Côte d''Ivoire
Petits calculs et grandes manœuvres
Après un mois d’affrontements sanglants et un autre de négociations par intermittence, la crise ivoirienne n’a pas encore tout a fait les contours d’une guerre civile, mais demeure ensablée dans un vaste jeu de cache-cache ponctué de règlements de compte parfois tragiques. Sans que personne ne puisse prévoir la durée d’une confrontation qui concerne une bonne douzaine de protagonistes. En Côte d’Ivoire comme ailleurs.
Réagissant mollement à la proposition du président Gbagbo de tenir, au plus tôt dans environ un an, un référendum sur la Constitution, les «politiques» de la rébellion ont tout juste parlé de «diversion». Parce qu’ils n’ont jamais cessé de réclamer eux-mêmes la révision de cette constitution voulue par Robert Gueï, pas par Laurent Gbagbo, en 2000. «Nous voulons une résolution globale de la crise. Le référendum ne constitue qu’un point des revendications», a dit Sidiki Konaté, le porte-parole du MPCI, la «branche politique» des rebelles. Et Louis Dakoury-Tabley, autre porte-parole du MPCI, de préciser, sur les antennes de la télévision du Burkina Faso: «L’objectif n’était pas de faire avancer une négociation… Pour parler d’une paix profonde et durable, ce n’est pas deux ou trois jours qu’il faut, ou bien des astuces…».
Bref, du côté des rebelles, on joue plus que jamais la montre. Et pour cause. Contrôler le nord du pays et mettre en place ne serait-ce qu’un semblant d’administration n’est pas une affaire de jours ni de semaines. Pour l’heure, les rebelles doivent se contenter de sillonner les routes et les centres ville dans des 4x4 presque flambants neuf d’origine officiellement inconnue et de faire régner un certain ordre, grâce à d’innombrables armes individuelles et à de nombreuses mitrailleuses, voire à quelques «orgues de Staline», mais aussi à des exécutions sommaires de "corps habillés" et de soi-disant "voleurs". Certes, les nuages de poussière et les rafales de mitraillette ne peuvent faire illusion. Faute de pierres précieuses ou de puits de pétrole, le contrôle du nord du pays, enclavé et peu peuplé, n‘intéresse presque personne. Mais, pour les rebelles, c’est une base arrière indispensable pour peser dans de futurs bras de fer diplomatiques autour du pouvoir réel en Côte d’Ivoire: des confrontations qui, bien entendu, se tiendront après les préliminaires de Lomé, destinés à faire gagner du temps précieux et à tisser de nouvelles alliances, notamment dans la région.
La crise a changé de nature
Du côté du gouvernement central, par contre, le temps est nécessairement compté. La délégation dirigée par Laurent Dona Fologo a vite concédé des broutilles catégorielles à des mutins qui n’avaient de compte à solder qu’avec Robert Gueï -pas avec Gbagbo- avec lequel ils avaient pris le pouvoir le jour de Noël de 1999, avant de se fâcher à plusieurs reprises à l’approche des élections présidentielles d’octobre 2000.
Mais lorsque les jeunes leaders en treillis des «Zinzin», «Bahéfoués» , «Camorra» ou «Cosa Nostra» que l’on retrouve aujourd’hui à Bouaké, à Séguéla ou à Korhogo ont monté les enchères et commencé à parler de «revendications politiques», la crise ivoirienne a changé de nature. Et Laurent Gbagbo ne pouvait donc que refuser d’être mis sur le même plan que des insurgés qui, pour régler des vieux comptes dont il n’est guère responsable, n’hésitaient pas à faire sécession et plongeaient le pays -et la région- dans un état de guerre larvée qui le(s) rapproche(nt) dangereusement du sort peu enviable du Liberia ou du Sierra Léone. Avec les complicités avérées que l’on connaît et alors que Laurent Gbagbo avait été élu, certes dans des «circonstances calamiteuses», mais démocratiquement, en octobre 2000; avant que son parti, le FPI, ne gagne aucune des élections successives. Ce qui confirme que la Côte d’Ivoire était bel et bien engagée dans la transition vers la démocratie, en dépit du putsch de Noël 1999 et de toutes les crises qu’elle a connues depuis.
