développement à des tarifs réduits mais aussi autoriser la fabrication et l’importation de génériques.
Plus de trente-cinq mille boîtes de Combivir et d’Epivir, deux antirétroviraux fabriqués en France par la firme GlaxoSmithKline, ne sont jamais arrivées à leurs destinataires africains, dans les hôpitaux ou les associations humanitaires. Envoyées par avion dans plusieurs pays (Côte d’Ivoire, Sénégal, Togo, Guinée, Congo-Brazzaville), elles ont transité dans les aéroports puis sont reparties ensuite vers l’Europe et ont été écoulées en Allemagne et aux Pays-Bas via la Belgique. Un tour de passe-passe, réalisé en 2001, qui a permis aux trafiquants de faire un bénéfice conséquent puisque ces médicaments étaient vendus aux pays africains, selon GlaxoSmithKline, à un prix compris entre 10 et 25 % du tarif pratiqué en Europe. Les comprimés détournés représentaient une valeur d’environ 15 millions d’euros et ont déjà été écoulés dans les pharmacies allemandes et hollandaises. Une société d’import-export néerlandaise pourrait être impliquée dans ce détournement et fait l’objet d’une enquête.

L’annonce de l’existence de ce trafic, confirmé hier par les autorités sanitaires néerlandaises, fait grand bruit. Les détournements de médicaments ne sont pas nouveaux mais il s’agit-là de molécules antisida destinées aux malades des pays africains, qui sont à la fois les plus touchés par cette épidémie meurtrière et les plus démunis en matière de traitement. Depuis quelques années, la polémique autour des politiques tarifaires des grands laboratoires pharmaceutiques, détenteurs des brevets des molécules antisida et peu disposés à réduire leurs profits, fait rage. Et il a fallu une grande mobilisation de la communauté internationale pour amener ces derniers à accepter le principe de réductions tarifaires en faveur des pays pauvres pour leur permettre d’avoir accès à des traitements hors de portée.

Retarder les négociations

Les firmes ont donc commencé à négocier au cas par cas avec les Etats africains et à accorder des réductions pouvant aller jusqu’à 90 % du prix pratiqué dans les pays du Nord. Il s’agit encore d’une simple goutte d’eau dans l’océan car seule une infime minorité de malades africains bénéficient de traitement. Pour sortir de cette situation paradoxale où les malades sont au Sud et les médicaments au Nord, les réductions tarifaires sont nécessaires mais ne sont pas suffisantes. Pour Hellen T’hoen, qui s’occupe de la campagne d’accès aux médicaments essentiels pour Médecins sans frontières, «la réduction des prix des laboratoires ne peut pas être la seule solution». Il est indispensable d’autoriser aussi la production locale et les importations de génériques. Donc de permettre aux pays en développement de passer outre l’exclusivité assurée aux laboratoires par la détention des brevets, étant donnée l’urgence sanitaire à laquelle ils doivent faire face.

Ces questions fondamentales qui dépendent du traité Adpic (accord sur les droits de la propriété intellectuelle), font l’objet de négociations dans le cadre l’Organisation mondiale du Commerce. Lors des dernières discussions à Doha, un accord a été trouvé pour autoriser la production des génériques et leur importation. Par contre, il n’a pas été possible de résoudre le problème des exportations que les laboratoires souhaitent limiter. En l’état actuel, à partir de la date butoir de 2005, les pays du Sud capables de produire des génériques ne pourraient pas les exporter vers d’autres pays du Sud. Et ceux qui ne disposent pas des capacités de production industrielles des molécules génériques auraient donc sur le principe, le droit d’en importer mais, dans les faits, ne le pourraient pas puisque les producteurs n’auraient pas le droit de les exporter.

Dans un tel contexte, le trafic de médicaments découvert entre l’Afrique et l’Europe, risque de compliquer la donne. GlaxoSmithKline a affirmé que cette affaire ne remettait pas en cause la politique de réductions des prix menée par la compagnie en faveur des pays pauvres et que des mesures seraient prises pour distinguer les emballages des médicaments destinés à l’Afrique et ainsi empêcher de nouveaux trafics. Il semble, en effet, que jusque-là les comprimés étaient envoyés dans des conditionnements totalement identiques à ceux destinés à l’Europe, contrairement à ce GlaxoSmithKline avait annoncé il y a quelques mois. Malgré tout, cette affaire pourrait retarder la conclusion des négociations, poursuivies après Doha dans le cadre du Conseil Adpic, dont la prochaine réunion est prévue pour le mois de novembre. Et renforcer la position des laboratoires qui freinent la diffusion des génériques car ils craignent que ces copies des spécialités, bien que destinées exclusivement aux pays africains, ne remontent malgré tout vers les marchés des pays industrialisés sur lesquels ils réalisent leurs profits.



par Valérie  Gas

Article publié le 04/10/2002