Sida
Chine : la lutte s’organise
Aucune donnée statistique ne rend compte du nombre de malades en Chine. Officiellement, le gouvernement reconnaît un million de cas de séropositivité. Dans son dernier rapport, Onusida fait état de dix millions de personnes infectés en 2010. Considérée par Pékin comme maladie à enregistrement obligatoire, le sida n’est pas une maladie comme les autres en Chine. Stigmatisés, les malades, ne trouvent pas de relais pour accéder à l’information. La Chine n’a toujours pas décider l’accès généralisé aux traitements. La lutte dans le pays s’organise pas à pas, notamment grâce à l’arrivée de professionnels internationaux.
De notre envoyée spéciale à Pékin
«C’est la première fois qu’un journaliste occidental nous rend visite. Vos messages en occident sont primordiales pour notre bataille contre la maladie ici».
Au rez-de-chaussée d’un hôpital général dans le centre de Pékin, au bout d’un long couloir gris, sans fenêtres, le Docteur Zheng Zhiwei montre son service comme s’il s’agissait d’un trésor. Cet expert épidémiologiste est le père de la première consultation hot line anonyme et gratuite de Chine. Elu secrétaire général de l’Association pékinoise de Prévention et de contrôle du VIH, le Dr Zhiwei a vu son projet aboutir il y a six mois. Aujourd’hui, l’association travaille sur un unique ordinateur enrichi de plusieurs répondeurs automatiques. «Pour le moment, nous n’avons que ce poste, mais regardez derrière vous, vous voyez ? Dans les cartons, là, d’autres ordinateurs sont prévus pour agrandir notre réseau de connexion». Son collaborateur, Hun, vient chaque jour de la semaine, dans cette petite salle éclairée au néon, de treize à seize heures. Trois grandes tâches lui incombent. D’abord assurer la permanence téléphonique, puis recueillir les informations et les classer sur un fichier informatique. Ce vendredi, à quinze heures, il a déjà traité trente appels. La plupart, cet après-midi, portaient sur l’infection.
«L’inquiétude du jeune homme, que je viens d’avoir au bout du fil, était de savoir combien de temps dure la période d’invisibilité du virus du sida dans le sang, une fois que l’on est infecté. Je lui ai expliqué qu’il peut rester indétectable entre deux à six semaines. En tant que conseiller, mon rôle est de lui dire d’attendre ce délai, en fonction de sa prise de risque, sexuelle, ou liée à une injection de drogue par intraveineuse. Je lui ai demandé ensuite où il habite et je lui ai indiqué l’hôpital le plus proche de chez lui pour aller se faire tester. C’est important, pour qu’il sache si oui ou non, s’il est séropositif».
Le numéro d’information hot line figure dans la presse jeune. Les deux tiers des appelants sont des hommes qui ont pris des risques lors de rapports hétérosexuels. Hun reçoit aussi des appels de prostitués en provenance des quartiers chauds de la capitale. Depuis l’ouverture de la ligne, il a fait évoluer sa méthode de questionnement. Hun ne demande plus l’âge ou la profession en début de conversation, mais plutôt à la fin, après avoir répondu à la problématique de son interlocuteur. Pour éviter de se faire identifier et donc localiser dans la ville, certaines conversations coupaient court, il était alors impossible de rappeler le numéro. Etre séropositif aujourd’hui à Pékin ne présente pourtant pas de risques d’arrestations. La police du Parti Communiste au pouvoir n’arrête pas les malades. Elle s’en prend en revanche, aux toxicomanes. L’injection de la drogue constitue l’un des moyens de contamination et de transmission du sida les plus répandus.
Les premiers cas de sida en Chine ont été enregistrés en 1989, dans le sud-ouest du pays, dans la province du Yunnan. La proximité avec le triangle d’or, et les pays trafiquants de drogue comme la Birmanie, le Laos, le Vietnam, l’Inde, la Thaïlande, a fait flambé l’épidémie parmi les toxicomanes. Le Docteur Yann Gori, du bureau d’Onusida à Pékin, dessine sur une carte la ligne de l’épidémie. «C’est indiscutable, dit-il, la maladie suit la route de la drogue dans cette province du Yunnan et au-dessus, également, dans la région du Sichuan, qui touche le Tibet pour remonter jusqu’au Xinjiang».
