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Zimbabwe

Un fermier blanc «heureux» au pays de Mugabe

Dans la région de Bulawayo, notre envoyée spéciale a rencontré Neil Stone, fermier blanc, l’un des rares a avoir pu conserver son exploitation dans le pays. Portrait.
De notre envoyée spéciale au Zimbabwe

Neil Stone, 60 ans, obèse, passe ses journées dans un fauteuil. Le dos tourné à la porte d’entrée de sa ferme d’Esidingo, située à 50 kilomètres au sud de Bulawayo, un téléphone dans chaque main, il donne ses consignes. Sur les 5600 hectares que sa ferme comptait autrefois, il n’en possède plus que 80. Mais cet homme est l’un des rares fermiers blancs à avoir pu conserver au moins une propriété au Zimbabwe.

Ils ne sont pas plus de 500, comme lui, sur les 4500 exploitants blancs du pays, à détenir encore quelques terres. Commencées en février 2000, les invasions se sont à nouveau accélérées en août dernier. Sans aucune forme de compensation, plus de 90% des terres cultivées par les Blancs sont désormais sous le contrôle de petits fermiers noirs, de citadins qui s’étaient portés candidats à des parcelles, mais aussi de personnalités proches du pouvoir.

Parce que son fils a gardé un ranch, lui aussi, Neil Stone est soupçonné d’avoir collaboré avec le régime Mugabe. Ou du moins d’avoir beaucoup «payé» pour son statut de privilégié. Il ne dément ni ne confirme.

Neil est membre de la Zanu-PF, le parti au pouvoir

Dans la cour de sa ferme, huit voitures et trois camions sont garés. Sous un hangar, des centaines de sacs de nourriture pour animaux ont été stockés. «Avant, nous aurions pu déplacer nos animaux pour les faire paître sur l’une de nos fermes, ou en acheter de nouvelles. Maintenant, nous sommes coincés dans ce trou. La sécheresse n’a rien à voir avec la politique. La nourriture pour les 65 purs sangs arabes et les 120 vaches laitières que nous avons encore ne vient pas des champs, mais sort tout droit des sacs transportés par camion».

Neil Stone vit dans une contradiction. Descendant de colons britanniques d’abord établis en Afrique du Sud, il est issu d’une «famille très pauvre qui ne s’est pas entendue avec les Afrikaners». Né au Zimbabwe, il fait partie des quelques Blancs à avoir participé à la lutte armée contre le régime de Ian Smith, jusqu’à l’indépendance, il y a 22 ans. Toujours membre de l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (Zanu-PF), au pouvoir, il soutient la réforme agraire.

Quitter le pays lui paraît impensable, même s’il est «dévasté» à l’idée que ses enfants ont «perdu leur avenir» et qu’il a perdu le fruit de «22 années de travail». Il ne condamne pas Robert Mugabe, même s’il est convaincu que la redistribution des terres est vouée à l’échec. «On ne peut pas donner des terres à des politiciens et s’attendre à ce qu’ils en tirent du maïs, affirme-t-il. Les autres, les petits fermiers noirs, ils auraient besoin dans cette région d’un minimum de 68 têtes de bétail par famille pour s’en tirer. Ils n’ont pas plus de 6 ou 10 vaches, qui seront vite vendues ou mangées. Ensuite, ils dépendront de la pluie pour survivre».

En 1997, dès les premiers signes d’un programme de redistribution des terres, Neil Stone a pris la menace au sérieux. Ce grand éleveur a vendu trois de ses cinq fermes et réinvesti dans le secteur minier. Aujourd’hui, il possède cinq mines d’or et diverses sociétés de distribution d’équipements miniers. Ces activités lui permettent de nourrir ses vaches et de payer ses 2000 anciens employés, qu’il affirme ne pas avoir abandonnés. Deux autres de ses fermes ont été redistribuées à de nouveaux occupants qui s’en sortent «assez bien», dit-il. S’il ne lui reste plus que sa «maison», comme il appelle son dernier ranch, il estime que les fermiers blancs du Zimbabwe ont bien mérité leur sort.

«Certains Blancs ont toujours la mentalité de la Rhodésie de Ian Smith, dit-il. Beaucoup ont une attitude raciste et se comportent comme un petit club fermé». Neil Stone reproche au Syndicat des fermiers commerciaux (CFU) de n’avoir su «ni mordre, ni aboyer», et d’avoir assisté impuissant aux invasions de fermes.

Comme la propagande du pouvoir, qui exerce tous les soirs son influence sur le journal télévisé, Neil Stone est persuadé que les problèmes du Zimbabwe viennent de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis. «Si ces deux imbéciles, George Bush et Tony Blair, avaient pu nous laisser tranquille, on aurait pu laver le linge sale en famille, affirme-t-il. Nous aurions pu négocier entre Zimbabwéens une réforme agraire sur le modèle de nos voisins. Toutes les terres auraient dû passer sous la propriété de l’Etat, les fermiers pouvant ensuite louer ou acheter par le biais de concessions. Au Botswana et en Zambie, cette formule a très bien marché».



par Sabine  Cessou

Article publié le 07/12/2002