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Russie

La crise tchétchène débarque en Europe

A la demande du Kremlin qui l’accuse de complicité avec les terroristes, la police danoise a procédé à l’arrestation, dans la nuit de mardi à mercredi, de l’émissaire du président tchétchène, venu à Copenhague participer aux travaux du premier «Congrès mondial tchétchène». Au lendemain de la prise d’otages à Moscou, cet épisode traduit une volonté d’intransigeance de la part des Russes dans le dossier de la Tchétchénie. Akhmed Zakaïev avait la réputation d’un négociateur modéré.
On a frôlé l’incident diplomatique entre le Danemark et la Russie ; puis entre l’Union européenne (UE) et la Russie. C’est le refus de Copenhague d’interdire ce premier Congrès tchétchène, au nom des principes de liberté d’association et de réunion, qui a provoqué la colère de Moscou. La réunion, lundi et mardi, survenait au lendemain du choc provoqué par la prise d’otages de plusieurs centaines de personnes, dans un théâtre moscovite, par un commando tchétchène. Or, après le dénouement dramatique de cette affaire, les autorités danoises n’ont certainement pas pu résister aux pressions russes leur réclamant, mandat d’arrêt international à l’appui, l’arrestation et l’extradition d’Akhmed Zakaïev, accusé par le Kremlin de complicité dans la prise d’otages.

Sur le premier point les Russes ont eu gain de cause. Le délégué tchétchène est en détention provisoire, à Copenhague, jusqu’au 12 novembre. Le juge a estimé qu’il existait des risques qu’il quitte le pays pour échapper à des poursuites judiciaires s’il était relâché. A charge pour la justice danoise d’examiner à présent la recevabilité de la demande d’extradition de Moscou qui aurait peu de chance d’aboutir. Il n’existe pas, tout d’abord, de convention d’extradition entre les deux pays. Et, même si c’était le cas, l’extradition ne serait pas possible vers un pays dont la peine de mort fait toujours partie de l’arsenal judiciaire. C’est le cas de la Russie, même si elle observe depuis 1996 un moratoire sur l’application de cette peine et que le Parquet général de Russie propose de s’engager auprès des autorités danoises à ne pas la requérir à l’encontre d’Akhmed Zakaïev.

Moscou ne veut pas négocier

Cette affaire a également eu des conséquences au niveau communautaire. Le Danemark, président en exercice de l’UE, devait accueillir le sommet UE-Russie, début novembre. Pas question pour les Russes de se rendre à Copenhague dans ces conditions. Face à la menace de boycott de Moscou, un compromis a été trouvé : le sommet aura bien lieu le 11 novembre, comme prévu, mais à Bruxelles où cette épineuse affaire viendra compléter le dossier prévu dans l’agenda : le traitement réservé à l’enclave russe de Kaliningrad, dans la perspective de l’élargissement. A moins qu’elle ne domine les débats, à la veille de l’échéance fixée par la justice danoise pour l’examen du dossier. Vladimir Poutine veut-il saisir une opportunité de contraindre les Européens à adopter une position commune claire, en sa faveur ? Une occasion se présente avec les tragiques événements de Moscou et leurs conséquences diplomatiques. Mais le résultat n’est pas garanti : l’UE doit tenir compte d’une opinion publique qui pèse sur ses dirigeants et qui comprendrait mal que des réserves ne soient exprimées quant à la conduite de la guerre en Tchétchénie.

D’autant que la personnalité même de l’interpellé pose problème. De notoriété publique, et jusque dans les couloirs du Kremlin, Akhmed Zakaïev passe pour un modéré. Il a combattu les Russes lors de la première guerre (1994-1996), avant de participer aux négociations qui ont conduit au retrait des soldats de Moscou. Ancien ministre du gouvernement tchétchène, il devient l’émissaire du président indépendantiste Aslan Maskhadov au début du second conflit, en 1999. Il passe pour être un fin diplomate, attaché à la cause de la paix et principal interlocuteur potentiel du Kremlin. C’est peut-être cette hypothèse que les autorités russes ont voulu écarter : celle de la négociation, qui deviendrait caduque faute d’interlocuteur.



par Georges  Abou

Article publié le 31/10/2002