Aujourd’hui, dans ces provinces, les taux de contaminations parmi les drogués avoisinent les 80%. L’échange de seringue entre usagers de drogue a fait flamber l’épidémie. C’est une catastrophe. Ce sont des gens marginalisés, hais par la société, qui n’ont pas accès aux traitements. Le danger de les laisser dans la rue est double puisqu’ils contaminent non seulement les autres drogués mais aussi la population générale, via les rapports sexuels et les actes de prostitution.
L'information sur le préservatif est incompatible avec les traditions
Les autorités du Yunnan ont compris la gravité de la situation. Elles ont autorisé l’installation d’un Centre de désintoxication américano-chinois dans le centre ville de Kunming, la capitale provinciale. Quatre-vingt dix toxicomanes y sont soignés en vue d’un sevrage définitif. Basé sur une méthode américaine, les résidents doivent organiser leur vie quotidienne. Ils préparent eux-mêmes les repas, pris collectivement. Des appareils de gymnastique, quelques tables de billards et une télévision occupent le dernier étage de l’immeuble. Une grille d’acier séparant l’entrée principale du bâtiment, des chambres des patients. Un test de dépistage du sida a lieu au moment de l’admission, au troisième étage, celui réservé aux soins que nous n’aurons pas l’autorisation de visiter. Aucune relation sexuelle à l’intérieur du bâtiment n’est permise, sous peine de renvoi immédiat. L’information sur le VIH est donnés au personnels encadrant comme aux résidents.
Xinia, toxicomane de trente ans, accepte de parler de sa vie. Elle se sait séropositive, mais lorsqu’elle a été infectée, elle ne connaissait pas les mode de transmission du sida. Elle les a appris grâce aux cours de prévention, dans le Centre. «Je sais maintenant que le virus s’attrape par le sexe ou par le sang, et dans le cas d’une femme enceinte, par l’accouchement. Moi, j’ai commencé à m’injecter de l’héroïne, à l’âge de quatorze ans. Au début c’était pour voir, comme ça, avec les copains. Et puis, ça a été le cercle vicieux, je n’ai pas pu m’en passer. J’ai abandonné mon travail et je suis allée travailler dans la rue. Ma famille en a eu marre de moi. La société aussi. Oui, je connais des filles comme moi, des prostitués, qui n’utilisent pas le préservatif. Si je suis là aujourd’hui, c’est pour me désintoxiquer.»
Aucun résident ne recevra de médicaments contre le sida. A défaut de molécules disponibles, l’information reste le seul moyen de prévention contre la maladie. A leur sortie, cinquante pour cent des résidents retombent dans la drogue. Malgré le taux de rechute, les responsables sociaux du Centre Daytop continuent leur lutte. L’année prochaine, à Kunming, une autre association américaine débutera ses programmes. Le PSI, Population Services International, veut étendre l’information et la vente de préservatifs à bas prix en coopérant avec les industriels. C’est le principe du Social Marketing. La méthode repose sur une idée simple: pourquoi trouve t-on dans les villages les plus reculés d’Afrique des bouteilles de Coca Cola, consommées et très attendues par les villageois ? La question est posée par Niel Boisen, fondateur du PSI en Chine.
Ce Canadien, d’une cinquantaine d’année, explique l’investissement de la multinationale en boisson, dans le transport et les plus-values basées sur la publicité et l’image liée à la consommation du produit. «Nous ferons pareil que Coca mais avec un autre produit. Ce ne sera pas une cannette, mais un préservatif. En tant que chef de projet, j’ai installé des partenariats avec des fabricants de préservatifs dans plusieurs pays d’Afrique australe et d’Asie. Je peux vous dire que ça marche. Je veux arriver à créer une mode du préservatif. Celui qui ne portera pas le bout de caoutchouc, sera comme celui qui ne boit pas de coca-cola, un has been, quelqu’un de démodé».
