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Russie

Moscou se tourne vers ses anciens alliés

Après de longues années marquées par la méfiance réciproque, Moscou et Pékin réaffirme leur partenariat stratégique, tant sur le plan économique que diplomatique. Vladimir Poutine entamait également mardi soir une visite officielle en Inde, seconde étape de sa tournée régionale. Mais derrière les nouvelles alliances recherchées par le Kremlin se profilent également la volonté d’une diplomatie alternative face à Washington.
La première étape de la tournée que poursuit Vladimir Poutine a été marquée par un incontestable succès. Au-delà de l’incontournable cérémonie des présentations entre le président russe et le futur numéro un chinois, Hu Jintao qui prendra ses fonctions l’année prochaine, l’escale pékinoise confirme une véritable volonté d’établir un axe diplomatique régional. Peut-être même, compte tenu du poids respectif des acteurs, assiste-t-on à l’émergence d’une diplomatie alternative à celle proposée par l’hyper-puissance américaine. Car, au cours de ces deux jours, la situation internationale a bien été au centre des discussions entre les dirigeants russe et chinois. Et, pour l’essentiel, ils sont d’accord.

Sur la question du terrorisme leurs préoccupations se rejoignent. Que ce soit dans le Caucase avec les Tchétchènes, ou dans le Xinjiang avec les Ouïgours, les deux pays font face à des «groupes portant atteinte à la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale». Les interrogations d’antan sur les problèmes de souveraineté ne sont plus d’ailleurs définitivement plus à l’ordre du jour : Vladimir Poutine n’a pas manqué de rappeler à ses hôtes que son pays reconnaissait Taïwan et le Tibet comme parties inaliénables du territoire chinois. Condition, de toute façon, sine qua non à toute progression dans les discussions.

D’accord également sur la question nucléaire nord-coréenne. Les deux pays sont les derniers soutiens stratégiques de la Corée du Nord. Ils préconisent la négociation et invitent Washington et Pyongyang au dialogue. La Chine et la Russie appellent, à la fois, à la dénucléarisation de la péninsule et insistent sur l’importance de la normalisation entre Pyongyang et Washington, dont les relations commencent pourtant à se dégrader sérieusement en raison de l’aveu nord-coréen de la poursuite de son programme nucléaire. Pékin et Moscou estiment que cette normalisation doit se faire sur «la base d’une observation permanente des accords précédents, notamment l’accord de 1994». Une déclaration qui, clairement, s’oppose à la volonté de Washington de le suspendre. Cet accord prévoit notamment la livraison de fioul et la fourniture de deux centrales thermiques en échange du démantèlement du réacteur nucléaire suspecté d’être détourné à des fins militaires.

Comme avant

Convergence, enfin, sur le dossier irakien. Les deux géants, membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, soulignent le rôle fondamental des résolutions de l’organisation internationale pour résoudre la crise par des moyens politique et diplomatique. De là à entraver la détermination américaine d’en découdre avec Saddam Hussein, il y a loin de la coupe au lèvres ! Moscou, comme Pékin, ne méconnaît pas la position dominante des Etats-Unis, dans le contexte de l’après-guerre froide et celui de l’après-11 septembre. C’est un allié craint et courtisé, dont la parole compte énormément dans les instances internationales, pour soutenir ou briser. Chacun sait que le moment n’est pas venu d’exprimer une opposition frontale, dont les résultats seraient improductifs compte tenu du rapport de force massivement favorable à Washington. Mais le président russe ne renonce pas pour autant à contester la position de Washington à l’égard d’un pays qui demeure un partenaire économique et un allié. Devant plusieurs centaines d’étudiants de l’université de Pékin, Vladimir Poutine déclarait, mardi matin, inadmissible de tenter de résoudre les problèmes par l’usage de la force.

Il reste certainement beaucoup de chemin à accomplir pour atteindre l’objectif du nouveau partenariat stratégique que la Russie et la Chine veulent atteindre. Le parcours s’inscrit également dans une logique de développement du commerce bilatéral et des échanges dans les secteurs sensibles comme le nucléaire civil, l’espace et les hautes technologies. «Les deux économies sont complémentaires», déclarait à son arrivée à Pékin lundi Vladimir Poutine. Ce dernier doit veiller à ce qu’une certaine harmonie prévale dans le développement économique des deux voisins. Les frontières orientales de la Russie sont en effet soumise à une très forte pression migratoire chinoise qui, à certains égards, prend parfois l’allure d’une véritable colonisation. Il faut donc que les deux partenaires évacuent définitivement le climat de méfiance qui empoisonnait leurs relations depuis les années Gorbatchev, l’inventeur de la perestroïka, incarnation de la menace réformiste pour les dirigeants chinois. Le travail est largement entrepris. Un nouveau traité d’amitié entre les deux pays, remplaçant celui conclu en 1950, a été signé l’an dernier. De plus, la Chine, avec l’émergence de sa quatrième génération de gouvernants depuis la révolution n’a pas annoncé une pause dans ses réformes, bien au contraire. Et aucun dirigeant chinois ne pourrait jurer qu’elles ne mèneront pas Pékin à s’aligner, tôt ou tard, sur les critères démocratique en usage ailleurs.

Après Pékin, Vladimir Poutine est arrivé ce mardi en Inde, autre géant régional et ancien allié stratégique de l’époque de l’Union Soviétique. Il s’en est fallu de peu que New Delhi ne bascule définitivement dans l’orbite de Washington au cours de ces derniers mois, à l’occasion du déclenchement de la guerre contre le terrorisme, dont on s’est vite aperçu que le Pakistan, allié de Washington et ennemi héréditaire de l’Inde, était l’un des principaux soutiens. Cela ne s’est pas produit : Islamabad a été sommé par les Etats-Unis de choisir son camp et l’a fait, non sans difficultés et peut-être arrières-pensées. Une nouvelle guerre indo-pakistanaise a été évitée de justesse au printemps dernier. Mais la menace continue de couver. Avant son départ, dans un entretien accordé à un grand quotidien indien, Vladimir Poutine s’inquiétait de la capacité des Pakistanais à surveiller leur arsenal nucléaire. Le signal a été reçu avec satisfaction à New Delhi où on imagine que le président russe proposera à ses nouveaux hôtes une relance de la coopération bilatérale et stratégique. Comme avant.



par Georges  Abou

Article publié le 03/12/2002