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Irak

L'Irak se soumet, avec des réserves

Dans une lettre particulièrement alambiquée, le ministre des affaires irakiens Naji Sabri affirme que son pays va «traiter avec la résolution 1441, malgré ses mauvais aspects». Il exprime toutefois plusieurs réserves, sur lesquelles le Conseil de sécurité semble prêt à fermer les yeux pour renvoyer dès lundi les premiers inspecteurs de l'ONU à Bagdad.
De notre correspondant à New York (Nations unies)

Face aux caméras de l'ONU, l'ambassadeur irakien Mohammed Al-Douri s'est montré très clair. «L'Irak accepte la résolution et le retour des inspecteurs (...) sans réserve et sans condition» a-t-il affirmé. Pourtant, la lettre qu'il a remise au secrétariat de Kofi Annan est beaucoup plus ambiguë. Sur neufs pages d'un style complexe, alambiqué, ironique parfois, le ministre des Affaires étrangères irakien Naji Sabri se livre à une violente charge contre les États-Unis et «Tony Blair, leur laquais». Le ministre irakien dénonce les «fabrications» de l'administration américaine, «transformée en tyran de l'époque par sa propre avidité, et par le sionisme.» Le ministre s'en prend également aux pays du Conseil de sécurité, qui «se sont livrés à l'ajout d'un mot ici ou d'une lettre là, jusqu'à ce qu'ils adoptent un texte au prétexte qu'il serait préférable de subir les ruades d'un taureau enragé dans une petite arène que d'affronter ses cornes dans un espace ouvert».

Après six pages de ce genre de littérature, le ministre irakien entre dans le vif du sujet. «Nous allons traiter avec la résolution 1441, en dépit de ses mauvais aspects (...) l'important en cela étant d'essayer d'épargner des souffrances à notre peuple» affirme Naji Sabri, qui ajoute être «prêt à accueillir les inspecteurs, pour qu'ils puissent mener à bien leur mission et s'assurer que l'Irak n'a pas développé d'armes de destruction massive durant leur absence, depuis 1998». Tout le reste de la lettre ne vient que tempérer cette affirmation première. «Nous n'oublierons pas que la sauvegarde de la dignité, de l'indépendance, de la sécurité de notre peuple et la protection de notre pays, de ses valeurs sublimes et sa souveraineté est un devoir sacré de notre leadership» prévient-il.

Rappelant que l'Irak est «dans le mois sacré du Ramadan», Naji Sabri avertit que «dans sa façon de traiter avec les inspecteurs, le gouvernement irakien va aussi prendre en considération la manière dont ils se conduisent, les intentions de ceux qui sont mal intentionnés parmi eux et leur approche inconvenante quand il s'agit de montrer du respect à la dignité du peuple national (...)». Plus grave, le ministre irakien affirme que les résolutions et les accords antérieurs s'appliquent en dernier ressort, alors que la résolution 1441 votée vendredi dernier est censée être le texte de référence. Pire, Naji Sabri affirme qu'il va écrire une nouvelle lettre au Conseil de sécurité pour faire part de ses «observations sur les mesures et les procédures contenues dans la résolutions 1441 qui sont contraires au droit international, à la charte des Nations Unies, aux faits déjà établis et aux mesures contenues dans les précédentes résolutions pertinentes du Conseil de sécurité.» Certains craignent que l'envoi d'une telle lettre ne vienne tout simplement contredire l'acceptation par l'Irak de cette résolution.

Fermer les yeux sur les aspects les plus provocants

A l'ONU, on semblait toutefois décidé à fermer les yeux sur les aspects les plus provocants de cette lettre, pour n'en retenir que les aspects positifs. C'est en tous les cas l'attitude de Kofi Annan, qui se refusait à commenter le texte, si ce n'est pour relever que l'Irak acceptait la résolution. «Ce n'est pas aussi clair que ce qu'on aurait voulu, mais l'important, c'est que l'Irak ne refuse pas la résolution», affirme une diplomate du Conseil de sécurité. «On va ignorer les aspects les plus provocants, qui sont de toute façon davantage destinés à la rue arabe qu'au conseil de sécurité», ajoute-t-elle. «C'est une lettre complètement délirante», commente un autre diplomate du Conseil. «Le lion rugit, mais il reste en cage», ajoute-t-il, déterminé à «oublier la rhétorique» pour se concentrer sur le retour des inspecteurs. Seuls les diplomates américains réservaient hier soir leur jugement sur la lettre dont ils étudiaient les détails, après avoir un peu plus tôt dans la journée accueilli favorablement l'annonce irakienne. Plusieurs pays, dont la France, ont exprimé une prudente satisfaction.

Maintenant que le feu vert irakien semble acquis, les premiers inspecteurs de l'ONU devraient arriver à Bagdad dès lundi. Ils auront pour mission de mettre en place l'infrastructure : les hélicoptères, les avions, les voitures, les radios etc. Ils devront aussi réintégrer les bâtiments de l'ONU, évacués en catastrophe en 1998. Quelle que soit la durée de cette période d'installation, les premières inspections de sites irakiens devront impérativement commencer avant le 23 décembre. A partir de là, les inspecteurs auront 60 jours de plus pour présenter un premier bilan au Conseil de sécurité. Par ailleurs, Bagdad n'a plus que trois semaines pour remettre un rapport détaillant ses programmes d'armements biologiques, chimiques et nucléaires. Ce rapport devra inclure toutes les activités en lien avec l'industrie pétrochimique irakienne, ce qui est une tâche colossale, pour ne pas dire impossible. A n'importe quel moment de ce processus, si l'Irak commet le moindre faux pas, les États-Unis pourront saisir l'occasion pour déclencher les hostilités.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 14/11/2002