Niel Boisen reste confiant malgré les délais administratifs qui font reculer chaque semaine, la mise en route de ces programmes. Les acteurs de la lutte contre le sida en Chine paraissent néanmoins fatigués. Les démarches ne se comptent pas en jours, mais en mois voir en années, reconnaît le Docteur Yann Gori, dans son bureau d’Onusida à Pékin. En poste depuis huit ans en Chine, ce médecin regrette l’inertie du gouvernement, et préfère parler de ses interlocuteurs au ministère de la Santé. «Il y a des gens sensibles à la question du sida au ministère, mais ce n’est malheureusement pas le ministère qui décide des budgets alloués à la lutte contre l’épidémie. Mais ça vient. La Chine vient de demander de l’argent au Fond Global de Solidarité contre le sida, la tuberculose et la malaria».
Dans les coulisses du Parti National au pouvoir, le projet d’autoriser la fabrication industrielle de médicaments génériques anti-rétroviraux en Chine se fait de plus en plus pressante. La ville de Shangai possède déjà la matière première, qu’elle exporte en Asie et dans le monde sans en faire bénéficier le peuple chinois. L’Organisation Médecins Sans Frontières, a reçu du gouvernement chinois une demande de conseils pour les différents protocoles en matière de médicaments génériques. Mais pour le moment, les cadres du parti à Pékin, n’ont toujours pas pris la décision officielle de fabriquer des molécules. Tout en regrettant cette lenteur, le Docteur Gori, fait confiance à la vitalité chinoise une fois les processus décidés, validés et lancés. «Il ne faut pas oublier que la Chine a une histoire de cinq mille ans, dit-il, tout ce qui concerne les grandes orientations, quelque soit le domaine d’application, se prennent sur une échelle de temps souvent incompréhensibles pour des occidentaux. N’oubliez pas que la Chine est grande comme dix-huit fois la France et qu’elle compte un milliard et trois cent millions habitants, la plupart sont paysans et pauvres».
Dans les faits, la population serait bien plus importante. Etant donné l’absence de recensement officiel, il est impossible de vérifier aujourd’hui le nombre exact de migrants et de famille à plus d’un enfant qui modifieraient les statistiques. Chaque ville en Chine, est traversée par des milliers de travailleurs frontaliers. Ce mouvement quotidien et incessant dans le pays constitue également un risque de contamination majeur. Les bordels pour les routiers, le long des voies principales de communication, restent difficiles d’accès pour des acteurs sociaux. Tout le monde se méfie de tout le monde. Et à fortiori des occidentaux. Le Docteur Gori, un Luxembourgeois de souche, a lui-même renoncé à se rendre avec son équipe chinoise dans les grottes du Guangxi. D’anciens abris de la guerre sino-japonaises réaménagées en trafic de femmes et de drogue, près de la frontière Vietnamienne. Le projet devait aboutir à des messages de prévention auprès des populations à risque. Aucun rapport n’a été publié sur l’enquête, seul le lieu est mentionné comme principale source de contamination. En Chine, l’information sur le préservatif n’est pas compatible avec les traditions.
Femme épidémiologiste, le Docteur Gang Fen travaille auprès de la population féminine de Pékin. Lorsqu’elle tente de questionner ses patientes sur leur mode de vie, la fréquence de leur rapports sexuels avec leur mari, elle se voit taxer d’agent de police et essuie de nombreux refus. «Pour avoir des informations sur les habitudes sexuelles en Chine, dit-elle, il faut plusieurs mois de rencontres. J’essaie d’instaurer une relation durable pour gagner l’amitié des femmes. Sans la confiance, vous n’obtiendrez jamais rien».
Le Docteur Gang Fen n’aurait jamais parlé à une journaliste. Si elle a accepté de livrer son expérience, c’est grâce au soutien du Docteur Gori. Ce dernier, un ami du Docteur Fen, nous a fait passer pour étudiant le sida à l’Université de Paris. Chaque membre d’association contre le sida se sait surveillé et écouté par la police. En août dernier, l’arrestation pour divulgation de secrets d’Etat du militant Wan Yanhai a réveillé la mise en garde des associations de lutte. Charlie, hémophile, contaminé à l’âge de dix-neuf ans lors d’une transfusion sanguine à l’hôpital, a monté une association d’aide aux malades dans le Centre de Pékin. Ce jeune homme émacié, indique qu’ici, la capote est considéré comme un outil de contraception et pas du tout comme un moyen de protection contre une maladie. A l’instar du Docteur Gori, il pense pouvoir faire évoluer les mentalités, mais il faudra beaucoup de temps.
