Proche-Orient
La guerre des olives fait rage en Cisjordanie
Depuis un mois, les paysans palestiniens sont harcelés par les colons. Pour les empêcher de récolter les olives, ils multiplient les exactions. Pillages, saccages, passages à tabac. Le tout sous le regard indifférent de l’armée israélienne.
De notre correspondant dans les Territoires palestiniens
Une guerre silencieuse fait rage dans les collines de Cisjordanie. Elle oppose les paysans palestiniens, attelés à la récolte des olives, aux colons israéliens prêts à tout pour la torpiller. Depuis le lancement de la cueillette début octobre, quasiment pas un jour ne passe sans qu’un groupe de villageois ne soit agressé. Le scénario est bien connu : les colons surgissent alors que les Palestiniens travaillent dans leurs champs et les obligent, armes à la main, à faire demi-tour. Selon l’humeur des agresseurs, l’attaque se solde par quelques coups de feu en l’air, le pillage de la récolte du jour, le vol des outils voire une bastonnade en règle. Et parfois tout à la fois. Une façon de terroriser les paysans pour qu’ils renoncent à exploiter leurs terres et ce faisant l’abandonnent à l’appétit des colons. Ce phénomène, qui n’est pas neuf, prend dans le contexte de l’Intifada une ampleur dramatique. Non seulement la répression menée par l’armée israélienne désinhibe les colons extrémistes et exacerbe leur violence. Mais leurs raids sont d’autant plus préoccupants que pour beaucoup d’habitants, privés de leur travail en Israël par le bouclage des Territoires, la vente de l’huile d’olive est devenue la principale voire la seule source de revenu. Deux épisodes de cette guerre à sens unique sont particulièrement éclairants.
Dimanche 6 octobre, des habitants d’Itamar, une colonie ultra-orthodoxe implantée près de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie, ouvrent le feu sur des cueilleurs d’olives d’un village voisin, Aqrabah. Deux Palestiniens sont blessés. Alerté par le maire, Ghaleb Mayadmeh, l’armée israélienne arrive sur les lieux. A Aqrabah, les exactions des colons sont notoires. Destruction de lignes électriques, bétail abattu, pollution des sources d’eau. La veille, un groupe de villageois avait été passé à tabac. Cependant, contre toute logique, l’officier ordonne aux villageois de rentrer chez eux. «Nous ne pouvons pas vous protéger, explique-t-il. Vous devez attendre que des permis vous soient délivrés pour redescendre travailler dans vos champs». Le maire s’indigne : «jamais, ces champs nous appartiennent, ceux qui doivent partir, ce sont les colons». Ses protestations se perdent dans le ronflement du moteur des jeeps. Les soldats partent. Le maire fait signe au groupe de paysans de faire demi-tour. Mais il est trop tard. Un colon épaule. Hani Beni Maniyeh, un ouvrier de 24 ans, s’effondre, mortellement touché d’une balle en pleine poitrine.
«Les colons crachent au visage de l’armée»
Depuis, l’enquête piétine. Quelques colons interrogés ont été très vite relâchés. L’expertise balistique n’est toujours pas achevée. «La police a osé nous dire que les circonstances de la mort d’Hani étaient floues, soupire Ghaleb Mayadmeh. A chaque fois que j’appelle pour avoir des informations, on me répond : pas de commentaires. Leur travail consiste juste à enterrer les preuves. Imaginez ce qui se serait passé si le mort avait été un colon. La minute d’après, Aqrabah aurait été mis sous couvre-feu et des dizaines de personnes auraient été raflées par l’armée. La vie d’un Palestinien ne vaut quasiment rien». Mustafa, le père du défunt, opine. «Des militants du mouvement pacifiste israélien La paix maintenant sont venus chez moi, raconte-t-il. Ils m’ont dit que même si la police mettait la main sur le tueur de mon fils, de toute façon, il serait relâché».
Le second épisode se déroule à Yanoun, un village proche d’Aqrabah. A la mi-octobre, épouvantés par les descentes incessantes des colons d’Itamar, lassés par le silence complaisant de l’armée et de la police israélienne, les cent cinquante habitants abandonnent leur domicile pour se réfugier à Aqrabah. Yanoun se tranforme en village fantôme. «Ils débarquaient presque tous les samedis, raconte Abdelatif Bani Jaber, le maire de Yanoun. Ils dansaient sur nos toits, saccageaient nos maisons, se baignaient dans notre source, nous battaient devant nos femmes. Ils ont même détruit le générateur d’électricité qui alimentait le village». Dans le quotidien israélien Ha’aretz, le chroniqueur militaire Zeev Schiff s’étouffe : «Les milices des colons font leur propre loi et elles crachent au visage de l’armée (…). Ils mènent une campagne pour affamer et appauvrir la population palestinienne (…). On peut dire qu’ils posent les bases du Transfert (la déportation de la population arabe, ndlr)».
Au bout de quelques jours, épaulée par des militants pacifistes israéliens et français, la majorité de la population est toutefois revenue. Les raids n’ont pas cessé pour autant. Dimanche dernier, quatre militants ont été roués de coups par des colons, dont un septuagénaire américain qui souffre d’une côte cassée. Sous la pression des médias, l’armée israélienne a finalement consenti à aider les villageois. «Chaque matin, les soldats viennent annoncer si l’on peut partir récolter les olives, où et combien de temps, précise un militant. A ces conditions seulement, ils encadrent la cueillette». Une délégation de La Paix maintenant, emmenée par trois des plus fameux écrivains israéliens, David Grossman, Amos Oz et Avraham B. Yeoshuah, est venue à Yanoun dire son indignation. Combien de temps durera l’accalmie ? Le maire n’est pas dupe. «Depuis une semaine, les visiteurs défilent mais je n’ai rien vu de concret. Aussitôt que les militants internationaux partiront, l’armée fera de même et les colons reviendront. Sans sécurité, c’est la mort lente assurée».
