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Santé

Tester les médicaments pour les vieux

La progression de l’espérance de vie constatée durant les dernières décennies entraîne un phénomène inéluctable qui va s’accentuer dans les prochaines années : le vieillissement de la population. Toutes les projections démographiques vont dans ce sens. Le XXIe siècle sera celui des vieux. Paradoxalement, cette catégorie de population est encore trop négligée, notamment dans le cadre des études cliniques sur les médicaments dont ils sont pourtant de grands consommateurs.
Chacun d’entre nous est un futur vieux, et peut-être même un futur «vieux-vieux», une manière imagée de désigner les personnes âgées de plus de 75 ans. Selon les projections des Nations unies, en 2050, plus de 10 % de la population européenne aura dépassé les 80 ans. Mais cette tendance lourde ne touche pas que les pays industrialisés même si elle y est, évidemment, plus accentuée. Globalement la population des octogénaires va passer de 13 à 137 millions d’ici 2025. Celle des personnes âgées de plus de 65 ans devrait, quant à elle, atteindre 1,5 milliard en 2050.

L’augmentation de l’espérance de vie, constatée à l’heure actuelle, est étroitement associée aux progrès de la médecine qui ont permis de faire baisser les taux de mortalité dans une catégorie de population dite «fragile», les plus vieux d’entre nous. Mais paradoxalement, les personnes âgées sont, selon Jean-Marie Vetel, gériatre du Centre hospitalier du Mans, une population «pharmacologiquement inexistante».

Celles qui sont sollicitées pour faire des essais thérapeutiques ne sont, la plupart du temps, pas vraiment représentatives de la population âgée. Peu d’entre elles ont plus de 65 ans et sont en mauvaise santé. Les autorités de régulation qui octroient, en France, les autorisations de mise sur le marché aux médicaments, ne sont pas suffisamment attentives à cet état de fait. Pour les gériatres, une spécialité médicale en pleine expansion du fait de l’augmentation de la population qu’elle prend en charge, cela pose un véritable problème. Car la mise au point de nouvelles molécules ne tient pas compte des spécificités physiologiques des patients les plus âgés.

Faire des cohortes gériatriques

«Trente-sept pour cent des ordonnances prescrites aux personnes de plus de 70 ans ne sont pas bonnes et entraînent, par exemple, des risques d’interaction médicamenteuse». Pour le docteur Jean-Marie Vetel, le fait de ne pas disposer de données sur l’efficacité et les effets indésirables des médicaments chez les personnes âgées augmente le facteur de risque dans cette population. Les effets secondaires de certaines molécules peuvent être graves, voire même entraîner un risque vital. Notamment à cause des problèmes de dosage inadapté. D’ailleurs, la plupart des accidents provoqués par des médicaments, qui parfois entraînent le retrait d’une molécule du marché, ont lieu avec des personnes âgées. Pour Etienne-Emile Baulieu, Professeur au Collège de France, la raison en est simple. L’organisme d’un patient de 75 ans ne réagit pas de la même manière à un traitement que celui d’un patient de 30 ans. Il faut donc «des médicaments spécifiques qui soient différents de ceux des jeunes».

D’autant que, très souvent, ce sont les plus âgées qui ont le plus besoin de certains traitements mais qui en tirent le moins grand bénéfice. Ainsi, 54 % des personnes de plus de 75 ans vaccinées contre la grippe l’attrapent quand même. Bien plus que dans les autres classes d’âge. Il y a donc une réelle nécessité d’étudier les aspects «pharmacodynamiques» pour savoir de quelle manière les molécules agissent sur cette population. Les antidépresseurs, qui sont de plus en plus prescrits dans les maisons de retraite, font partie des médicaments sur lesquels de telles études pourraient être très profitables. Cela permettrait peut-être de mieux gérer leur prescription et d’éviter de provoquer chez des patients âgés des états parfois proches de la démence passagère.

Cette lacune ne signifie pas pour autant que la recherche ne progresse pas dans des domaines qui concernent directement la population âgée, comme la maladie d’Alzheimer. Pour Bruno Vellas, gériatre au CHU de Toulouse, «la révolution de la longévité ne sera pas réussie sans vaincre la maladie d’Alzheimer». L’une des pistes que les chercheurs suivent actuellement tend à trouver les moyens de détecter les signes avant-coureurs de cette pathologie le plus tôt possible, pour ralentir la progression du mal. Il semble, en effet, que le processus est engagé une quinzaine d’années avant même l’apparition des premiers symptômes. Ainsi, les médecins ont noté que les patients qui se plaignent de pertes de mémoires sont souvent ceux qui ont un facteur risque de développer un Alzheimer plus élevé. Le concept de MCI (Mild Cognitive Impairment) ou trouble cognitif léger, sur lequel travaillent les chercheurs part du postulat qu’il existe «un continuum entre la plainte cognitive et le déclin cognitif». Dès qu’elle est formulée, la plainte doit donc entraîner une attention particulière pour vérifier s’il s’agit d’un «déficit mnésique isolé» ou d’un début d’Alzheimer qui va provoquer à terme un état démentiel. D’autres facteurs interviennent évidemment pour compléter le diagnostic comme les antécédents familiaux, l’alimentation, le niveau d’éducation…

Les traitements actuellement utilisés contre cette maladie ont montré leur efficacité. Ils permettent déjà de retarder ses effets de 6 mois à un an. Et l’objectif des médecins est de réussir à les repousser de 5 ans. Des traitements à base d’oestrogènes, de vitamines E, d’anti-inflammatoires, ou d’anti-hypertenseurs sont en cours d’évaluation et devraient rapidement permettre d’améliorer les résultats.



par Valérie  Gas

Article publié le 22/11/2002