Charlie a eu l’opportunité de rencontrer Kofi Annan, en octobre dernier, lors de son passage dans la capitale chinoise. Le Secrétaire Général des Nations unies, qui avait cité le sida dans son discours officiel, s’est montré sensible à la venue de Charlie, et à sa demande d’accès aux médicaments. Un mois après son passage à la télévision nationale en en compagnie de Kofi Annan, Charlie parle des difficultés à vivre son quotidien. La stigmatisation dont il est victime lorsqu’il va dans des villages, loin de la capitale. Beaucoup de paysans en zone rurale ne connaissent pas le sida. Mais lorsqu’ils savent ce qu’est la maladie, ils considèrent les malades comme des prostitués ou des gens qui ont mal agi et qui sont punis aujourd’hui de leurs mauvaises actions d’hier.
Malgré les alarmes internationales, le gouvernement chinois n’a pas toujours pas reconnu le sida comme frein économique du pays. La demande chinoise au Fond Global de Solidarité cette année a été purement et simplement refusée pour cause de non engagement politique dans la lutte contre le sida. Depuis l’été dernier, le gouvernement tente de rassurer les bailleurs de fonds. La presse du Parti et le China Daily, le quotidien le plus lu par les anglophones en Chine publient les promesses du ministère de la Santé. L’un des derniers articles annonce l’arrivée de traitements dans la province du Henan. Une région au cœur de la Chine où un million de paysans infectés à la suite de transfusions sont en train de mourir dans une solitude absolue. Interdite à toutes organisation internationale, comme à tout citoyen du pays, le Hunan fait figure aujourd’hui d’îlot entièrement contaminé.
Si la question du sida est aussi délicate à aborder dans le pays, c’est avant tout à cause du scandale des ventes de sang dans cette province. Les collectes de plasma, avec accompagnées de réinjections de sang s’y sont déroulées durant les années quatre-vingts, pendant lesquelles les autorités chinoises ont pris connaissance des risques de sida. «Depuis, aucune mesure de sécurité sanitaire ou de santé publique n’a été décrétée. Les paysans meurent chaque jour. Personne ne sait combien, tout ce que je peux vous dire, explique le Docteur Hang, revenu de mission spéciale au Henan, c’est qu’ils sont dans un état de pauvreté inimaginable et qu’ils se savent abandonnés».
«C’est la première fois qu’un journaliste occidental nous rend visite. Vos messages en occident sont primordiales pour notre bataille contre la maladie ici».
Au rez-de-chaussée d’un hôpital général dans le centre de Pékin, au bout d’un long couloir gris, sans fenêtres, le Docteur Zheng Zhiwei montre son service comme s’il s’agissait d’un trésor. Cet expert épidémiologiste est le père de la première consultation hot line anonyme et gratuite de Chine. Elu secrétaire général de l’Association pékinoise de Prévention et de contrôle du VIH, le Dr Zhiwei a vu son projet aboutir il y a six mois. Aujourd’hui, l’association travaille sur un unique ordinateur enrichi de plusieurs répondeurs automatiques. «Pour le moment, nous n’avons que ce poste, mais regardez derrière vous, vous voyez ? Dans les cartons, là, d’autres ordinateurs sont prévus pour agrandir notre réseau de connexion». Son collaborateur, Hun, vient chaque jour de la semaine, dans cette petite salle éclairée au néon, de treize à seize heures. Trois grandes tâches lui incombent. D’abord assurer la permanence téléphonique, puis recueillir les informations et les classer sur un fichier informatique. Ce vendredi, à quinze heures, il a déjà traité trente appels. La plupart, cet après-midi, portaient sur l’infection.
«L’inquiétude du jeune homme, que je viens d’avoir au bout du fil, était de savoir combien de temps dure la période d’invisibilité du virus du sida dans le sang, une fois que l’on est infecté. Je lui ai expliqué qu’il peut rester indétectable entre deux à six semaines. En tant que conseiller, mon rôle est de lui dire d’attendre ce délai, en fonction de sa prise de risque, sexuelle, ou liée à une injection de drogue par intraveineuse. Je lui ai demandé ensuite où il habite et je lui ai indiqué l’hôpital le plus proche de chez lui pour aller se faire tester. C’est important, pour qu’il sache si oui ou non, s’il est séropositif».
