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Zimbabwe

Années de plomb au pays de Mugabe

Dans la région de Bulawayo, comme dans le reste du pays, Robert Mugabe et les miliciens de son parti font régner la terreur. Six mois après va victoire constesté aux élections, le chef de l’Etat semble loin de vouloir passer la main.
«Nous savons de quoi Robert Mugabe est capable. En 1985, des villages entiers ont été forcés d’assister muets à des mutilations et des meurtres d’une brutalité hors du commun». A en croire Happy Masimela, un enseignant de Bulawayo, la seconde ville du pays, personne n’a oublié les massacres qui ont fait 20 000 morts, il y a dix-sept ans, dans le Matebeleland. La «5ème brigade», une unité spéciale formée en Corée du Nord, avait été envoyée dans cette région du Sud-Ouest, majoritairement peuplée par l’ethnie ndebele, pour étouffer toute opposition à l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (Zanu-PF), au pouvoir.

Aujourd’hui encore, la politique de Robert Mugabe est vue par le prisme de ces douloureux souvenirs. Les militants du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), un parti d’opposition qui trouve son fief à Bulawayo, estiment que Robert Mugabe n’a d’autre but, désormais, que de les écraser. Même la famine qui menace le pays, en raison de la sécheresse et de la désorganisation de l’agriculture, peut paraître préméditée. «Robert Mugabe n’a rien trouvé de mieux pour éliminer physiquement la base du MDC», affirme Neil Townsend, un fermier blanc de Bulawayo expulsé de sa quatrième et dernière ferme en septembre dernier.

Les miliciens de la Zanu-PF font la loi

Le climat politique, il est vrai, ne s’est guère apaisé depuis la victoire contestée du président sortant à la présidentielle des 9 et 10 mars derniers. Les «anciens combattants» du Zanu-PF ont poursuivi les invasions de fermes. Ils n’ont pas laissé plus de 10% des 4 500 fermiers blancs sur leurs propriétés. Les rares exploitants à avoir pu conserver au moins une ferme sont soupçonnés d’avoir payé un lourd tribut pour ce régime de faveur.

Formées par le Zanu-PF avant les élections pour intimider les électeurs et bastonner les opposants, les milices de jeunes chômeurs, elles, n’ont pas été démantelées. Zélés, leurs membres veillent au respect de l’une des dernières lois adoptées par le Zanu-PF. La mesure interdit tout geste ou commentaire au passage du cortège présidentiel. «Cette loi vise surtout les partisans du MDC», explique David Coltart, un député blanc de l’opposition à Bulawayo. Ses partisans ont en effet pris l’habitude de réagir aux sirènes du convoi présidentiel en chantant «chinja» («changement», le slogan du parti) et en saluant la main levée, emblème de l’opposition.

Plus grave, quatre députés MDC ont été assassinés depuis la dernière présidentielle. Tous les responsables de l’opposition voient peser contre eux divers chefs d’inculpation. Morgan Tsvangirai, le leader du MDC, est poursuivi pour «haute trahison», un crime passible de la peine capitale. Vidéo truquée à l’appui, la propagande du pouvoir l’a accusé, peu avant la présidentielle, d’avoir comploté en vue de l’assassinat de Robert Mugabe.

De son côté, le chef de l’Etat continue de vilipender les puissances occidentales. Réplique aux sanctions ciblées prises par les Etats-Unis et l’Union européenne (UE) contre les dirigeants du pays, un visa de 70 dollars a été imposé en novembre aux visiteurs britanniques. Au Zimbabwe, tous les regards restent tournés vers l’Afrique du Sud, qu’il s’agisse d’y émigrer ou d’en attendre une solution. La politique de Thabo Mbeki n’a pourtant pas changé. Persuadé que sa diplomatie «du silence» est la meilleure approche vis-à-vis de Robert Mugabe, le chef de l’Etat sud-africain espère des résultats. De source proche du pouvoir, à Pretoria, l’on présente comme «imminent» le dénouement suggéré par Thabo Mbeki, qui verrait Robert Mugabe démissionner sans délais en faveur d’un dauphin plus jeune issu des rangs du Zanu-PF. Seul problème : au Zimbabwe, plus personne ne croit à ce scénario depuis la réélection de Robert Mugabe, 78 ans, au pouvoir depuis 22 ans. Il ne sera pas question de succession avant les prochaines élections de 2006, a annoncé le 29 novembre un communiqué du Zanu-PF, pour mettre un terme à la rumeur.

Finalement, seule la profonde crise économique que traverse le pays pourrait avoir raison du régime Mugabe. Les pénuries de carburants ont repris, le 11 novembre, après la brouille des autorités avec leur fournisseur lybien. Faute de devises étrangères, le pays ne peut plus régler ses importations, à un moment où l’approvisionnement en céréales relève de l’urgence. Ajoutée à une inflation record de 144% depuis janvier, une croissance négative de 12% cette année a mis les ménages sous pression. Reste à savoir jusqu’où ira la patience des Zimbabwéens, pris au double piège de la peur et de la faim.



Article publié le 05/12/2002