Afghanistan
Tunnel de Salang: «Danger d’empoisonnement»
Cent-vingt kilomètres avant Kaboul, le passage obligé du col de Salang. Cinq heures de vélo dans un paysage chaotique. Nous avons pris le temps de mériter l’Afghanistan.
Nous avons dormi dans une tchaïkhana sous la protection de quelques vieux hommes aux longues barbes blanches. Un enfant d’une dizaine d’années nous servait d’interprète. Le maître des lieux enfile les morceaux de moutons dans les brochettes sous mon regard médusé. Il nous apporte toutes les demi-heures des théières bouillantes. La nuit tombée, le propriétaire déroule des matelas minces pour ceux qui veulent rester dormir. C’est la coutume. J’essaie de me remettre d’un sérieux mal de ventre. C’est le grand jour. Au sixième jour de cette aventure afghane l’épreuve la plus redoutée se trouve à un peu plus de 40 km de là. Nous abordons la montée vers la terrifiante passe de Salang: un col à 2676 m d’altitude et en haut, un tunnel de plusieurs kilomètres de long…
Une montagne en guise de petit-déjeuner. A peine deux kilomètres de plat et nous commençons à grimper dans cet enchevêtrement sans fin de montagnes impénétrables et de virages toujours plus secs. Les sommets s’étendent à perte de vue, les flancs des montagnes ne renvoient que des images désolées de caillasse. Nos montures d’acier grincent sous nos efforts désespérés.
La route de Salang est la seule voie carrossable reliant le Nord au Sud. Nous découvrons dans cette montée les traces de la guerre entre l’Alliance du nord et les talibans. Cet axe stratégique fut un champ de bataille pendant toute la guerre. Résultat: les ponts principaux ont été bombardés, aujourd’hui encore écroulés dans la rivière; et des convois ont explosé creusant des tranchées dans le sol.
Cinq heures pour 41 kilomètres
La circulation a repris maintenant, et nous nous aventurons nous aussi au milieu de cette route défoncée. Les Afghans ont remplacé les ponts écroulés par des poutres métalliques ou de simples carcasses de chars sur lesquelles voitures et camions passent dangereusement. La route détruite n’est parfois plus qu’une simple piste de terre et de pierres trouée d’ornières profondes. La montée vers Salang se transforme vite en une épreuve de force. Nous descendons dans la rivière, naviguons entre les pierres, remontons une pente des plus raides, sans oublier les camions arrivant en face qu’il faut éviter. Mais les voitures nous doublent en nous criant des encouragements.
Arrivés presque en haut du col, nous traversons plusieurs tunnels. Bombardés, ils sont tous à demi écroulés. A l’intérieur, c’est le noir, l’enfer d’un sol détruit, défoncé, bosselé, troué, dangereux. Nous mettons cinq heures pour franchir ces 41 kilomètres de montée. J’arrive à bout de force au col, à l’entrée du tunnel de Salang, les muscles tétanisés comme poignardés par la douleur.
«Attention. Danger d’empoisonnement dans le tunnel», avertit une pancarte à l’entrée. Creusé par les Russes, ce tunnel a été largement détruit dans les combats. De trois kilomètres de long, il n’est ni éclairé ni ventilé. Nous plongeons dans un champ de ruine. Nous roulons dans des trous de 50 cm de profondeur remplis d’eau glacée, puis poussons nos vélos sur une centaine de mètres dans le noir complet. Les parois se sont par endroit écroulées, formant des blocs de pierre sur le sol, suivis d’un trou béant d’où sortent des tiges rouillées de béton armé. Après 300 mètres, nous faisons demi-tour, arrêtons une camionnette et plaçons les vélos sur le toit pour franchir ce tunnel trop dangereux. A la sortie c’est la délivrance, 40 km de descente. L’énorme bonheur d’avoir réussi à passer cette montagne. Le lendemain, nous atteignons Kaboul, encore épuisés par le souvenir de la passe de Salang, mais heureux de ce périple.