Le numéro d’information hot line figure dans la presse jeune. Les deux tiers des appelants sont des hommes qui ont pris des risques lors de rapports hétérosexuels. Hun reçoit aussi des appels de prostitués en provenance des quartiers chauds de la capitale. Depuis l’ouverture de la ligne, il a fait évoluer sa méthode de questionnement. Hun ne demande plus l’âge ou la profession en début de conversation, mais plutôt à la fin, après avoir répondu à la problématique de son interlocuteur. Pour éviter de se faire identifier et donc localiser dans la ville, certaines conversations coupaient court, il était alors impossible de rappeler le numéro. Etre séropositif aujourd’hui à Pékin ne présente pourtant pas de risques d’arrestations. La police du Parti Communiste au pouvoir n’arrête pas les malades. Elle s’en prend en revanche, aux toxicomanes. L’injection de la drogue constitue l’un des moyens de contamination et de transmission du sida les plus répandus.
Les premiers cas de sida en Chine ont été enregistrés en 1989, dans le sud-ouest du pays, dans la province du Yunnan. La proximité avec le triangle d’or, et les pays trafiquants de drogue comme la Birmanie, le Laos, le Vietnam, l’Inde, la Thaïlande, a fait flambé l’épidémie parmi les toxicomanes. Le Docteur Yann Gori, du bureau d’Onusida à Pékin, dessine sur une carte la ligne de l’épidémie. «C’est indiscutable, dit-il, la maladie suit la route de la drogue dans cette province du Yunnan et au-dessus, également, dans la région du Sichuan, qui touche le Tibet pour remonter jusqu’au Xinjiang».
Aujourd’hui, dans ces provinces, les taux de contaminations parmi les drogués avoisinent les 80%. L’échange de seringue entre usagers de drogue a fait flamber l’épidémie. C’est une catastrophe. Ce sont des gens marginalisés, hais par la société, qui n’ont pas accès aux traitements. Le danger de les laisser dans la rue est double puisqu’ils contaminent non seulement les autres drogués mais aussi la population générale, via les rapports sexuels et les actes de prostitution.
L'information sur le préservatif est incompatible avec les traditions
Les autorités du Yunnan ont compris la gravité de la situation. Elles ont autorisé l’installation d’un Centre de désintoxication américano-chinois dans le centre ville de Kunming, la capitale provinciale. Quatre-vingt dix toxicomanes y sont soignés en vue d’un sevrage définitif. Basé sur une méthode américaine, les résidents doivent organiser leur vie quotidienne. Ils préparent eux-mêmes les repas, pris collectivement. Des appareils de gymnastique, quelques tables de billards et une télévision occupent le dernier étage de l’immeuble. Une grille d’acier séparant l’entrée principale du bâtiment, des chambres des patients. Un test de dépistage du sida a lieu au moment de l’admission, au troisième étage, celui réservé aux soins que nous n’aurons pas l’autorisation de visiter. Aucune relation sexuelle à l’intérieur du bâtiment n’est permise, sous peine de renvoi immédiat. L’information sur le VIH est donnés au personnels encadrant comme aux résidents.
Xinia, toxicomane de trente ans, accepte de parler de sa vie. Elle se sait séropositive, mais lorsqu’elle a été infectée, elle ne connaissait pas les mode de transmission du sida. Elle les a appris grâce aux cours de prévention, dans le Centre. «Je sais maintenant que le virus s’attrape par le sexe ou par le sang, et dans le cas d’une femme enceinte, par l’accouchement. Moi, j’ai commencé à m’injecter de l’héroïne, à l’âge de quatorze ans. Au début c’était pour voir, comme ça, avec les copains. Et puis, ça a été le cercle vicieux, je n’ai pas pu m’en passer. J’ai abandonné mon travail et je suis allée travailler dans la rue. Ma famille en a eu marre de moi. La société aussi. Oui, je connais des filles comme moi, des prostitués, qui n’utilisent pas le préservatif. Si je suis là aujourd’hui, c’est pour me désintoxiquer.»
