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Les Etats-Unis approchent d'un compromis à l'ONU

Alors que Georges Bush doit prononcer un discours très attendu sur la marche vers la guerre contre l'Irak, ce jeudi en Les Etats-Unis ont déposé hier un projet de résolution révisé sur l'Irak. Le texte, extrêmement ambigu, endosse en apparence la démarche en deux temps demandée par la France, sans pour autant forcer les Etats-Unis à obtenir une autorisation du Conseil de sécurité de l'ONU avant de partir en guerre contre l'Irak.
New York (Nations unies), de notre correspondant

Le projet de résolution déposé hier par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne est un chef d’œuvre d'ambiguïté. Au terme de sept semaines de négociations éreintantes, chaque pays pourra y lire ce qu'il souhaite y voir. Il endosse en partie la démarche en deux temps exigée par la France, tout en offrant aux Etats-Unis une marge suffisante pour contourner l'ONU et partir en guerre contre Bagdad si le besoin se présente. Le représentant américain à l'ONU a demandé un vote sur le texte pour vendredi. En attendant, le Conseil de sécurité devait se réunir à huis clos pour régler les derniers détails. La France et la Russie, qui ont jusqu'à maintenant mené l'opposition au texte américain, semblent vouloir obtenir certaines modifications. «Il reste nécessaire de lever certaines ambiguïtés», a affirmé Catherine Colonna, la porte-parole de l'Elysée, au terme au terme d'un entretien téléphonique entre les présidents français Jacques Chirac et le Russe Vladimir Poutine. Selon elle, Jacques Chirac estime «qu'il y aurait des avantages à ce que la résolution soit adoptée de façon unanime. Cela suppose que tout risque d'automaticité soit exclu».

La question centrale, celle pour laquelle les Etats-Unis sont venus à l'ONU, demeure l'autorisation automatique du recours à la force. Depuis le discours de George Bush devant l'assemblée générale de l'ONU, le 12 septembre dernier, Washington tente d'obtenir du Conseil de sécurité une carte blanche pour attaquer l'Irak, en cas de non coopération avec les inspecteurs de l'ONU. Or, le projet de résolution américain, dans son paragraphe 4, prévoit que tout refus de coopérer avec les inspecteurs en désarmement de l'ONU placera l'Irak en «nouvelle violation patente» des résolutions de l'ONU. Les spécialistes du dossier estiment que cette formule peut suffire pour légalement justifier l'usage de la force contre l'Irak.

Mais, politiquement, les Etats-Unis semblent endosser la démarche française en deux temps. Leur projet prévoit qu'en cas de non coopération de l'Irak, le Conseil de sécurité se réunira immédiatement pour «appréciation» de la situation.. Mais les Etats-Unis ne se lient pas les mains en précisant qui devra constater cette non coopération (Washington ? Les inspecteurs ?), pas plus qu'ils ne s'engagent à demander une deuxième résolution au Conseil de sécurité avant de recourir à la force, si le rapport de force n'est pas en leur faveur. La concession est donc sans grand danger pour Washington. En même temps, les Etats-Unis accordent «une dernière chance à l'Irak de se mettre en conformité avec ses obligations en matière de désarmement dans les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité». Cette dernière chance, par le biais des inspections, n'était pas acquise il y a encore quelques semaines.

Rien ne semble plus devoir faire rempart à cette résolution

Le nouveau régime d'inspection édicté dans la nouvelle résolution est beaucoup plus sévère que ceux pratiqués dans le passé. A tel point que la France, la Russie, et le chef des inspecteurs Hans Blix lui-même voudraient voir certaines des conditions américaines retirées du texte final. C'est le cas notamment d'une provision qui donne trente jours à l'Irak pour faire un rapport sur toutes ses activités biologiques et chimiques, y compris celles qui ne sont pas en lien avec des programmes d'armement. Dans un pays où l'industrie pétrochimique est colossale, une telle exigence parait irréalisable en un mois et ouvre la porte à la constatation d'une multitude d'oublis de la part de l'Irak. Certains diplomates craignent que n'importe lequel des ces oublis puisse être saisi par les Etats-Unis pour déclencher l'offensive militaire. D'autres provisions, comme celle qui donne 7 jours à l'Irak pour confirmer sa soumission à la nouvelle résolution, sont jugées inutiles et dangereuses dans la mesure où, par le passé, l'Irak n'a jamais clairement accepté les résolutions de l'ONU.

En revanche, l'accès immédiat à tous les sites, y compris les fameux palais présidentiels est acquis, de même que le droit pour les inspecteurs d'exfiltrer les familles des scientifiques irakiens qui seraient prêts à coopérer pleinement, si ils ont l'assurance que leurs proches ne feront pas l'objet de représailles. Les secteurs qui feront l'objet de contrôle pourront également être «gelés», interdits à toute circulation aérienne ou terrestre, pour empêcher les Irakiens d'évacuer des documents compromettants par la porte de derrière quand les inspecteurs sonnent à l'entrée. Les Etats-Unis ont renoncé à faire accompagner les inspecteurs par des escortes armées ou des diplomates du Conseil de sécurité, qui leur auraient indiqué les endroits à contrôler.

Malgré les divergences qui subsistent, rien ne semble plus devoir faire rempart à cette résolution. Même si la France et la Russie ne sont pas satisfaites par les dernières retouches sur la résolution américaine, aucun de ces deux pays ne semble prêt à utiliser son droit de veto. Au terme d'une campagne diplomatique agressive (Washington a obtenu le renvoi de l'ambassadeur mauricien Jagdish Koonjul, jugé trop retors), les Etats-Unis ont obtenu les neufs voix dont ils avaient besoin au Conseil de sécurité. Ils travaillent maintenant à obtenir l'unanimité du Conseil, ou, à défaut, 14 voix, si la Syrie persiste dans son refus d'une nouvelle résolution.

Les Russes et les Français, après avoir demandé l'avis de leur capitale, devraient aujourd'hui faire part de leur remarques au Conseil de sécurité. «Depuis le début de ces longues négociations, pour la France, le point essentiel demeure la préservation du rôle du Conseil de sécurité. C’est ce que nous appelons l’approche en deux temps. Sur ce point précis, je peux dire que des progrès substantiels ont été accomplis», affirmait toutefois hier l'ambassadeur de France à l'ONU, Jean-David Levitte. Selon lui, depuis le début, le but de la France est de maintenir l'unanimité du Conseil de sécurité de l'ONU. «Nous devons être unis sur un sujet aussi important si nous voulons aboutir a nos fins», a-t-il affirmé, en ajoutant qu'il s'en remettait à Hans Blix pour déterminer jusqu'où le régime d'inspection devait être renforcé.

Si le texte américain était adopté dès demain, l'Irak aurait une semaine pour en accepter les termes. Les premiers inspecteurs pourraient se rendre sur place en moins de dix jours, et commencer leur travail moins d'un mois après. Une fois les inspections commencées, la mission d'inspection de l'ONU aura 60 jours avant de retourner devant le Conseil de sécurité pour un premier point d'étape.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 07/11/2002