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Congo démocratique

L’amertume des soldats rwandais

Le Rwanda, qui affirme avoir retiré ses soldats de l’Est du Congo, a pour l’instant seul rempli sa part des accords de paix de Pretoria. Kinshasa a jusqu’à la fin janvier pour neutraliser les combattants hutus rwandais se trouvant sur son territoire. Avec le rapatriement des ex-rebelles regroupés à Kamina, dans le sud de la République démocratique du Congo, les autorités congolaises semblent avoir commencé à tenir à leur tour leurs engagements. Sur place, les relations entre Congolais et Hutus rwandais deviennent plus tendues.
De notre envoyée spéciale à Kamina

Un soldat congolais amoureux d'une Hutu rwandaise. Alors que la belle s'apprête à embarquer dans un avion de la Monuc à destination de Kigali, le militaire s'approche de l'un des responsables onusiens pour lui soumettre ses doléances. Il veut épouser la jeune Rwandaise pour qu'elle reste au Congo. Mais ses compagnons d'armes aux bérets rouges (parmi les meilleurs soldats congolais) le prennent à partie : «Tu n'as pas honte, tu ne vas pas prendre pour femme une de ces Rwandaises hutu. Les siens nous ont fusillés!», lui lancent-ils, faisant allusion aux combats du 1er novembre à Kamina entre les Forces armées congolaises (FAC) et leurs anciens alliés rwandais, des rebelles hutus membres des FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda).

Le bilan officiel est de 27 morts du côté des Rwandais, 7 chez les Congolais. Après quelques minutes de tergiversations, le soldat «égare» rentre dans les rangs. Il n'est plus amoureux. La jeune rwandaise peut alors monter dans le cargo onusien, rejoindre ses cinquante compatriotes, à destination de son pays d'origine qu'elle n'a plus revu depuis le génocide, il y a huit ans. L'anecdote en dit long sur la situation à Kamina, une grande ville de 400.000 habitants, située dans le Katanga (sud de la République démocratique du Congo). Sa base militaire est étendue : des dizaines de bâtiments décrépis, remontant souvent à l'époque coloniale, éparpillés dans la brousse.

Comme le prévoient les accords de Pretoria, les autorités congolaises doivent traquer et démanteler les groupes armés de rebelles rwandais présents sur leur territoire, dont certains sont membres des ex-FAR (les Forces armées rwandaises en place avant le génocide) et soupçonnés d'avoir participé aux massacres de 1994. Une fois les groupes rassemblés, la Monuc (Mission d’observation des Nations unies au Congo) s'occupe de rapatrier ces ex-combattants volontaires et leur famille au Rwanda. Alors que Kigali dit avoir retiré toutes ses troupes de RDC, Kinshasa semble donner un coup d'accélérateur dans l'accomplissement de sa part du contrat. Après le rapatriement forcé au Rwanda de huit dirigeants des FDLR, arrêtés dans la capitale congolaise début octobre, Kinshasa a ordonné aux rebelles rwandais, qui étaient leurs alliés dans la guerre contre Kigali, d'ôter l'uniforme des FAC. Une mesure symbolique d'importance, donnant aux rebelles rwandais le sentiment d'être lâchés par Kinshasa.

«Le Congo ne veut plus de nous»

Dans un immense hangar jouxtant l'aéroport, sont rassemblés la centaine de derniers Rwandais candidats au rapatriement dans le cadre de l’opération organisée à Kamina. L'un d'eux, Godefroid, s'adresse à un soldat congolais : «On vous a servi pendant quatre ans et voilà comment vous nous chassez», crie-t-il plein d'amertume en désignant ses sandales déchirées. Godefroid a été arrêté peu après l'assaut du 1er novembre. C'est l'un des animateurs politiques des FDLR, le «moralisateur» des troupes. Son discours semble bien rodé : pour lui, il n'y a pas eu de génocide en 1994, mais des massacres des deux côtés. S'il s'apprête à retourner au Rwanda, ce n'est pas de gaîté de cœur : «Je n'ai pas le choix, on ne m'a pas donné le temps de réfléchir», explique-t-il. «Le Congo ne veut plus de nous, on ne peux pas rester ici!», poursuit-il, amer, fixant son interlocuteur de ses grands yeux ronds.

«Moi je ne comprends rien à la politique», confie plus tard un soldat congolais. «On était comme des frères ici et maintenant ils doivent partir.» Mais depuis les combats du 1er novembre, c'est un autre son de cloche que l'on entend souvent, plus hostile aux anciens alliés. L'hôpital de Kamina est situé à quelques kilomètres de l'aéroport. Les impacts des balles sont encore visibles sur les murs. Les rebelles y ont tué un infirmier et ont tenté d’abattre le directeur de l'hôpital, le docteur Ngande, qui refusait de les suivre. Un sourire paisible éclaire le visage de cet homme qui parvient à faire fonctionner cette institution militaire grâce à son extraordinaire ténacité. Après avoir échappé de près à la mort, il soigne sans distinction blessés rwandais et congolais. Mais «tout le monde n'a pas la même capacité de compréhension», explique le docteur. «La population congolaise a été déçue. On a accueilli ces Hutus comme des frères ici. Ils cultivaient où ils voulaient. Ils auraient pu partir sans agresser les gens.»

Depuis début octobre, quelque 650 Rwandais, des ex-combattants et leur famille, ont été rapatriés dans le cadre de cette opération à Kamina. Les trois quarts d'entre eux ont quitté le territoire congolais après les combats du 1er novembre. Ils sont ensuite conduits vers des camps de solidarité dans le nord du Rwanda, où ils sont censés apprendre les idéaux d'unité et de réconciliation. Les autorités rwandaises, qui ont accordé 90 jours supplémentaires à Kinshasa pour l'application des accords de Pretoria, qualifient l'opération de «début timide». Le noyau dur des FDLR a en effet pu s'enfuir après l'attaque de Kamina; ils seraient entre 200 et 1200 selon les interlocuteurs et pourraient avoir rejoint l'est du Congo. La tâche de Kinshasa est donc loin d'être terminée.



par Pauline  Simonet

Article publié le 18/11/2002