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Irak

Washington accuse Bagdad de «violations patentes»

Le chef de la diplomatie américaine, Colin Powell, accuse l'Irak d'être en «violation patente» des résolutions de l'ONU. Selon lui, la déclaration des armements irakiens comporte de graves omissions. La France juge qu’il y a «des zones d’ombres» mais estime que les inspections doivent se poursuivre en Irak. Ce sera au Conseil de sécurité dans son ensemble de déterminer si oui ou non l'Irak a violé les résolutions de l'ONU.
De notre correspondant à New York (Nations unies)

D'une voix placide, sans crier gare, l'ambassadeur américain a prononcé hier les mots qui fâchent, au Conseil de sécurité. John Negroponte a affirmé que l'Irak est en «violation patente» des résolutions des Nations unies. En langage onusien, ces mots ont une résonance guerrière. Ils sont employés dans le cadre de la résolution 1441 récemment votée par le Conseil de sécurité pour forcer une dernière fois l'Irak à se désarmer. Le texte prévoit que si l'Irak se trouve en «violation patente» de ladite résolution, il devra faire face à de «sérieuses conséquences», c'est à dire une intervention armée. Peu après, le chef de la diplomatie américaine Colin Powell a repris le flambeau en prononçant de nouveau les «mots magiques» depuis Washington, en les accompagnant d'une menace : "Si le désarmement de l'Irak ne peut être fait pacifiquement, cela sera fait par la force". Il a toutefois assuré qu'aucune date-butoir pour la guerre n'avait été arrêtée.

Le raisonnement de Washington s'appuie sur une analyse détaillée de la déclaration des armements irakiens, remise la semaine dernière aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité, et mardi soir aux dix autres membres. Le document de 12 000 pages devait dresser l'état des lieux des programmes d'armement irakiens, et de toutes les industries "duales" qui pourraient être utilisées dans un but militaire. Or, dans ce document, l'Irak affirme ne disposer d'aucune arme de destruction massive, ce que contestent les Etats-Unis et la Grande Bretagne. Colin Powell a rappelé qu'en 1998, les inspecteurs "avaient conclu que l'Irak avait pu produire 28 000 litres d'anthrax, ce qui est trois fois plus que ce que l'Irak a déclaré". Selon lui, la déclaration omet également de dire ce que sont devenus les stocks irakiens d'agent biologiques, de gaz moutarde, de sarin, et d'agent inervant VX.

« L’Irak a laissé passer une chance »

Réuni hier pour discuter de la déclaration irakienne, le Conseil de sécurité a entendu les commentaires de Hans Blix, le chef de la mission d'inspection de l'ONU en Irak. Selon lui, le document apporte peu d'éléments nouveaux, notamment aucune "preuve" sur la destruction des armements et des produits chimiques qui se trouvaient encore en Irak en 1998, quand les inspecteurs ont quitté le pays. "L'Irak a laissé passer une chance de répondre aux questions laissées sans réponse depuis 1998, explique Hans Blix à RFI. Beaucoup de gens disent que c'est la dernière chance de l'Irak. Je ne sais pas si c'est vrai, mais il me semble que tout le monde est d'accord pour que les inspections continuent".

Les traits tirés, le regard fatigué, le chef des inspecteurs ne peut cacher son désarroi. "Si l'Irak considère que la situation devient trop dangereuse, peut être un beau jour sera-t-il plus ouvert qu'aujourd'hui" ajoute-t-il. "Il y a un certain nombre de domaines dans lesquels on est déçus" reconnaît aussi Jacques Baute, patron de l'Agence internationale de l'énergie atomique en Irak, et de passage à New York. Lui aussi croit encore aux inspections. "On va travailler à obtenir des compléments d'information, à la fois en termes de déclaration des Irakiens, mais surtout en terme de vérification au moyen de nos activités sur le terrain" explique-t-il.

Même ton côté français. "Il y a dans la déclaration irakienne des zones d'ombre mais nous faisons confiance à MM. Blix et El Baradei pour les éclaircir", a déclaré le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin. "La déclaration irakienne n'apporte que peu d'éléments nouveaux. Certaines informations qui y figurent présentent également des défauts de cohérence. Elle ne permet pas non plus de lever les doutes qui pèsent sur la poursuite par l'Irak d'activités prohibées", admet Jean-Marc de La Sablière, représentant de la France à l'ONU. Mais pour lui, cela "confirme la nécessité d'aller de l'avant dans la mise en oeuvre de la résolution 1441 en soutenant pleinement le travail des inspecteurs. C'est précisément parce que des incertitudes demeurent que ces mécanismes d'inspections ont été mis en oeuvre."

Pour la France, comme pour beaucoup d'autres pays, il revient au Conseil de sécurité et à Hans Blix, non à Washington, de déterminer si l'Irak est en violation patente des résolutions de l'ONU. Sur la question de savoir ce qui constitue une violation patente, la résolution 1441 et volontairement ambiguë. La grande majorité des pays estiment qu'il faut deux conditions pour que l'Irak soit pris en faute : une déclaration incomplète et un refus de coopérer avec les inspecteurs. Or, pour l'instant, Hans Blix l'a souligné, les Irakiens ont ouvert toutes les portes qu'on leur a demandé d'ouvrir, y compris dans les palais présidentiels. "L'Irak n'est pas en violation patente" de la résolution a affirmé l'ambassadeur adjoint de l'Irak à l'ONU, Mohammed Salman. "C'est l'interprétation des Etats-Unis, cela ne représente pas les vues de l'ensemble de la communauté internationale" a-t-il relevé. "Les Américains et les Anglais sont convaincus qu'il existe encore des armes de destruction massive en Irak explique pour sa part Hans Blix. Nous n'avons pas les preuves qui l'indiquent. Nous ne savons pas si ces armes ont été détruites ou pas. C'est une grande différence de vues".

De façon évidente, les Etats-Unis ne partagent pas cette lecture puisqu'ils estiment que l'Irak s'est déjà placé en "violation patente" de la résolution, et a même, selon les mots de John Negroponte, "insulté l'intelligence du Conseil de sécurité". Le représentant américain à l'ONU s'est toutefois gardé d'aller plus loin, en demandant une réunion d'urgence du Conseil de sécurité qui serait le signe que les Etats-Unis sont prêts à entrer en guerre. Selon les analystes militaires, ils n'ont pas encore massé suffisamment de troupes autour de l'Irak. Ils n'ont donc aucun intérêt à aller trop vite au Conseil de sécurité, et à irriter au passage des alliés potentiels. Washington se contente pour l'instant de prendre une assurance sur l'avenir, en établissant, par avance, les bases légales d'une intervention armée. "Nous continuerons à consulter nos amis, nos alliés et tous les membres du Conseil de sécurité sur la manière de forcer l'Irak à respecter la volonté de la communauté internationale" a assuré Colin Powell. Le Conseil de sécurité se réunira de nouveau début janvier pour étudier plus en détail la déclaration irakienne.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 20/12/2002