Après tous ces kilomètres au milieu des montagnes, Kaboul nous apparaît presque reposante. Un monde fou se presse dans les rues, désertes il n’y a encore pas si longtemps. L’effervescence du bazar nous réjouit et nous nous perdons plusieurs heures dans ses ruelles.
Huit mois après les talibans, presque un an après la mort de Massoud, nous avons réussi ce à quoi personne ne croyait: rouler librement en Afghanistan…
Une montagne en guise de petit-déjeuner. A peine deux kilomètres de plat et nous commençons à grimper dans cet enchevêtrement sans fin de montagnes impénétrables et de virages toujours plus secs. Les sommets s’étendent à perte de vue, les flancs des montagnes ne renvoient que des images désolées de caillasse. Nos montures d’acier grincent sous nos efforts désespérés.
La route de Salang est la seule voie carrossable reliant le Nord au Sud. Nous découvrons dans cette montée les traces de la guerre entre l’Alliance du nord et les talibans. Cet axe stratégique fut un champ de bataille pendant toute la guerre. Résultat: les ponts principaux ont été bombardés, aujourd’hui encore écroulés dans la rivière; et des convois ont explosé creusant des tranchées dans le sol.
Cinq heures pour 41 kilomètres
La circulation a repris maintenant, et nous nous aventurons nous aussi au milieu de cette route défoncée. Les Afghans ont remplacé les ponts écroulés par des poutres métalliques ou de simples carcasses de chars sur lesquelles voitures et camions passent dangereusement. La route détruite n’est parfois plus qu’une simple piste de terre et de pierres trouée d’ornières profondes. La montée vers Salang se transforme vite en une épreuve de force. Nous descendons dans la rivière, naviguons entre les pierres, remontons une pente des plus raides, sans oublier les camions arrivant en face qu’il faut éviter. Mais les voitures nous doublent en nous criant des encouragements.
Arrivés presque en haut du col, nous traversons plusieurs tunnels. Bombardés, ils sont tous à demi écroulés. A l’intérieur, c’est le noir, l’enfer d’un sol détruit, défoncé, bosselé, troué, dangereux. Nous mettons cinq heures pour franchir ces 41 kilomètres de montée. J’arrive à bout de force au col, à l’entrée du tunnel de Salang, les muscles tétanisés comme poignardés par la douleur.
«Attention. Danger d’empoisonnement dans le tunnel», avertit une pancarte à l’entrée. Creusé par les Russes, ce tunnel a été largement détruit dans les combats. De trois kilomètres de long, il n’est ni éclairé ni ventilé. Nous plongeons dans un champ de ruine. Nous roulons dans des trous de 50 cm de profondeur remplis d’eau glacée, puis poussons nos vélos sur une centaine de mètres dans le noir complet. Les parois se sont par endroit écroulées, formant des blocs de pierre sur le sol, suivis d’un trou béant d’où sortent des tiges rouillées de béton armé. Après 300 mètres, nous faisons demi-tour, arrêtons une camionnette et plaçons les vélos sur le toit pour franchir ce tunnel trop dangereux. A la sortie c’est la délivrance, 40 km de descente. L’énorme bonheur d’avoir réussi à passer cette montagne. Le lendemain, nous atteignons Kaboul, encore épuisés par le souvenir de la passe de Salang, mais heureux de ce périple.
Après tous ces kilomètres au milieu des montagnes, Kaboul nous apparaît presque reposante. Un monde fou se presse dans les rues, désertes il n’y a encore pas si longtemps. L’effervescence du bazar nous réjouit et nous nous perdons plusieurs heures dans ses ruelles.
Huit mois après les talibans, presque un an après la mort de Massoud, nous avons réussi ce à quoi personne ne croyait: rouler librement en Afghanistan…
par NICOLAS DUBOST
Article publié le 21/11/2002