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Colombie

Gabriel Garcia Marquez, citoyen du monde

Une enquête récente montrait que 32% des mexicains interrogés sont persuadés d’être de la même nationalité que Pancho Villa. En Espagne, 40% pensent qu’il a vu le jour dans la patrie de Cervantès. Pourtant Gabriel Garcia Marquez est 100% colombien, né en 1927 à Aracataca, un village perdu dans le nord du pays. Mais 75 ans plus tard son œuvre lui confère le statut de citoyen du monde, à l’égal du Chilien Pablo Neruda ou de l’Argentin Jorge Borges.
Après 13 ans de gestation, Vivre pour la raconter, le premier tome de ses mémoires, s’arrache dans les librairies d’Amérique latine. Au Mexique et en Bolivie les premiers stocks ont été épuisés en 24 heures. En Colombie, le soir du lancement, le 8 octobre, 15 000 exemplaires ont été vendus. Fait sans précédent dans un pays où le marché du livre reste modeste. L’éditeur colombien Norma a déjà relancé les presses pour doubler le nombre d’exemplaires. Au total, c’est plus d’un million d’ouvrages qui ont été mis en vente dans le monde hispanophone.

«La vie n’est pas celle qu’on a vécu, mais celle dont on se souvient et comment on s’en souvient pour la raconter», écrit en préambule Gabo, surnom du prix Nobel de littérature 1982. C’est parti pour près de 600 pages retraçant les 30 premières années de la vie d’un écrivain hors norme, père du réalisme magique et auteur d’une vingtaine de romans dont L’automne du patriarche et Chronique d’une mort annoncée. Aujourd’hui, son influence sur le monde littéraire du continent sud-américain est omniprésente, parfois étouffante. En réaction, certains jeunes écrivains, comme Alberto Fuguet, plume montante de la littérature chilienne, ont tenté de tuer le père; c’est la génération McOndo en opposition au village de Macondo de Cent ans de solitude. Pourtant Fuguet avoue dans un texte rédigé en septembre: «Je ne me sens pas le fils de GGM (Gabriel Garcia Marquez), ce n’est pas mon père et pourtant je me rends compte que son ADN est dans mon sang. Un père marque toujours le fils, pour le meilleur, pour le pire, par omission».

Témoin de son temps

La saga qui commence par la rencontre audacieuse d’une jeune fille de bonne famille et d’un télégraphiste, ses parents, fait traverser au lecteur 50 années de l’histoire de la Colombie. La guerre des Mille jours à l’aube du 20ème siècle dont un grand-père fut un héros, l’affrontement contre le Pérou et la tragique fusillade dans les bananeraies de la United Fruit Company. Le 9 avril 1948 Garcia Marquez s’apprête à déjeuner. «La soupe n’était pas encore servie quand Wilfrid Mathieu s’est planté devant moi: Ce pays est foutu. On vient de tuer Gaitan devant le Chat noir». Gabo traverse en volant les quelques rues qui le séparent de l’endroit du crime et se retrouve nez à nez avec l’assassin. «Je ne pourrais jamais l’oublier. Il avait le cheveu hirsute, une barbe de deux jours et était livide comme un mort avec les yeux exorbités par la terreur». L’homme est lynché par la foule et une mise à sac de Bogota et de tout le pays s’en suit. Pour beaucoup, le conflit armé actuel est né le jour dramatique de l’assassinat du tribun Jorge Elecier Gaitan.

«Ces 50 pages feront sans aucun doute partie de la mémoire du continent puisque le destin a voulu que l’écrivain le plus emblématique de Colombie soit témoin de l’évènement le plus important du siècle pour nous», juge William Ospina, poète et essayiste colombien, invité à découvrir le manuscrit en mai dernier. «On associe sans cesse les faits de son enfance, de son adolescence, les gens qui l’entouraient avec les personnages littéraires qu’il a créés. On ne lit pas sa vie comme quelque chose de barricader sur elle-même mais en la projetant en direction du monde fantastique de sa littérature», poursuit-il. L’ouvrage s’achève alors que, jeune journaliste de 30 ans, Gabo quitte pour la première fois son pays et déploie ses ailes.

Vivre pour la raconter devrait avoir une suite sans qu’on sache quand elle sortira. Ses lecteurs peuvent patienter maintenant qu’ils sont rassurés de son état de santé. Car comment écrire un ouvrage d’une telle vitalité sans avoir recouvré la santé. Il a vaincu un cancer en 1999. L’écrivain couve plusieurs projets, notamment un livre sur ses relations avec quelques grands de ce monde: son amitié avec Fidel Castro est connue. Le président cubain qui, dans un texte publié à l’occasion de la publication de ces mémoires, confesse: «Lors de ma prochaine réincarnation, je veux être écrivain, et je veux l’être à la manière de Garcia Marquez».



par Alain  Devalpo

Article publié le 19/10/2002