Aujourd’hui, entrer dans une négociation sans fin portant, par exemple, sur la reforme du droit foncier ou l’arrêt du processus d’identification des Ivoiriens et des non-Ivoiriens, comme le réclament désormais la rébellion et le président du Burkina, signifie replonger le pays en arrière. Cela remettrait en cause les (rares) bases fondamentales que la Côte d’Ivoire a su mettre en place ces dernières années, avec l’apport de toutes les composantes politiques et en dépit des arrière-pensées des uns comme des autres. Et surtout elle a commencé à résoudre l’épineuse question des étrangers (plus d’un quart de ses habitants).
Les non-dits comptent beaucoup et les ambiguïtés pèsent lourd actuellement en Côte d’Ivoire. Les rebelles ont été presque obligés de se doter d’un «parti», le MPCI, lorsqu’ils se sont aperçus que celui d’Alassane Ouattara, le RDR, ne pouvait -ou ne voulait- les suivre jusqu’au bout. Ainsi, même si aujourd’hui le MPCI demeure passablement virtuel, demain il risque de gêner considérablement le RDR, car ils partagent les mêmes revendications et la même implantation. De plus, la position du RDR semble tout simplement intenable: trois de ses ministres siègent toujours (théoriquement?) dans le gouvernement d’union nationale issu du Forum de réconciliation. Tandis qu’Alassane Ouattara continue de séjourner à la résidence de l’ambassadeur de France, après avoir failli être exécuté par des gendarmes relevant de ce même gouvernement. Le résultat est là: le RDR est aujourd'hui divisé, et certains leaders vont jusqu'à dénoncer en public la "complicité" de leur président avec la rébellion.
Du côté du pouvoir central, le danger représenté par les ultras est considérable. Des jusqu’au-boutistes rêvent toujours d’en découdre avec les rebelles, mais ils oublient qu’ils sont bien armés, et qu’ils ne manquent pas de soutiens dans la région ni d’officiers supérieurs pour les diriger; même si ces derniers continuent de se cacher, tout en restant en constant contact téléphonique depuis l’Europe ou les pays voisins.
Certes, la rébellion a été empêchée de s’installer à Abidjan, aux premières heures de la mutinerie. Des hélicoptères très performants d’origine russe ont paradé ces derniers temps du côté des lagunes et les «Brigades Rouges» de Laurent Boka Yapi (lui aussi un ancien de la junte de Robert Gueï) pourraient rejoindre sous peu les FANCI. Mais la guerre qui prévaut aujourd’hui en Côte d’Ivoire est atypique: elle ne se gagnera sans doute pas uniquement les armes à la main. La légitimité politique du régime dépend désormais de sa capacité de faire régner un ordre démocratique de plus en plus menacé par des enlèvements et des exécutions extrajudiciaires, notamment à Abidjan. Mais aussi de sa volonté de faire passer un message politique non partisan, tout en restant intransigeant sur l’unité du pays et l’indispensable désarmement des insurgés prévu par les accords d’Accra, avant tout dialogue politique.
Bref, du côté des rebelles, on joue plus que jamais la montre. Et pour cause. Contrôler le nord du pays et mettre en place ne serait-ce qu’un semblant d’administration n’est pas une affaire de jours ni de semaines. Pour l’heure, les rebelles doivent se contenter de sillonner les routes et les centres ville dans des 4x4 presque flambants neuf d’origine officiellement inconnue et de faire régner un certain ordre, grâce à d’innombrables armes individuelles et à de nombreuses mitrailleuses, voire à quelques «orgues de Staline», mais aussi à des exécutions sommaires de "corps habillés" et de soi-disant "voleurs". Certes, les nuages de poussière et les rafales de mitraillette ne peuvent faire illusion. Faute de pierres précieuses ou de puits de pétrole, le contrôle du nord du pays, enclavé et peu peuplé, n‘intéresse presque personne. Mais, pour les rebelles, c’est une base arrière indispensable pour peser dans de futurs bras de fer diplomatiques autour du pouvoir réel en Côte d’Ivoire: des confrontations qui, bien entendu, se tiendront après les préliminaires de Lomé, destinés à faire gagner du temps précieux et à tisser de nouvelles alliances, notamment dans la région.
La crise a changé de nature
Du côté du gouvernement central, par contre, le temps est nécessairement compté. La délégation dirigée par Laurent Dona Fologo a vite concédé des broutilles catégorielles à des mutins qui n’avaient de compte à solder qu’avec Robert Gueï -pas avec Gbagbo- avec lequel ils avaient pris le pouvoir le jour de Noël de 1999, avant de se fâcher à plusieurs reprises à l’approche des élections présidentielles d’octobre 2000.