Une guerre silencieuse fait rage dans les collines de Cisjordanie. Elle oppose les paysans palestiniens, attelés à la récolte des olives, aux colons israéliens prêts à tout pour la torpiller. Depuis le lancement de la cueillette début octobre, quasiment pas un jour ne passe sans qu’un groupe de villageois ne soit agressé. Le scénario est bien connu : les colons surgissent alors que les Palestiniens travaillent dans leurs champs et les obligent, armes à la main, à faire demi-tour. Selon l’humeur des agresseurs, l’attaque se solde par quelques coups de feu en l’air, le pillage de la récolte du jour, le vol des outils voire une bastonnade en règle. Et parfois tout à la fois. Une façon de terroriser les paysans pour qu’ils renoncent à exploiter leurs terres et ce faisant l’abandonnent à l’appétit des colons. Ce phénomène, qui n’est pas neuf, prend dans le contexte de l’Intifada une ampleur dramatique. Non seulement la répression menée par l’armée israélienne désinhibe les colons extrémistes et exacerbe leur violence. Mais leurs raids sont d’autant plus préoccupants que pour beaucoup d’habitants, privés de leur travail en Israël par le bouclage des Territoires, la vente de l’huile d’olive est devenue la principale voire la seule source de revenu. Deux épisodes de cette guerre à sens unique sont particulièrement éclairants.
Dimanche 6 octobre, des habitants d’Itamar, une colonie ultra-orthodoxe implantée près de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie, ouvrent le feu sur des cueilleurs d’olives d’un village voisin, Aqrabah. Deux Palestiniens sont blessés. Alerté par le maire, Ghaleb Mayadmeh, l’armée israélienne arrive sur les lieux. A Aqrabah, les exactions des colons sont notoires. Destruction de lignes électriques, bétail abattu, pollution des sources d’eau. La veille, un groupe de villageois avait été passé à tabac. Cependant, contre toute logique, l’officier ordonne aux villageois de rentrer chez eux. «Nous ne pouvons pas vous protéger, explique-t-il. Vous devez attendre que des permis vous soient délivrés pour redescendre travailler dans vos champs». Le maire s’indigne : «jamais, ces champs nous appartiennent, ceux qui doivent partir, ce sont les colons». Ses protestations se perdent dans le ronflement du moteur des jeeps. Les soldats partent. Le maire fait signe au groupe de paysans de faire demi-tour. Mais il est trop tard. Un colon épaule. Hani Beni Maniyeh, un ouvrier de 24 ans, s’effondre, mortellement touché d’une balle en pleine poitrine.
«Les colons crachent au visage de l’armée»
Depuis, l’enquête piétine. Quelques colons interrogés ont été très vite relâchés. L’expertise balistique n’est toujours pas achevée. «La police a osé nous dire que les circonstances de la mort d’Hani étaient floues, soupire Ghaleb Mayadmeh. A chaque fois que j’appelle pour avoir des informations, on me répond : pas de commentaires. Leur travail consiste juste à enterrer les preuves. Imaginez ce qui se serait passé si le mort avait été un colon. La minute d’après, Aqrabah aurait été mis sous couvre-feu et des dizaines de personnes auraient été raflées par l’armée. La vie d’un Palestinien ne vaut quasiment rien». Mustafa, le père du défunt, opine. «Des militants du mouvement pacifiste israélien La paix maintenant sont venus chez moi, raconte-t-il. Ils m’ont dit que même si la police mettait la main sur le tueur de mon fils, de toute façon, il serait relâché».
Le second épisode se déroule à Yanoun, un village proche d’Aqrabah. A la mi-octobre, épouvantés par les descentes incessantes des colons d’Itamar, lassés par le silence complaisant de l’armée et de la police israélienne, les cent cinquante habitants abandonnent leur domicile pour se réfugier à Aqrabah. Yanoun se tranforme en village fantôme. «Ils débarquaient presque tous les samedis, raconte Abdelatif Bani Jaber, le maire de Yanoun. Ils dansaient sur nos toits, saccageaient nos maisons, se baignaient dans notre source, nous battaient devant nos femmes. Ils ont même détruit le générateur d’électricité qui alimentait le village». Dans le quotidien israélien Ha’aretz, le chroniqueur militaire Zeev Schiff s’étouffe : «Les milices des colons font leur propre loi et elles crachent au visage de l’armée (…). Ils mènent une campagne pour affamer et appauvrir la population palestinienne (…). On peut dire qu’ils posent les bases du Transfert (la déportation de la population arabe, ndlr)».
Au bout de quelques jours, épaulée par des militants pacifistes israéliens et français, la majorité de la population est toutefois revenue. Les raids n’ont pas cessé pour autant. Dimanche dernier, quatre militants ont été roués de coups par des colons, dont un septuagénaire américain qui souffre d’une côte cassée. Sous la pression des médias, l’armée israélienne a finalement consenti à aider les villageois. «Chaque matin, les soldats viennent annoncer si l’on peut partir récolter les olives, où et combien de temps, précise un militant. A ces conditions seulement, ils encadrent la cueillette». Une délégation de La Paix maintenant, emmenée par trois des plus fameux écrivains israéliens, David Grossman, Amos Oz et Avraham B. Yeoshuah, est venue à Yanoun dire son indignation. Combien de temps durera l’accalmie ? Le maire n’est pas dupe. «Depuis une semaine, les visiteurs défilent mais je n’ai rien vu de concret. Aussitôt que les militants internationaux partiront, l’armée fera de même et les colons reviendront. Sans sécurité, c’est la mort lente assurée».
par Benjamin Barthe
Article publié le 02/11/2002