Aucun résident ne recevra de médicaments contre le sida. A défaut de molécules disponibles, l’information reste le seul moyen de prévention contre la maladie. A leur sortie, cinquante pour cent des résidents retombent dans la drogue. Malgré le taux de rechute, les responsables sociaux du Centre Daytop continuent leur lutte. L’année prochaine, à Kunming, une autre association américaine débutera ses programmes. Le PSI, Population Services International, veut étendre l’information et la vente de préservatifs à bas prix en coopérant avec les industriels. C’est le principe du Social Marketing. La méthode repose sur une idée simple: pourquoi trouve t-on dans les villages les plus reculés d’Afrique des bouteilles de Coca Cola, consommées et très attendues par les villageois ? La question est posée par Niel Boisen, fondateur du PSI en Chine.
Ce Canadien, d’une cinquantaine d’année, explique l’investissement de la multinationale en boisson, dans le transport et les plus-values basées sur la publicité et l’image liée à la consommation du produit. «Nous ferons pareil que Coca mais avec un autre produit. Ce ne sera pas une cannette, mais un préservatif. En tant que chef de projet, j’ai installé des partenariats avec des fabricants de préservatifs dans plusieurs pays d’Afrique australe et d’Asie. Je peux vous dire que ça marche. Je veux arriver à créer une mode du préservatif. Celui qui ne portera pas le bout de caoutchouc, sera comme celui qui ne boit pas de coca-cola, un has been, quelqu’un de démodé».
Niel Boisen reste confiant malgré les délais administratifs qui font reculer chaque semaine, la mise en route de ces programmes. Les acteurs de la lutte contre le sida en Chine paraissent néanmoins fatigués. Les démarches ne se comptent pas en jours, mais en mois voir en années, reconnaît le Docteur Yann Gori, dans son bureau d’Onusida à Pékin. En poste depuis huit ans en Chine, ce médecin regrette l’inertie du gouvernement, et préfère parler de ses interlocuteurs au ministère de la Santé. «Il y a des gens sensibles à la question du sida au ministère, mais ce n’est malheureusement pas le ministère qui décide des budgets alloués à la lutte contre l’épidémie. Mais ça vient. La Chine vient de demander de l’argent au Fond Global de Solidarité contre le sida, la tuberculose et la malaria».
Dans les coulisses du Parti National au pouvoir, le projet d’autoriser la fabrication industrielle de médicaments génériques anti-rétroviraux en Chine se fait de plus en plus pressante. La ville de Shangai possède déjà la matière première, qu’elle exporte en Asie et dans le monde sans en faire bénéficier le peuple chinois. L’Organisation Médecins Sans Frontières, a reçu du gouvernement chinois une demande de conseils pour les différents protocoles en matière de médicaments génériques. Mais pour le moment, les cadres du parti à Pékin, n’ont toujours pas pris la décision officielle de fabriquer des molécules. Tout en regrettant cette lenteur, le Docteur Gori, fait confiance à la vitalité chinoise une fois les processus décidés, validés et lancés. «Il ne faut pas oublier que la Chine a une histoire de cinq mille ans, dit-il, tout ce qui concerne les grandes orientations, quelque soit le domaine d’application, se prennent sur une échelle de temps souvent incompréhensibles pour des occidentaux. N’oubliez pas que la Chine est grande comme dix-huit fois la France et qu’elle compte un milliard et trois cent millions habitants, la plupart sont paysans et pauvres».
Dans les faits, la population serait bien plus importante. Etant donné l’absence de recensement officiel, il est impossible de vérifier aujourd’hui le nombre exact de migrants et de famille à plus d’un enfant qui modifieraient les statistiques. Chaque ville en Chine, est traversée par des milliers de travailleurs frontaliers. Ce mouvement quotidien et incessant dans le pays constitue également un risque de contamination majeur. Les bordels pour les routiers, le long des voies principales de communication, restent difficiles d’accès pour des acteurs sociaux. Tout le monde se méfie de tout le monde. Et à fortiori des occidentaux. Le Docteur Gori, un Luxembourgeois de souche, a lui-même renoncé à se rendre avec son équipe chinoise dans les grottes du Guangxi. D’anciens abris de la guerre sino-japonaises réaménagées en trafic de femmes et de drogue, près de la frontière Vietnamienne. Le projet devait aboutir à des messages de prévention auprès des populations à risque. Aucun rapport n’a été publié sur l’enquête, seul le lieu est mentionné comme principale source de contamination. En Chine, l’information sur le préservatif n’est pas compatible avec les traditions.