Mais lorsque les jeunes leaders en treillis des «Zinzin», «Bahéfoués» , «Camorra» ou «Cosa Nostra» que l’on retrouve aujourd’hui à Bouaké, à Séguéla ou à Korhogo ont monté les enchères et commencé à parler de «revendications politiques», la crise ivoirienne a changé de nature. Et Laurent Gbagbo ne pouvait donc que refuser d’être mis sur le même plan que des insurgés qui, pour régler des vieux comptes dont il n’est guère responsable, n’hésitaient pas à faire sécession et plongeaient le pays -et la région- dans un état de guerre larvée qui le(s) rapproche(nt) dangereusement du sort peu enviable du Liberia ou du Sierra Léone. Avec les complicités avérées que l’on connaît et alors que Laurent Gbagbo avait été élu, certes dans des «circonstances calamiteuses», mais démocratiquement, en octobre 2000; avant que son parti, le FPI, ne gagne aucune des élections successives. Ce qui confirme que la Côte d’Ivoire était bel et bien engagée dans la transition vers la démocratie, en dépit du putsch de Noël 1999 et de toutes les crises qu’elle a connues depuis.
Aujourd’hui, entrer dans une négociation sans fin portant, par exemple, sur la reforme du droit foncier ou l’arrêt du processus d’identification des Ivoiriens et des non-Ivoiriens, comme le réclament désormais la rébellion et le président du Burkina, signifie replonger le pays en arrière. Cela remettrait en cause les (rares) bases fondamentales que la Côte d’Ivoire a su mettre en place ces dernières années, avec l’apport de toutes les composantes politiques et en dépit des arrière-pensées des uns comme des autres. Et surtout elle a commencé à résoudre l’épineuse question des étrangers (plus d’un quart de ses habitants).
Les non-dits comptent beaucoup et les ambiguïtés pèsent lourd actuellement en Côte d’Ivoire. Les rebelles ont été presque obligés de se doter d’un «parti», le MPCI, lorsqu’ils se sont aperçus que celui d’Alassane Ouattara, le RDR, ne pouvait -ou ne voulait- les suivre jusqu’au bout. Ainsi, même si aujourd’hui le MPCI demeure passablement virtuel, demain il risque de gêner considérablement le RDR, car ils partagent les mêmes revendications et la même implantation. De plus, la position du RDR semble tout simplement intenable: trois de ses ministres siègent toujours (théoriquement?) dans le gouvernement d’union nationale issu du Forum de réconciliation. Tandis qu’Alassane Ouattara continue de séjourner à la résidence de l’ambassadeur de France, après avoir failli être exécuté par des gendarmes relevant de ce même gouvernement. Le résultat est là: le RDR est aujourd'hui divisé, et certains leaders vont jusqu'à dénoncer en public la "complicité" de leur président avec la rébellion.
Du côté du pouvoir central, le danger représenté par les ultras est considérable. Des jusqu’au-boutistes rêvent toujours d’en découdre avec les rebelles, mais ils oublient qu’ils sont bien armés, et qu’ils ne manquent pas de soutiens dans la région ni d’officiers supérieurs pour les diriger; même si ces derniers continuent de se cacher, tout en restant en constant contact téléphonique depuis l’Europe ou les pays voisins.
Certes, la rébellion a été empêchée de s’installer à Abidjan, aux premières heures de la mutinerie. Des hélicoptères très performants d’origine russe ont paradé ces derniers temps du côté des lagunes et les «Brigades Rouges» de Laurent Boka Yapi (lui aussi un ancien de la junte de Robert Gueï) pourraient rejoindre sous peu les FANCI. Mais la guerre qui prévaut aujourd’hui en Côte d’Ivoire est atypique: elle ne se gagnera sans doute pas uniquement les armes à la main. La légitimité politique du régime dépend désormais de sa capacité de faire régner un ordre démocratique de plus en plus menacé par des enlèvements et des exécutions extrajudiciaires, notamment à Abidjan. Mais aussi de sa volonté de faire passer un message politique non partisan, tout en restant intransigeant sur l’unité du pays et l’indispensable désarmement des insurgés prévu par les accords d’Accra, avant tout dialogue politique.
par Elio Comarin
Article publié le 21/11/2002