Femme épidémiologiste, le Docteur Gang Fen travaille auprès de la population féminine de Pékin. Lorsqu’elle tente de questionner ses patientes sur leur mode de vie, la fréquence de leur rapports sexuels avec leur mari, elle se voit taxer d’agent de police et essuie de nombreux refus. «Pour avoir des informations sur les habitudes sexuelles en Chine, dit-elle, il faut plusieurs mois de rencontres. J’essaie d’instaurer une relation durable pour gagner l’amitié des femmes. Sans la confiance, vous n’obtiendrez jamais rien».
Le Docteur Gang Fen n’aurait jamais parlé à une journaliste. Si elle a accepté de livrer son expérience, c’est grâce au soutien du Docteur Gori. Ce dernier, un ami du Docteur Fen, nous a fait passer pour étudiant le sida à l’Université de Paris. Chaque membre d’association contre le sida se sait surveillé et écouté par la police. En août dernier, l’arrestation pour divulgation de secrets d’Etat du militant Wan Yanhai a réveillé la mise en garde des associations de lutte. Charlie, hémophile, contaminé à l’âge de dix-neuf ans lors d’une transfusion sanguine à l’hôpital, a monté une association d’aide aux malades dans le Centre de Pékin. Ce jeune homme émacié, indique qu’ici, la capote est considéré comme un outil de contraception et pas du tout comme un moyen de protection contre une maladie. A l’instar du Docteur Gori, il pense pouvoir faire évoluer les mentalités, mais il faudra beaucoup de temps.
Charlie a eu l’opportunité de rencontrer Kofi Annan, en octobre dernier, lors de son passage dans la capitale chinoise. Le Secrétaire Général des Nations unies, qui avait cité le sida dans son discours officiel, s’est montré sensible à la venue de Charlie, et à sa demande d’accès aux médicaments. Un mois après son passage à la télévision nationale en en compagnie de Kofi Annan, Charlie parle des difficultés à vivre son quotidien. La stigmatisation dont il est victime lorsqu’il va dans des villages, loin de la capitale. Beaucoup de paysans en zone rurale ne connaissent pas le sida. Mais lorsqu’ils savent ce qu’est la maladie, ils considèrent les malades comme des prostitués ou des gens qui ont mal agi et qui sont punis aujourd’hui de leurs mauvaises actions d’hier.
Malgré les alarmes internationales, le gouvernement chinois n’a pas toujours pas reconnu le sida comme frein économique du pays. La demande chinoise au Fond Global de Solidarité cette année a été purement et simplement refusée pour cause de non engagement politique dans la lutte contre le sida. Depuis l’été dernier, le gouvernement tente de rassurer les bailleurs de fonds. La presse du Parti et le China Daily, le quotidien le plus lu par les anglophones en Chine publient les promesses du ministère de la Santé. L’un des derniers articles annonce l’arrivée de traitements dans la province du Henan. Une région au cœur de la Chine où un million de paysans infectés à la suite de transfusions sont en train de mourir dans une solitude absolue. Interdite à toutes organisation internationale, comme à tout citoyen du pays, le Hunan fait figure aujourd’hui d’îlot entièrement contaminé.
Si la question du sida est aussi délicate à aborder dans le pays, c’est avant tout à cause du scandale des ventes de sang dans cette province. Les collectes de plasma, avec accompagnées de réinjections de sang s’y sont déroulées durant les années quatre-vingts, pendant lesquelles les autorités chinoises ont pris connaissance des risques de sida. «Depuis, aucune mesure de sécurité sanitaire ou de santé publique n’a été décrétée. Les paysans meurent chaque jour. Personne ne sait combien, tout ce que je peux vous dire, explique le Docteur Hang, revenu de mission spéciale au Henan, c’est qu’ils sont dans un état de pauvreté inimaginable et qu’ils se savent abandonnés».
par Marina Mielczarek
Article publié le 29/11/2002